Philippe Bichon : "Ça me plait d'aller voir mes voisins qu'ils soient blancs, jaunes, noirs !"

Interview voyage

Par Laetitia Santos

Posté le 5 juin 2017

Philippe Bichon a cette sympathie et cette décontraction qui semblent profondément ancrées en lui. Ce voyageur et carnettiste se distingue en publiant des carnets de route qu’il édite lui-même, avec beaucoup d’écrits à l’intérieur, saupoudrés de dessins qui immortalisent autant les grands monuments de ce monde que les anonymes maisons de villages du bout du monde. L’essentiel est que le trait soit en lien avec l’architecture, son premier amour qu’il a exercé toute sa première vie durant.


Invité-phare du No Mad Festival 2017 puisqu’il y expose aux côtés de Roland et Sabrina Michaud, Kares Le Roy et Jérémy Suyker dans le cadre d’une exposition d’envergure consacrée à l’Iran et à l’Asie Centrale, nous avons profité du vernissage de samedi dernier pour échanger avec Philippe sur le voyageur qu’il était, sa façon de travailler, sa région de prédilection ou encore sur sa perception du voyage responsable et de ses valeurs.

Rencontre avec un homme à l’humanité toute simple avec qui il est possible de partir en voyage toute la quinzaine venant grâce à ses panneaux sur l’Iran, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan exposés à l’Espaces des Calandres d’Éragny-sur-Oise jusqu’au 18 juin prochain.

Qui es-tu Philippe, selon tes propres mots ?

"J’aime me dire « globe-croqueur » et je me distingue dans le carnet de voyage en faisant des carnets de route, c’est-à-dire que je ne fais pas que dessiner, j’écris beaucoup. Le dessin, c’est un prétexte pour me poser, m’imprégner d’une scène, d’un lieu... Souvent, le dessin génère une rencontre. De part ma formation, j’ai plutôt tendance à dessiner des bâtiments, l’architecture. Et c’est dans l’écrit que va se transmettre la rencontre avec les gens. Aussi parce que je les fais participer. C’est à la fois mon journal, mais aussi une sorte de livre d’or où j’aime faire écrire les gens dans leur langue, avec des alphabets différents. Je n’arrache jamais de pages, mes carnets sont reliés le dernier jour et du coup quand je rentre, ils sont quasiment terminés. Ensuite, je les publie par moi-même, ça il faut le dire..."

Comment as-tu été amené à voyager la première fois ?

"Le premier voyage, ça a été en Thaïlande avec un ami. C’était super mais ce qui a manqué, c’est la rencontre avec les gens. Mais ça a été une découverte et je me suis dit que ce ne serait pas mon dernier voyage. À suivi un voyage en Tunisie, puis un autre en 93, encore une fois en Tunisie et seul cette fois. C’est là que le vrai voyage a commencé car j’y ai fait beaucoup de rencontres avec les gens. Quand on voyage seul, on va plus facilement vers les gens et les gens viennent plus facilement vers vous. C’est ça qui a été le déclencheur, cette envie de rencontre."

Comment te définis-tu en tant que voyageur ?

"Pour moi le voyage il est seul, à la rencontre des gens. Je ne vais pas toujours hors des sentiers battus puisqu’étant intéressé par l’architecture, je suis attiré par les sites qui malheureusement sont souvent très touristiques. Mais grâce au dessin, j’arrive à les vivre autrement."

Quel est ton pays de prédilection et pourquoi ?

"L’Iran. Je dis souvent que ça a été un des voyages les plus intéressants et j’ai plaisir à le partager car nous avons tellement de préjugés et d’idées reçues sur ce pays que j’aime casser les clichés. Ca a été un voyage très riche en rencontres. Pareil au Tadjikistan, car c’est un pays très peu visité. Et puis les gens sont de culture persane donc il y a une vraie hospitalité. J’aime aller dans ces pays là, où il n’y a pas trop de tourisme. L’Ouzbékistan par contre c’est très touristique mais quelque part, ça me plait d’en parler parce qu’à l’inverse de l’Iran, on résume souvent l’Ouzbekistan à la beauté du pays - Samarkand, Boukhara, Khiva... - et on ne parle jamais ou peu de la dictature et de ce que c’est de voyager seul en Ouzbékistan. J’y ai quand même eu quelques difficultés : par exemple, on ne peut pas aller chez l’habitant, comme dans toute bonne dictature qui se respecte ! Avec le livre que je vais publier prochainement sur cette destination, j’avais aussi envie de resituer un peu les choses.

J’aime l’Asie Centrale donc, le Moyen-Orient aussi... Je suis allé au Yémen et c’est un voyage qui m’a énormément plu. L’Afrique, je ne connais pas énormément mais je suis quand même allé en Éthiopie. Là aussi c’est un voyage intéressant parce que c’est un pays très méconnu et j’ai aussi plaisir à partager mon voyage pour ça."

Quel a priori persistant peux-tu contrecarrer justement suite à ton voyage en Iran ?

"On ne connait pas du tout la place de la femme en Iran par exemple. On imagine qu’il y a des burqa, des niqab alors que ça n’existe pas là-bas. Certes, la dictature islamique impose aux femmes de porter le foulard mais il y a une vraie mixité qu’on ne soupçonne pas si on n’y va pas. Je me suis beaucoup retrouvé dans les familles et on mange par exemple tous ensemble, hommes et femmes mélangés. L’Iran, c’est le pays où j’ai eu le plus de contacts avec les femmes. On a du mal à l’imaginer ! Quand j’étais dans la rue, dans les parcs en train de dessiner, c’était très souvent des jeunes femmes qui venaient, qui m’interpellaient, qui m’invitaient à me balader en voiture alors que c’est strictement interdit. Mais c’est ça qui est intéressant aussi en Iran, et c’est d’ailleurs ce que montre très bien Jérémy (Suyker, ndlr) sur cette exposition : ce sont les interdits que les Iraniens se plaisent à détourner. C’est interdit mais on le fait quand même. C’est un pays plein de paradoxes. Et ce sont vraiment les champions de l’hospitalité ! Et puis la culture y est très riche, la culture persane est encore très présente à travers la poésie, la musique, la cuisine aussi, dont on ne connaît absolument rien et qui a vraiment une identité propre. Ce n’est pas l’Inde, ce n’est pas le Moyen-Orient, mais c’est un peu entre les deux si je devais la résumer. C’est un pays magnifique, très varié..."

L’authenticité y est-elle plus présente qu’ailleurs ?

"La modernité avance très vite, comme partout… L’Ouzbékistan par exemple : j’y suis allé en 2013 et à Samarkand, ils ont construit des murs tout autour ! Alors on peut s’extasier devant les monuments même s’ils ont souvent été trop restaurés par les Soviétiques mais ce qui est quand même étonnant, ce sont ces murs là qu’ils ont construit jusqu’à 6 m de haut pour cacher les vieux quartiers, les vieilles maisons, la population et mettre en avant les monuments. Du coup on est face à un espèce de Disneyland***… Mais si on va dans des **coins un peu plus reculés, comme dans les montagnes du Tadjikistan ou au Kurdistan iranien, là les villages conservent encore leur authenticité. Mais ça va vite...*"

Le voyage responsable, ça t’évoque quoi ?

"Je pense être dedans puisque son opposé pour moi, c’est le tourisme de masse. Le voyage responsable, c’est ne pas simplement consommer, sans rencontrer les gens et sans se rendre compte de leurs difficultés, de leur quotidien. Pour moi, c’est voyager avec les gens, en transports en commun, que ce soit des véhicules collectifs, des trains, des bus... J’aime ce moment où je partage avec les gens une petite tranche de leur vie. Et si je peux être invité chez eux parce qu’ils le proposent, c’est encore mieux..."

Quelles sont les valeurs tirées de tes voyages qui te constituent en tant qu’homme ?

"On me dit souvent quand on me rencontre ou que l’on découvre mes expos qu’il y a une certaine humanité dans mon travail, et ça me plait. Pourquoi voyager si ce n’est pour cette humanité ? On est tous sur le même caillou et ça me plait d’aller voir mes voisins qu’ils soient blancs, jaunes, noirs et rendre compte d’autres cultures, d’autres religions..."

AGENDA : Rendez-vous au No Mad Festival les 17 et 18 juin prochains pour y rencontrer Philippe Bichon. Il y donnera une conférence sur l’Iran et l’Asie Centrale aux côtés de Roland et Sabrina Michaud, Kares Le Roy et Jérémy Suyker le samedi 17 à 16h30. Il animera aussi un atelier d’initiation au carnet de voyage axé sur l’architecture le dimanche 18 à 14h, à réserver impérativement auprès de l’Office de Tourisme de Cergy-Pontoise - 01 34 41 70 60 - et y vendra ses carnets de route qu’il vous fera un plaisir de dédicacer à l’aquarelle ! "Le No Mad Festival, ça va être un chouette week-end avec que des gens que j’aime bien !"