Airbnb : entre succès et polémiques, est-ce encore une façon engagée de se loger en voyage ?

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Par Adèle Boudier

Posté le 20 décembre 2017

Fondée en 2008, la plateforme Airbnb s’est imposée comme un incontournable du secteur touristique dès qu’il s’agit de réserver une chambre où dormir et cela, absolument partout à travers le monde. Avec un large panel de styles et de prix, qui n’a pas été séduit ? Et d’autant plus le voyageur engagé, qui y voyait là une façon authentique de rencontrer des locaux en partageant leur chez-eux à moindre coût. C’était sans compter les dérives engendrées par cette nouvelle économie...


Vous avez probablement entendu parler des divers scandales liés au numéro 1 de la location de meublés touristiques, alias Airbnb. Le dernier en date ? Une carte de crédit rechargeable, invisible de l’administration fiscale. L’occasion, pour Babel Voyages de faire le point sur cette plateforme qui cartonne... tout en étant de plus en plus critiquée.

Les dessous d’Airbnb

Les problématiques soulevées par cette économie collaborative et numérique tournent autour de trois axes : l’occupation abusive des biens, la concurrence perçue comme déloyale par les hébergements traditionnels et le rapport au fisc.

Ainsi, de nombreuses plaintes associées à des nuisances de voisinage ont été entendues. Outre cet aspect, c’est le business juteux de la location saisonnière qui est en cause, provoquant une montée des prix et la raréfaction de locations longue durée.

Barcelone en est un exemple fort avec le puissant bras de fer engagé entre la mairie et la société américaine, la population de la vieille ville gothique étant passée de 27 000 habitants en 2006 à 15.000 en 2015. Par ailleurs, plus de 50% des annonces du site sont publiées par des multi-propriétaires, selon les recherches du sociologue Javier Gil, qui a étudié le système. C’est en ligne qu’il dépeint la dérive pour LesEchos.fr : « L’idée de départ d’un complément de revenus à des particuliers qui mettaient en circulation un bien, une chambre ou un logement sous-utilisé, fonctionne encore. Mais le système a été récupéré, tant par des propriétaires qui sortent les logements du marché de location traditionnel, que par des fonds immobiliers qui rachètent des immeubles entiers, afin de bénéficier des fortes rentabilités de la location touristique. »

Les hôteliers traditionnels dénoncent également une concurrence déloyale basée sur une absence de contrôle et de normes en matière de sécurité, d’hygiène et d’accessibilité.

Par ailleurs, Airbnb semble jouer double jeu côté fisc. D’une part, la plateforme signale aux hôtes (les propriétaires louant leur logement via la plateforme) qu’ils doivent déclarer leurs revenus. De l’autre, elle propose une solution de paiement opaque permettant d’échapper au contrôle de Bercy : une carte Mastercard prépayée, émise depuis Gibraltar par la société américaine Payoneer selon un accord avec la plateforme de location. Cette carte délivre ainsi des moyens de paiement dans toute l’Union européenne, dans la limite du montant crédité par Airbnb.

Suite à la polémique suscitée par cette nouvelle carte, le site de location s’est finalement engagé à retirer du marché français cette possibilité de paiement en ligne. Et à partir de 2019, les sites comme Airbnb auront pour obligation de transmettre au fisc un fichier avec les revenus perçus par leurs clients. Une façon de récupérer de l’impôt sur des revenus qui sont loin d’être systématiquement déclarés à l’heure actuelle.

Une évolution de la réglementation

L’évolution du cadre légal nécessitant du temps, le rythme imposé par le développement du numérique et de l’économie collaborative semble souvent difficile à suivre. Des mesures ont toutefois été prises en Europe et en France, notamment dans des villes de plus de 200 000 habitants et dans celles de la petite couronne.

Pour ces dernières, les hôtes peuvent être contraints de se déclarer en mairie pour obtenir un numéro d’enregistrement qui paraîtra sur l’annonce du site. Cela a pour but de faciliter le contrôle et de vérifier que la location de courte durée de ces meublés n’excède pas la limite légale, aujourd’hui fixée à 120 jours par an (4 mois). Au-delà de cette période, le propriétaire doit obligatoirement se rendre en mairie pour changer de statut et opter pour celui de loueur professionnel, avec les charges et impôts associés. À l’étranger, de nombreuses villes comme Londres, Seattle ou San Francisco, ont mis en place une durée maximale de location d’un appartement entier fixée le plus souvent à 90 jours.

La taxe de séjour, destinée au développement touristique des villes, a elle aussi suscité de nombreux débats. Alors qu’auparavant, les propriétaires en avaient théoriquement la charge, les plateformes à la Airbnb vont désormais récupérer cette taxe ****directement** pour la reverser aux collectivités**, lesquelles auront préalablement déterminé le montant. Montant qui pourrait atteindre jusqu’à 5% du prix de la location.

Cet alourdissement et la gestion obligatoire de la taxe par les plateformes de réservation pourraient faire entrer 150 millions d’euros supplémentaires dans les caisses des communes, selon l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie.

Airbnb, le nouvel ennemi ?

L’idée n’est pas ici de tailler en pièce Airbnb, mais plutôt de garder en tête les problématiques de ce système, de s’intéresser aux différentes volontés d’encadrement, aux raisons et aux dangers évoqués pour tenter une utilisation du service plus saine et éthique.

Tous conscients de la place qu’occupe ce site collaboratif dans les nouvelles pratiques touristiques, il est important que cela ne devienne pas le seul réflexe lors des préparatifs d’un voyage. Rester curieux et avide de découvertes, multiplier les canaux pour trouver où se loger en vacances, voilà quelques conseils modérés et de bon sens qui pourraient éviter bien des abus.

Mettez également l’échange en point d’orgue de votre recherche : le lien avec les locaux, notamment dans le cadre d’un partage de logement, revêt une importance particulière pour l’expérience touristique et humaine. Des interactions qui ne semblent pourtant pas être un automatisme sur cette plateforme, dont ce n’est finalement pas - ou plus ? - la mission première. Les maisons d’hôtes, spécifiquement pensées pour accueillir du public et lui transmettre la passion d’une région, seraient ainsi plus recommandées pour cela.

Or, éblouis par l’attractivité financière du concept, propriétaires comme touristes ne se complaisent-ils pas dans une relation loueur-client dans laquelle tous y trouvent un bénéfice pécunier ?

En témoigne le succès accru des entreprises de conciergerie, en charge de l’accueil des locataires et du ménage. Ou encore des boîtes à clé sécurisées ou serrures connectées permettant une "arrivée autonome" selon les termes d’Airbnb. Autant dire que là, on est bien loin de l’idée inititale et que l’économie collaborative y perd ses lettres de noblesse... Mais toute innovation se doit de répondre à une demande pour être pérenne, avec le risque que le concept dérive comme c’est donc le cas pour Airbnb, victime d’un trop grand succès.

Les hôtes, attirés par une rentrée d’argent facile, multiplient les locations et déshumanisent peu à peu l’expérience, devenue plus monétaire qu’humaine. Les touristes, alléchés par les prix et l’autonomie, en oublient le partage qui fera pourtant le sel de leur voyage. Et le marché de l’hébergement et de la location s’en voit totalement chamboulé.

Peu à peu condtionnées, les parties-prenantes de ce système, esclavagées par les enjeux économiques, finissent par penser que l’accueil et les intéractions résident dans des instructions papier déposées au coin d’une table, aux côtés de quelques prospectus touristiques. C’est en gardant ces risques en tête que les utilisateurs d’Airbnb pourront éviter les dérives éthiques liées au concept, trouver un équilibre, prendre chacun leur responsabilité, remettre l’humain à une place plus centrale de ces relations commerciales, tout en conservant leurs avantages financiers, mais sans en abuser.