Carte blanche au Louvre à J.M.G. Le Clézio

Culture

Par Laetitia Santos

Posté le 4 décembre 2011

"Les musées sont des mondes", voilà le postulat avec lequel J.M.G. Le Clézio, infatigable auteur-voyageur, débarque au Louvre. Haïti, Afrique, Mexique et Vanuatu, on a testé pour vous ce petit voyage altermondialiste plein d’audace qui n’a pas peur de décloisonner l’art.


Haïti

C’est dans la Salle de la Chapelle, au coeur de l’aile Sully du musée du Louvre, que se tient Le Musée Monde, l’expo initée par Jean-Marie Gustave Le Clézio, célèbre homme de lettres et voyageur français. Un petit concentré d’art de tout âge et de tout horizon dont l’objectif est de décloisonner l’art, de faire valoir qu’un courant, un esthétisme, une époque, ne prévaut pas sur un autre. Pari réussi avec cette petite salle qui renoue avec la notion de cabinet des curiosités et nous conduit en voyage, dans l’univers dépeint tout au long de la littérature de Le Clézio.

L’exposition s’ouvre avec Le serment des ancêtres, cette immense toile de Guillaume Guillon-Lethière peinte en 1822 qui évoque le début du processus d’indépendance pour Haïti. Quoi de plus symbolique lorsque l’on sait que l’écrivain affectionne tout particulièrement le thème de la révolution haïtienne ? Il donne d’ailleurs lieu à une enfilade d’adorables toiles naïves et colorées peintes par des artistes haïtiens qui, bien souvent illettrés, ont trouvé là une ingénieuse façon de s’exprimer. La part belle est faîte aux esprits et à la religion et des toiles d’Hyppolite, Sénèque Obin ou encore André Pierre sont intelligemment mises en regard avec d’autres sorties des collections du Louvre évoquant la révolution française de 1789.

"La révolution haïtienne n’est pas achevée, elle se continue depuis plus de 200 ans. Le peuple haïtien est le peuple révolutionnaire par excellence." écrira J.M.G. Le Clézio. Ou encore "A l’ère des grandes déclarations (des droits de l’homme et du citoyen entre autres) le peuple haïtien commit un acte inouï, inconcevable, irrecevable par les nations esclavagistes de l’Europe occidentale, à l’appel de ses deux héros, Dessalines et Toussaint Louverture, il proclame son indépendance et la fondation de la première république noire aux Antilles."

Afrique

Une oeuvre de Basquiat, une autre de Télémaque puis une vitrine consacrée à l’art vaudou, la "première réponse à la traite Atlantique et aux grands malheurs de l’esclavage et du fait colonial" écrira le poète et écrivain haïtien René Depestre. On se retrouve ensuite le nez collé à trois figures féminines, trois sculptures sorties de trois mondes antiques, l’une grecque, l’autre égyptienne, et la dernière africaine avec cette légende de Le Clézio : "Les apparentements, on le sait, sont toujours dangereux. Mais ce qui importe, c’est l’existence, au même moment, dans des lieux proches, de techniques et de concepts totalement différents, mettant côte à côte le réalisme le plus accompli et l’expression de la magie et de l’imaginaire." Illustration magnifique et spirituelle des différences entre les peuples et les hommes, lesquelles créent un monde incroyablement riche et stupéfiant si l’on sait respecter cette diversité.

On pénètre ensuite dans un petit espace confiné, en U, qui fait renaître la belle époque du cabinet des curiosités, une grande gravure placardé sur le mur du fond de ce temps où le Louvre rassemblait de nombreux chefs-d’oeuvres ethnographiques. Des pièces quotidiennes de populations d’Afrique noire, piquées dans les collections du Quai Branly, sont confrontées à celles du Louvre : des figurines religieuses, des statues-amulettes, un pagne... Les premières pièces mexicaines font là aussi leur première apparition.

Mexique

"Ici on parle d’art, là on parle d’artisanat. Mais où est la frontière ?" questionne l’écrivain à l’honneur en entamant son espace mexicain avec des oeuvres contemporaines signées Camille Henrot. Un autoportrait de Frida Kahlo surgit alors, juste avant un mur impressionnant chargé de masques de cérémonies rituelles ou populaires.

On craque ensuite totalement devant le mur d’ex-voto signés du peintre mexicain Alfredo Vilchis Roque. Un mur qui se lit comme une page de faits divers, un mur empli d’une multitude de petites anecdotes illustrées par des dessins aux traits et aux couleurs tout à la fois naïfs et réalistes. Le Mexique des petites gens, populaire et ultra catholique, se palpe ici du bout des yeux et du coeur.

Si la série La Révolution imaginée nous renvoit au Mexique du début du XXe siècle, on n’en oublie pas pour autant les low-riders exposés dans sous la pyramide de verre du Louvre, témoins bien vivants d’une population hispanique qui s’est appropriée l’automobile, pur objet de la production industrielle, pour en faire "un moyen d’expression de leurs revendications et de leur quête de liberté." comme nous le traduit Le Clézio. "Les carrosseries rutilantes, les chromes, les prouesses techniques des moteurs, les suspensions surpuissantes capables de cabrer plusieurs tonnes de métal, de les faire rouler sur trois roues, de les faire danser sur place - ce ne sont plus des voitures, ce sont des cuirasses, des châteaux d’acier, des triptyques, des refuges pour les familles, des autels aux ancêtres ou aux saintes... Ces voitures sont leur révolte contre la discrimination, contre le silence qui étouffe leur culture ancestrale." Voilà la légitimité de ces monstres de fer dans l’enceinte sacrée du musée du Louvre grâce au musée-monde...

Vanuatu

On poursuit notre voyage dans ce petit monde qui nous renvoie autant de reflets de la cartographie personnelle et littéraire et de la sensibilité de Jean-Marie Gustave Le Clézio avec des nattes de Vanuatu, cet état d’Océanie situé en Mélanésie, au beau milieu du Pacifique. Car le travail des femmes de Pentecôte est un autre thème cher à l’écrivain-voyageur.

"Charlotte Wé Matansué expose au musée du Louvre le travail des femmes de Pentecôte, des nattes tissées selon une méthode millénaire, qui représentent l’indépendance économique de ces femmes, c’est-à-dire un moyen d’être libres de la tutelle des hommes et de pourvoir à l’éducation de leurs enfants." Le Clézio est tellement fasciné par cette forme d’art sans prétention qu’il fera de Charlotte l’héroïne d’un de ses romans, Raga, qui prend pour décor l’Océanie, continent invisible comme le surnomme l’écrivain.

L’exposition Le musée monde se cloture par un petit film où l’on assiste au rituel de passage à l’âge adulte dans une communauté d’Océanie. On sort doucement de notre rêverie exotique qui a conduit notre esprit dans un profond voyage initiatique visant à nous faire décloisonner l’art. Décloisonner les peuples et les hommes pour abandonner "*****la hiérarchie des cultures, idée malsaine et dangereuse qui justifia la colonisation et affirma la suprématie d’une culture sur toutes les autres. Nous savons aujourd’hui ce qu’il en coûte de céder à cette illusion. L’apparente logique des expressions (dans l’art mais aussi dans la pensée rituelle ou la religion) est démentie à chaque instant et ce doit être là le rôle des musées*.", J.M.G.L.C. A méditer.