"Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants", le voyage de Michel-Ange à Constantinople

Culture

Par Laetitia Santos

Posté le 25 mars 2013

Une lecture qui en appelle au ravissement des sens et qui invite à un voyage par procuration, glissé dans la peau du si célèbre sculpteur florentin.


Le jeudi 13 mai 1506, le génie italien Michel-Angelo Buonarroti débarque dans le port de l’envoûtante Constantinople pour répondre à l’appel du puissant sultan Bayazid. Ce dernier lui a commandé un pont sur la Corne d’Or. Commence alors trois mois de dur labeur, de doutes, et d’émerveillement pour le génie de la Renaissance que l’on découvre ici au travail, puisant l’inspiration dans les beautés aussi douces que violentes du monde Ottoman.

Pour décor, la future Istanbul qui arbore déjà des éléments familiers à nous autres lecteurs cinq siècles plus tard : le Bosphore régurgitant des marchandises exotiques au port, Sainte-Sophie et sa coupole à la légèreté fantastique, des tavernes oú l’on noie ses tourments dans la musique, le vin, la chair quand vient le crépuscule, un marché du vivant plutôt que le grand bazar oú se perdent aujourd’hui les touristes, fait d’esclaves noirs d’Abyssinie, de blanches femmes du Caucase et d’une faune sauvage qui se compose aussi bien de coursiers arabes et de chameaux à longue robe de laine que d’élephants ou de singes venus de l’Inde lointaine. Telle est Constantinople en ce tout début de XVIe siècle.

À travers le regard d’un des plus grands sculpteurs de tous les temps, avec des faits historiques minutieusement compilés par Mathias Enard, quelques épisodes rêvés dont une tragique histoire d’amour notamment, une correspondance qui a traversé les âges et des vers intemporels, on déambule avec l’oeil curieux, le coeur et l’esprit ouverts à toute beauté, dans les ruelles animées de la ville oú se mêlent alors Ottomans, Grecs, Juifs et Latins. Le voyage est tantôt doux, tantôt chahuté par des imprévus épicés comme il en frappe n’importe quel voyageur en terre étrangère. Au fil de la lecture, le texte porte un éclairage bien mené sur l’influence que ces quelques mois stambouliotes ont eu sur l’oeuvre de Michel-Ange : la Chapelle Sixtine de Rome porterait une empreinte amoureuse de cet Orient qui l’aura toujours habité tout comme bon nombre de ses ouvrages qu’il a créés pendant encore soixante années après son voyage.

L’écriture est aussi fine, sensuelle et poétique qu’une pièce d’orfèvrerie turque délicieusement ouvragée et aboutit à un symbole fort toujours d’actualité : un ouvrage d’art inachevé entre deux rives et deux civilisations, comme autant d’hésitations contemporaines pour cette Turquie qui oscille entre Orient et Occident.