"Habiter la terre" par Roland Théron

Interview voyage

Par Laetitia Santos

Posté le 4 septembre 2012

Le 6 septembre sort "Habiter la terre", un superbe livre où le bourlingueur de Canal +, Roland Théron, se questionne sur les habitats dans le monde et nous présente les plus traditionnels comme les plus contemporains mais surtout ceux qui l'ont touché. Pour l'occasion, nous lui avons posé quelques questions pour comprendre ce que ça implique d'habiter la terre de nos jours...


Commençons par le titre de l’ouvrage, "Habiter la terre", pouvez-vous nous expliquer ce que cela signifie à vos yeux ?**

"Habiter la terre… L’idée est de faire un panorama (non exhaustif ! et forcément subjectif) de l’habitat dans le monde. Un des premiers réflexes est de construire son abri, même pour les nomades. Habiter c’est avoir un toit, finalement, pour se protéger de la pluie, du froid ou du soleil. Dans ce livre "Habiter la terre", j’ai voulu décrire les choix que font les hommes pour construire leurs maisons. Certains vont mettre la priorité sur l’emplacement, d’autres sur le choix des matériaux, d’autres sur la nécessité d’avoir de la lumière, ou au contraire le désir de s’enfermer pour être tranquille. Il y a aussi différentes manières d’habiter. Tout en démonstration, ou au contraire avec beaucoup de désinvolture ou de légèreté, de poésie."

Selon vous, quel est le plus bel exemple d’influence positive entre l’habitat, le mode de vie et l’environnement alentour ?**

"Je n’aime pas trop les classements. Disons que je trouve que beaucoup de sociétés traditionnelles ont développé une architecture vernaculaire adaptée au terrain. Cet habitat est le fruit de l’expérience, de la bonne connaissance des contraintes locales et des matériaux disponibles. Cela donne souvent des maisons intégrées au paysage. D’un autre côté l’innovation technologique, l’intérêt accru pour l’architecture et l’aménagement intérieur permettent de réaliser de magnifiques maisons contemporaines. Les sociétés modernes riches peuvent donc réaliser des habitats qui créent de la surprise, qui montrent que l’homme du XXIème siècle peut habiter sur terre en respectant les milieux qui l’entourent."

Observer les différents habitats lorsque l’on est en voyage, c’est porter un regard sur la société dans laquelle on s’immerge ?**

"*Bien sûr, l’habitat est représentatif d’un certain type de société. Il est d’abord traversé par l’histoire. Il raconte surtout la manière dont les gens vivent ensemble. En quelques décennies, on est passé d’une société où les gens vivaient en collectivité à une société très individualiste. Chaque famille veut désormais son pavillon individuel, et ceci quasiment partout dans le monde. Ce n’est pas sans implications sur le paysage, et notamment les terres consacrées à l’agriculture… La peur - entretenue par les dominants - pousse parfois les familles à s’enfermer dans leur propre cocon.

Il y a donc des sociétés du partage, de l’échange, et des sociétés d’enfermement. Mais il faut toujours faire attention aux simplifications, et se méfier des apparences ! Les particularismes locaux sont parfois très marqués. Par exemple aux Etats Unis - qui est le pays champion de l’étalement urbain, avec des centaines de milliers d’hectares de lotissements aux maisons toutes semblables - on trouve de spectaculaires exemples d’autoconstruction. Parce que la société américaine a toujours cet espace de liberté, qui date du temps de l’esprit pionnier. Aujourd’hui, certains vivent réellement en dehors du système.*"

Il semble y avoir autant d’habitats qu’il y a de cultures... Une maison reflète-t-elle toujours la personnalité de celui qui y vit ? Vous rappelez-vous d’une personne que vous avez rencontré et dont la personnalité se traduisait parfaitement au travers de son habitat ?**

"*La maison reflète la personnalité de celui qui y vit, quand celui qui y vit a les moyens ! Dans beaucoup de cas, hélas, les gens subissent leur habitat. Ils font comme ils peuvent. Ceci dit, il y a de beaux exemples qui vont dans le sens de ce que vous dites. Je pense par exemple à Bill Coperwhaite, un américain diplômé d’Harward, qui s’est construit en un demi siècle une yourte en bois de ses propres mains, sans outil mécanique, à une heure et demie de marche de la première route, au fin fond des forêts du Maine, sur la côte est des Etats Unis.

Cet homme prône la simplicité, et sa maison reflète bien ses principes philosophiques. Et oui, c’est vrai, il y a autant d’habitats que de cultures. Mon choix a été subjectif, parcellaire. Il y a tant à explorer et raconter ! J’aimerais repartir sur les routes et chemins du monde pour continuer cet ouvrage, dont on pourrait facilement faire un tome 2 ! Une sorte d’inventaire géant. Une véritable encyclopédie des habitats de cette planète. Ca serait passionnant*."

En Chine, la diversité des constructions d’un bout à l’autre du pays saute aux yeux. On passe de maisons très anciennes et traditionnelles à des immeubles modernes, à la pointe de la technologie... Il y a aussi le passage de Knysna et de cette impressionnante forteresse contemporaine à la cabane de tôle des bidonvilles en Afrique du Sud... Quel regard critique portez-vous sur ce fossé, lequel reflète forcément une fracture sociale ?**

"*C’est vrai, en Chine l’écart est énorme entre l’habitat des campagnes, et celui des classes moyennes et a fortiori des riches urbains. Oui, en Afrique du sud, je trouve indécent cette coexistence entre les maisons les plus sophistiquées et les townships les plus déglingués. Mais cette inégalité est finalement encore plus frappante en Inde, à mes yeux. Ce pays compte de plus en plus de milliardaires, qui vivent à deux pas des bidonvilles les plus sordides. Le principal chantier du 21 ème siècle me semble celui d’une meilleure répartition de la richesse à l’échelle des communautés humaines, et à l’échelle de la planète. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on n’en prend pas le chemin !

L’écart entre les riches et les plus démunis ne cesse de grandir. Il est donc important de toujours continuer à communiquer, pour faire évoluer les mentalités. Par l’éducation, par le dialogue, par la découverte d’autres cultures, qui devrait inviter au respect, plutôt qu’à la conquête et la domination. Pour que chacun prenne conscience que nous sommes tous sur le même navire, et que l’action des uns interagit sur la vie des autres. Pour tenter de prendre une autre direction que l’individualisme, la consommation, et les intérêts à court terme. Pour retrouver un peu le sens des choses simples, qui apportent du bonheur. Chose que l’on redécouvre souvent un peu tard dans la vie. Gardons la poésie qui est en nous.

Chercher le mieux, plutôt que le plus. Travaillons l’harmonie plutôt que les intérêts à court terme. Cette posture individuelle est souvent balayée par les décisions politiques des plus grands, qui squattent le pouvoir pour conserver les acquis. Mais le point positif, c’est qu’aujourd’hui - avec la circulation des idées - tout le monde en a conscience.*

Quelle est la maison la plus originale ou la plus responsable où vous ayez eu la chance d’être invité et que des voyageurs peuvent découvrir le temps d’une nuit ou d’une simple visite ? N’hésitez pas à nous parler d’une ou plusieurs adresses à travers le monde...

"Les* Free Spirit Sphères*, au Canada, sont des chambres d’hôtes, sur la côte est de Vancouver Island. Des bulles en bois, à l’intérieur ressemblant à des cabines de bateau, suspendues dans les arbres, qui se balancent au gré du vent. Hyper romantique !**

Deepak Soni, à Jodhpur, dans le quartier brahmane de la ville bleue, a dû maintenant transformer sa maison familiale en maison d’hôtes. C’est un excellent camp de base pour découvrir les secrets de l’Inde du Rajasthan.

On peut louer - pour une nuit ou plus - les "Earthships", ces vaisseaux de la terre, maisons bioclimatiques construites à l’initiative de l’architecte Michael Reynolds, dans le désert à côté de Taos, au Nouveau Mexique. C’est un très bel exemple de maisons bioclimatiques, construites en matériau de recyclage. Non reliées au réseau, autonomes en énergie, et toutes uniques.

Si vous passez en Australie, il est assez original d’aller dormir dans un hôtel souterrain à Coober Pedy. Alors que la température avoisine souvent les 40 degrés, les chambres creusées dans les mines d’opale, à - 6 mètres sous terre, conservent la fraîcheur nécessaire pour passer une bonne nuit ! Hyper original…"