Syl. Pâris. Kouton : « La première œuvre d’art que l’on puisse faire, c’est soi-même »

Interview voyage

Par Laetitia Santos

Posté le 10 mars 2020

Syl. Pâris. Kouton. Voilà un sacré personnage, plasticien contemporain du Bénin, le dernier de notre série de rencontres dans le cadre des RDV No Mad et de l’exposition "Empreinte vodou" à l’Office de Tourisme de Cergy-Pontoise.


Syl, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?

« On m’appelle Syl. Pâris. Kouton, je suis un artiste plasticien, peintre, sculpteur et installationniste. Mais je suis finalement un concentré de tout ce que j’ai fait et vécu : enfant de chœur à la paroisse Saint-François-Xavier de Porto-Novo, basket, judo, tennis, éducation catholique et animiste… J’ai bien failli être prêtre salésien de Don Bosco. Et j’adore le rap ! Tupac, Bobby Brown, LL Cool J… Au lycée on m’appelait MC Hammer parce que je dansais beaucoup.

Je suis né à Porto-Novo le 5 novembre 1972. J’y ai passé toute ma vie et y suis très attaché. J’ai grandi dans une famille de lignée royale et nous avons été éduqués en conséquence. J’ai fait un baccalauréat scientifique mais j’ai échoué. Comme ça m’a fâché, j’ai laissé tomber l’école ! En parallèle, je m’amusais beaucoup avec le dessin et puis j’avais quelques amis peintres. C’est avec eux que j’ai appris et construit mon style en autodidacte. Et aussi grâce aux livres. Ma première toile remonte à 97. Je faisais beaucoup de figuratif au début. »

Alors que c’est plutôt l’abstraction qui t’a fait connaître…

« Oui mais j’ai eu différentes phases. Je suis passé par le cubisme au début et le surréalisme également. Et puis ensuite mes toiles sont devenues plus sculpturales avec des bas-reliefs pour certaines. Je suis passé par beaucoup d’étapes avant d’en arriver là où je suis aujourd’hui. C’est en 2002 que j’ai brusquement changé de style pour celui que l’on me connaît à l’international. C’est un style épuré, simplifié, à l’image de nos murs à Porto-Novo.

Comme je suis plutôt égocentrique, je me suis dit que je devais me trouver une identité forte afin que l’on me reconnaisse. Je n’aime pas faire comme les autres. Au début, lorsque je sculptais et que l’on y trouvait des ressemblances avec un autre artiste, ça m’énervait. Alors quand j’ai créé les masques Baata avec des chaussures usagées et que l’on m’a dit que c’était inédit, là j’étais satisfait. »

Il y a beaucoup de symboliques dans ta peinture, notamment ces coutures que l’on voit sur de nombreuses d’entres-elles…

« J’aime bien faire des sutures, prendre une lame pour déchirer mes toiles et créer les sutures ensuite. C’est une façon à mes yeux de réparer les blessures des hommes et des évènements. Parfois aussi je prends de la peinture pour tracer un trait autour duquel je viens apposer de petits ronds, tels des lacets. La suture, c’est quelque chose qui me parle. Sans doute parce que mon papa était médecin à l’hôpital. »

Dans ton travail aujourd’hui, il y a des couleurs prédominantes comme le bleu ou encore l’ocre, pourquoi un tel choix chromatique ?

« Ce sont des couleurs que je vois souvent ici au Bénin au travers des maisons notamment, construites en banco, avec beaucoup de latérite, comme celles des palais royaux.

Le bleu lui, est venu d’un voyage intérieur. Il est là tout le temps. Chez nous au Bénin, il y a beaucoup de lézards : les margouillats, les geckos. Quand ils laissent leurs déjections, il y a toujours un peu de blanc dans le noir. Je suis comme le margouillat : quand je réalise une toile, il y a toujours du bleu quelque part. On m’a comparé à Yves Klein pour cela mais cet artiste, je ne l’ai connu que sur le tard. Ce bleu je ne l’ai pas voulu, il m’est apparu comme un feu, il s’est imposé à moi.

Mais en tant que Béninois et prince, je voulais marteler cette identité, ne pas être un déraciné ni même un hybride. Je ne peux pas me débarrasser de ma rétine sub-saharienne et c’est pourquoi ces couleurs sont si fortes dans mon travail. »

C’est étonnant d’entendre que tu souhaites marquer avec conviction cette identité béninoise mais qu’il t’est détestable de faire comme tout le monde, que tu veux être unique et que l’on te connaisse pour cette unicité.

« L’artiste contemporain, pour mieux s’extérioriser, doit toujours puiser dans son grenier ancestral. L’arbre debout avec ses feuilles, possède des racines. La tradition constitue pour moi une véritable source d’inspiration. Mais mon œuvre est la synthèse de moi-même, de chacune de mes influences. »

Ta signature particulièrement notable et graphique évoque justement un enracinement semble-t-il..

« Elle fait partie intégrante de mon travail. Les trois lignes qui émanent de mon nom sont comme des pieds ou des arbres. Je suis prince, je me dois d’être enraciné, et ces racines me soutiennent. C’est aussi une représentation de l’énergie. »

Est-ce un travail intuitif du coup qui s’impose totalement à toi, où réfléchis-tu tes compositions avant de créer ?

« Je n’aime pas réfléchir, ça me fatigue ! Je suis très spontané. Et c’est très bien comme cela car ça révèle mon intime et mes valeurs profondes. En plus du catholicisme, j’ai pratiqué le yoga, je me suis intéressé au bouddhisme, j’ai adopté un régime végétalien depuis près de 20 ans… Et je médite beaucoup. C’est un moment où les idées circulent même si tu ne t’arrêtes pas pour les analyser. Pour autant, elles restent dans ton subconscient et reviennent après comme des solutions. »

En plus des sutures, quels autres éléments sont récurrents dans ton œuvre ?

« Les symboles (Syl se met à dessiner quelques symboles sur une feuille, ndlr) *: ceux igbo du Sud-Est du Nigéria notamment mais aussi les symboles universels comme le carré, ou le triangle qui symbolise l’énergie. J’étais chez les Igbo en 2005, ils sont davantage intellectuels par rapport aux Yoruba, qui eux sont des commerçants. Lorsque l’on va chez eux, on t’offre de la nourriture avant même de t’offrir quelque chose à boire. Ils nous ont offerts la kola. Et je l’ai repris dans mes œuvres, en signe d’amitié, de partage, de coopération. J’aime aussi représenter le love symbole, la spirale de l’éternité, où encore celui qui représente la forêt sacrée.* »

Comment définirais-tu ton caractère toi qui affiche une personnalité des plus originales ?

« Je suis un homme sans compromis, je n’aime pas négocier. Comme le sont les scorpions ! Honnête. Égocentré, peut-être à cause de ma fierté princière »

Lorsque l’on te regarde, on voit que tu es artiste de la tête aux pieds avec cette accumulation de bracelets sur tes avant-bras, ces bagues, ces colliers… L’apparence est-elle un de tes moyens d’expression favoris ?

« La première œuvre d’art que l’on puisse faire, c’est soi-même ! »

Revenons à cette exposition en cours à Cergy-Pontoise et au vaudou, qui en est la thématique centrale. Comment le marque ton existence et comment influence-t-il ton travail ?

« J’ai été élevé dans la tradition catholique comme je l’ai expliqué auparavant et pour moi, il n’y a pas de différence avec le vaudou. Tout ça se traduit par un prêtre, un rituel, des croyances… Les gens ont diabolisé le vaudou mais à l’origine, il n’est pas négatif. C’est la colonisation qui a engendré tout ça. Pour moi les religions ne peuvent pas être séparées, qu’il s’agisse du bouddhisme, du vaudou, du catholicisme… Tout est lié. On ne sépare pas les gouttes dans la mer. J’adore aller au temple, ça me donne beaucoup d’inspiration, de foi dans l’Autre. Au sein d’un couvent vaudou, il y a les danses - meilleures que Michael Jackson ! - la couture, la nourriture, les initiations spirituelles… C’est un vrai monde, plein de couleurs, que l’on n’a pas intérêt à juger et critiquer. C’est une vérité que je ne dois pas écarter de mon univers et j’aime m’imprégner de ça pour faire évoluer mon travail. »