« Petit pays », on t’aime beaucoup…

Culture

Par Laetitia Santos

Posté le 17 juillet 2017

Prix du roman Fnac et Goncourt des Lycéens 2016, « Petit Pays » est le premier roman du jeune Franco-rwandais de 34 ans, Gaël Faye. Il y raconte le génocide de 1994 qui a frappé le Burundi et le Rwanda au travers des yeux d’un jeune enfant. Un premier livre d’inspiration autobiographique, sensible et à la puissance dramatique véritablement crescendo au cœur de cette région africaine des Grands Lacs.


Comme lui, Gabriel, le petit protagoniste principal a vécu son enfance dans une impasse de Bujumbura, né d’une mère rwandaise et d’un père français. Comme lui, du haut de ses 10 pommes, il a survécu au massacre de 1994 entre Hutu et Tutsi sans en comprendre tous les ressorts. Pourtant, ce premier roman n’est pas autobiographique. Il s’inspire seulement de l’enfance du talentueux Gaël Faye sans en être un récit fidèle. Le résultat en tout cas a été salué depuis sa sortie en août 2016 d’un Prix du roman Fnac et du Goncourt des Lycéens.

Peace or Violence

« Au temps d’avant, avant tout ça, avant ce que je vais raconter et tout le reste, c’était le bonheur, la vie sans se l’expliquer. L’existence était telle qu’elle était, telle qu’elle avait toujours été et que je voulais qu’elle reste. Un doux sommeil, paisible, sans moustique qui vient danser à l’oreille… »

D’un quotidien tendre fait de jeux en pagaille, d’amitiés, de coups par 400, de chaleur, d’odeur de fleurs des jacarandas, des goyaviers et autres hibiscus rouge, du goût des mangues, le récit glisse vers une séparation parentale, des divergences familiales, des haines ethniques, des guerres civiles, puis vire au massacre, total. Une enfance brutalement arrachée, une innocence brisée à jamais, un questionnement identitaire forcé, c’est le monde dans ce qu’il a de plus violent qui extirpe Gabriel du coton de l’enfance.

Quant au lecteur, il a beau savoir que Petit Pays traite d’un génocide, il se laisse retomber en enfance et emporter naïvement dans cette impasse de Bujumbura sur plus de la moitié de l’ouvrage. A tel point qu’on en oublierait la guerre. Bien sur, on sent quelques tensions poindre en fond. Bien sur, on note les origines et les orientations politiques de chacun avec plus d’inquiétude que ne le fait Gabriel lui-même. Mais lorsque survient la brutalité du génocide, dans le dernier quart du roman, il nous frappe aussi violemment que lui.

Les ambiances, les paysages, les sentiments, au travers des odeurs, des sons, des lumières, font place à des scènes de massacres et de violences sans nom. Le chaos devient réalité insupportable, remplace le temps doux de l’enfance, monde perdu à jamais. Des présidents se font assassiner, des milices armées prennent le pouvoir, le génocide des Tutsi se met méthodiquement et irrévocablement en place. Jusqu’à l’épilogue, terrible, glaçant.

« Je pensais être exilé de mon pays. En revenant sur les traces de mon passé, j’ai compris que je l’étais de mon enfance. Ce qui me paraît bien plus cruel encore. »

Formidable

« Petit Pays » fait partie de ces textes qui hantent encore longtemps après la lecture, fort du voyage qu’il nous offre au coeur d’une Afrique des Grands Lacs dans ce qu’elle a de plus doux ; Fort de ces deux couleurs en contraste total que sont l’innocence chérie des premières pages, et la folie cauchemardesque des hommes dans celles finales.

On en retiendra la capacité de Gaël Faye à manier les mots - lui qui est aussi compositeur, interprète, rappeur - et sa sensibilité si fine qui bouleverse sans user de pathos, mais avec dignité. Et puis cette citation sur les livres qui nous est restée ancrée : "Ce sont les grands amours de ma vie... Ils me font rire, pleurer, douter, réfléchir. Ils me permettent de m’échapper. Ils m’ont changée et ont fait de moi une autre personne.
- Un livre peut nous changer ?
- Bien sûr, un livre peut te changer ! Et même changer ta vie. Comme un coup de foudre. Et on ne peut pas savoir quand la rencontre aura lieu. Il faut se méfier des livres, ce sont des génies endormis."

Gageons que « Petit Pays » en fasse partie...

"La guerre, sans qu’on lui demande, se charge toujours de vous trouver un ennemi. Moi qui souhaitais rester neutre, je n’ai pas pu. J’étais né avec cette histoire. Elle coulait en moi. Je lui appartenais." dit Gabriel résigné face à l’intolérable. Mais l’enfant en lui veut se battre : "Je ne suis ni hutu, ni tutsi, ais-je répondu. Ce ne sont pas mes histoires. Vous êtes mes amis parce que je vous aime et pas parce que vous êtes de telle ou telle ethnie. Ça, je n’en ai rien à faire !"

... Et qu’il contribue à ouvrir les yeux sur la folie des Hommes là où les enfants semblent si sages...