Liban, terre de savoir-faire ancestraux

Babel Plans

Par Dior Sawaya

Posté le 23 janvier 2019

On connait le Liban des mezzés, on connait le Liban de la guerre et des conflits géopolitiques ; On connait aussi le Liban des Cèdres millénaires, ou même celui de Mika, Shakira, Carlos Ghosn ou de certains films comme Capharnaüm ou Caramel. Mais le Liban des artisans… On connait un peu, voire beaucoup moins ! Et pourtant, rares sont les pays qui jouissent d’une diversité aussi épatante de savoir-faire, surtout sur un territoire aussi grand que la Gironde ! Partez avec nous à la découverte de ces artisans libanais !


De la poterie au soufflage de verre, en passant par la coutellerie, le travail du cuivre et du bois, la fabrication de savon et le tissage de tapis et d’habits... Vous aurez de quoi faire lors de votre prochain séjour libanais. N’oublions pas le chapeau traditionnel, la « lebbédeh », la production de cloches pour tout le Moyen-Orient et la « mouneh », méthode de préparation et de conservation de produits alimentaires selon des techniques transmises de mère en fille. Nous vous proposons de connaître ici quelques-uns de nos héros qui ont la passion de la tradition !

Sana Jabbour et sa poterie traditionnelle à Assia

Sana aurait pu avoir toute une autre carrière et même vivre dans un autre pays. Mais perpétuer les traditions ancestrales de sa famille a pris le dessus pour elle.

Nous sommes dans le village d’Assia, dans les hauteurs de Batroun, où Sana suit les pas de sa mère tous les jours et fait de la poterie, un artisanat de plus en plus rare, qui était dans le passé une vraie source de revenus de son village natal.

Nous sommes nombreux à avoir essayer cette activité ou visité un atelier d’artisan. Mais ce qui distingue l’activité de Sana particulièrement, c’est le fait qu’elle soit 100% manuelle. Pas une machine, pas de tour de potier non plus. C’est la plus ancienne forme de poterie et la plus saine aussi puisqu’elle est uniquement constituée de composants naturels sans peintures ni produits chimiques : un sable de poterie est extrait directement de la terre du village mélangé à un minéral similaire au quartz. Le mix final est de la matière ressemblant à de l’argile fine.

Si la composition est simple, cela n’est pas le cas du travail manuel, qui peut prendre un mois pour finir une pièce. Tout un art, mêlé à beaucoup de minutie, une bonne dose de patience et un peu de chance pour que la pièce qu’elle chérit depuis quelques semaines ne sorte pas cassée ou déformée à la sortie de son four à bois.

Un travail qui est source d’inspiration et de réflexion pour nous qui vivons dans une ère où nous voulons tout, tout de suite, où tout est fabriqué en masse, uniformisé, sans intervention humaine. Sana est comme un retour vers le respect du temps, de la matière, et du savoir-faire précieux.

Pour elle, préserver cette tradition est une passion et surtout une évidence. Pour la rencontrer et découvrir son métier, vous pouvez lui rendre visite à son atelier à Assia, ou bien la retrouver tous les samedis au marché Souk el Tayeb de Beirut, marché qu’elle a intégré avec plaisir afin de partager cet artisanat méconnu et transmettre sa passion aux citadins curieux et admiratifs.

La famille Khalifeh et leur soufflerie de verre à Sarafand

Bienvenue à Sarafand, une petite ville portuaire du sud du Liban, à 60 km de Beyrouth et 15 km de Saida (ou Sidon) ; Cette ville est de nos jours connue pour sa production de céramique mais abrite surtout la dernière dynastie de souffleurs de verre au Liban, dont la famille Khalifeh.

Nous sommes en l’an 50 av. J.-C., les Phéniciens ont révolutionné le travail du verre en introduisant la technique de la canne de verrier permettant de diversifier les objets et innover dans les formes, tout en accélérant la production et en réduisant ses coûts ! Les phéniciens, connus pour être des commerçants hors pair et surtout d’excellents marins, ont diffusé cette technique sur le bassin méditerranéen.

La famille Khalifeh, quant à elle, contribue à sa manière au maintien de cet art et artisanat grâce à la transmission du secret de père en fils, d’oncle en neveu, à partir de douze ans. Il faut un minimum de cinq annnées avant que ces apprentis maitrisent la technique.

La fabrication est longue et manuelle, avec un four en brique qui préchauffe vingt-quatre heures avant la cuisson afin d’atteindre 1 400°C, température à laquelle le mix de verre cassé et verre à recycler entre dans le four. Ce dernier est maintenu allumé pour dix jours d’affilée à chaque cycle de production. Une fois que le verre en ressort fondu, la magie opère sous les mains talentueuses de l’artisan. Plusieurs étapes s’en suivent et il faudra six heures au total pour fabriquer chaque pièce unique à la main !

Un vrai trésor dans les mains de cette famille qui, depuis des générations, perpétue une tradition alliant technique et outillage, art et secrets, le tout pour produire des pièces artisanales uniques. Leur trésor est cependant fragile et menacé de disparaître avec l’arrivée du verre d’importation à bas coût, qui les met dans des difficultés économiques à retrouver une source de revenus stable pour nourrir toute la famille qui en dépend.

La bonne nouvelle est que des projets comme le GGRIL,« Green Glass Recycling Initiative Lebanon », développé par un ingénieur en environnement, Ziad Abi Chaker, permettent, pour le moment, de maintenir ces traditions en vie. Ce projet consiste à récupérer les bouteilles en verre, surtout celles de bières qui sont vertes ou ambrées, avant qu’elles ne soient enfouies, et les acheminer à la famille Khalifeh pour les refondre et les refaçonner en objets nouveaux, avec un style moderne et des modèles contemporains qui attirent les curieux et se retrouvent ainsi vendues dans diverses expositions et magasins.

Certes, il existe un réel risque « d’extinction » de ces professions ancestrales, mais il existe également de belles initiatives qui aident à préserver cet héritage culturel libanais important.

Les savonneries à base d’huile d’olive de Tripoli et Saida

Tripoli, une grande ville sur la côte Nord du Liban, est l’une des rares villes du pourtour méditerranéen qui a été réputée dans le passé pour sa production de savon, qui se concentrait majoritairement dans des zones de fabrication de la ville, surnommés «Khan el Saboun» ou caravansérails du savon.

Le savon existait déjà il y a plus de 3000 ans au Moyen-Orient, mais c’est vers le VIIIème siècle qu’il se développe réellement sur la côte méditerranéenne dans plusieurs villes comme Alep (Syrie), Tripoli (Liban), Saida (Liban) et Naplouse (Palestine). Quelques siècles plus tard, son développement est accéléré grâce au remplacement de la graisse animale par l’huile d’olive, base du savon, abondante dans la région, tout comme le laurier, le jus de citron et les senteurs. A cette époque, les savons étaient une « cuisine » familiale et chaque famille produisait ses propres savons en y gravant son nom.

Avec l’arrivée des mamlouks au Liban, les khan el Saboun se sont agrandis à proximité des parfumeurs et chimistes de Tripoli, la rendant ainsi très célèbre dans tout le pourtour méditerranéen pour son savon typique et ses entreprises familiales. Si célèbre que ses exportations de savon étaient au même niveau que celles du sucre et de la soie !

Alors comment se fabrique artisanalement ce produit qui est devenu un produit de première nécessité ? Extraite des oliviers des collines de Tripoli, l’huile d’olive composant majeur du savon, est bouillie pendant six heures dans de larges chaudrons tout en remuant inlassablement pour assurer une consistance lisse. Tous les ingrédients, sauf les parfums, sont ensuite ajoutés en maintenant une agitation constante pour obtenir une texture finale crémeuse. Le parfum est ajouté à la fin avec la coloration si besoin. Le produit formé est ainsi laissé vingt-quatre heures pour se solidifier et est ensuite tranché en blocs ou formé au couteau ou dans des moules aux diverses formes, qui sont laissés à l’air libre pendant un mois !

Parmi les khan el Saboun les mieux conservés figure celui de Saida au Sud de Beyrouth, qui a été converti en musée en 1996 par une famille de notables libanais, les Audi, qui en étaient les propriétaires. Le visiteur peut parcourir l’ancienne savonnerie en suivant les différentes étapes de fabrication du produit et connaître son histoire.

Si vous avez le temps de vous balader à Tripoli, vous verrez le khan el Saboun dans les souks traditionnels avec plusieurs artisans et familles comme Tripoli Soap ou encore Bader Hassoun Village et autres qui partagent les petits ateliers et magasins, mais dont chacun garde précieusement les secrets de sa fabrication.

L’âge d’or de cet artisanat est bel et bien révolu, avec la présence sur le marché de savon importé et de savon industriel plus diversifié en parfums, plus rapide à fabriquer et surtout moins coûteux. Cependant, une poignée de passionnés font perdurer la tradition, non seulement pour préserver l’héritage de cette ville, mais aussi parce que c’est leur unique source de revenus.

Le risque de se lancer dans un commerce différent tardivement, est plus grand que celui d’avoir de petites recettes grâce au passage des visiteurs, touristes et Libanais généreux venant de Beyrouth visiter cette belle ville côtière qu’est Tripoli. Des séjours sont ainsi proposés pour découvrir ces savoir-faire, au plus proche des artisans et de la population locale.

Neo Safar

Une jeune agence libanaise pour visiter le pays avec authenticité, partenaire coup de coeur de Babel !

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