"Paradis Amour" : beachboys et sugar mamas au Kenya

Culture

Par Laure Croiset

Posté le 19 mai 2012

Coup de foudre sur la Croisette. Pas de ceux qui vous illuminent d’un éclair, mais plutôt un choc frontal, percutant, douloureux et amer. "Paradis Amour", un film présenté en compétition officielle au 65e Festival de Cannes, réalisé par le cinéaste autrichien Ulrich Seidl, aborde de plein fouet le développement du tourisme sexuel sur les plages paradisiaques du Kenya. Glaçant.


Tout commence par le visage de Teresa, une Autrichienne quinquagénaire obsédée par des piles bien faites. Cette mère d’une adolescente pré-pubère va quitter son monde rectiligne pour s’envoler vers un petit coin de paradis, le Kenya. L’accueil est chaleureux, les sourires se lisent dans le mini-van qui va conduire ces touristes occidentaux dans leur hôtel paradisiaque, et on leur dicte la conduite à tenir ici : "Hakuna Matata" ("Pas de soucis !"). Voilà donc Teresa installée dans sa vaste suite, avec une vue imprenable sur la mer, un singe qui vient lui rendre visite sur son balcon et une chasse, déjà latente, entre la touriste prête à tout pour immortaliser ce moment et un animal bien plus malin qu’il n’y paraît. Le rapport de force est installé et on souligne l’autorité de cette masse graisseuse sur un pays ravagé par la misère.

Teresa va alors rejoindre son amie, une Autrichienne elle aussi, qui va lui indiquer comment devenir une "sugar mama" pour troquer un peu d’amour aux jeunes Africains désargentés. Dérangeante, la discussion va glisser sur une pente dangereuse. Accumulation de poncifs. "Le hic, c’est qu’ils se ressemblent tous". Mais à ce qui paraît, c’est ça l’attrait, "l’exotisme", comme elles disent. Ulrich Seidl, qui applique à ses films de fiction une méthode documentaire, décrit un monde foudroyé par l’échange. Echange de biens, échange d’argent, échange de corps. Tout ça contre un peu d’amour, pour combler les errances solitaires de ces Autrichiennes encombrées par ces corps lâches et flasques.

Par la composition précise de ces cadres, Ulrich Seidl donne à voir la misère d’un monde clivé. Sur la plage de sable blanc, les touristes occidentaux sont amassés sur leur chaise longue. Une cordelette les sépare de l’autre monde, l’Afrique qu’ils refusent de regarder en face et ces beachboys qui débordent d’imagination pour leur soutirer un peu de sous. Là, l’Europe. Ici, l’Afrique. La stupeur gagne alors le coeur du spectateur, troublé par cette fracture, palpable, qui ne semble offusquer personne. Le plus insoutenable sera les visites nocturnes de ces "sugar mamas" dans les villages de ces "beachboys", traversant la misère sans daigner la regarder en face. Vous l’aurez compris, ce Paradis laisse un goût amer en bouche, dans la vision que nous impose Ulrich Seidl sur un monde dominé par les rapports d’argent et le poids des corps. On retiendra tout de même cette phrase prononcée dans un village "Pauvre idiote", qui montre que l’espoir est permis et que la duperie ne durera pas longtemps.