Claudine André nous raconte le Congo et ses bonobos

Interview voyage

Par Laetitia Santos

Posté le 10 avril 2011

On ne vous présente plus "Bonobos", ce docu-fiction sur les primates endémiques du Congo et leur bienfaitrice, Claudine André. Touché par l’engagement de cette femme de tempérament, Babel a rencontré celle qui a tant à raconter. Part II enfin dispo !


Si vous avez manqué la première partie de ce bel entretien, rattrapez-vous par ici.

Claudine, pouvez-vous nous parler de la relation qu’entretiennent les Congolais avec le bonobo ?

"Quand je me suis lancée dans la réintroduction, il fallait que je trouve un endroit où il n’y avait pas de tabou. Dans certaines zones de la réserve du biotope, on pense qu’il faut manger du bonobo pour être fort. Il me fallait donc un endroit où persistent des légendes de respect. Les ancêtres l’appellaient ’celui qui est comme un homme’. Aujourd’hui, les traditions ancestrales se perdent parce que lorsque l’on est dans la misère, ce n’est pas facile tous les jours de les respecter. Quand le besoin de manger se fait sentir, s’il y a un bonobo à vendre au marché, on le mangera. Mais par exemple, quand nous avons relâché le premier groupe dans cette forêt d’Ekolo Ya Bonobo, tous les riverains venaient avec leur pirogue les voir chaque soir nicher dans les arbres qui bordent la rivière. Ils sont très fiers quand on leur dit que c’est 100% congolais, qu’il n’en existe nulle part ailleurs. C’est le moment de titiller la fibre nationaliste, après une guerre, c’est quelque chose qui tombe à pic. Quand ils écoutent ce que vous leur dites à propos des bonobos, que c’est un cadeau de la nature au Congo, qu’on partage avec lui plus de 98,7% de notre génétique et que si on le mange, on est peut-être en droit de se demander si on n’est pas à 98,7% cannibale, ils répondent ’Ohlala, on ne nous a jamais dit ça. Pardon, nous ne savions pas’. Donc c’est un merveilleux public qui ne demande qu’à être éduqué et c’est pour ça que je n’abandonne pas l’éducation."

J’ai été fascinée justement de voir combien votre travail allait bien au-delà de la sauvegarde du bonobo avec l’éducation, la sensibilisation, le soutien économique aux populations congolaises...

"La sensibilisation, l’éducation, c’est une grande partie de notre travail. Notre devise, c’est d’ailleurs « La conservation commence par l’éducation ». Nous avons beaucoup d’éducateurs, que ce soit dans le nord autour de la réserve Ekolo ou bien à Lola, nous avons aussi des garçons qui présentent les bonobos aux écoles congolaises tous les jours et qui essaient de sensibiliser un maximum d’enfants, les décideurs de demain à mes yeux. À Lola, 39 personnes travaillent avec un emploi journalier de travailleur temporaire, c’est-à-dire que pour que tout le monde profite un peu de la présence de Lola, nous engageons des travailleurs journaliers des villages alentours et nous les faisons tourner. A Ekolo Ya Bonobo, on arrivera bientôt à 35 personnes. Donc le projet crée pas mal d’emplois. Et puis je suis en train de faire une campagne pour monter une bibliothèque pour les enfants, il y en a tout de même 20 000 qui viennent à Lola, et je voudrais bien commencer à stocker des livres qui ont trait à l’environnement. Mais je ne peux pas en stocker pour l’instant, il fait très humide, et il faut que j’ai d’abord ma bibliothèque avec un air conditionné pour ne pas que mes livres pourrissent. C’est un de mes rêves, faire un centre éducatif plus grand que celui que j’ai maintenant avec des endroits où les enfants pourront faire des scénettes. On a des valises avec des marionnettes, on fait jouer les enfants, il y en a un qui fait le chasseur, l’autre le bonobo, d’autres les agents du ministère. Et on demande aux enfants d’imaginer des petites comptines ou des scénettes avec les marionnettes et après, on fait des débats avec eux. Tout tourne autour de l’éducation. Et si un jour j’ai suffisamment d’argent, la première chose que je ferai, ce sont des salles destinées à l’éducation de la jeunesse congolaise, j’ai l’espace pour construire un centre comme ça.

Comment déterminez-vous les projets sociaux à soutenir ?

"On fait un arbre à problèmes avec les villageois et on en sort les problèmes majeurs. Après 20 ans de guerre, il y en a beaucoup. Au début, les villageois nous ont demandé de les aider en matière d’éducation, puis ça a été la santé, la création de dispensaires, d’associations. Si nous n’impliquions pas les populations riveraines, elles ne comprendraient pas notre action. On a crée les communautés de développement de villages avec eux également, on leur rend visite tous les mois, on essaie de leur apprendre à se reprendre en main et à avoir confiance en la vie. Les bonobos, c’est 20% de notre temps, les 80 autres sont consacrés à la population, c’est ce que l’on appelle la conservation intégrée, c’est-à-dire que l’on fait participer la population riveraine en leur donnant un peu de bien-être pour qu’ils comprennent ce que l’on fait avec les bonobos."

Décrivez-nous un peu cette belle ambiance qui règne à Lola Ya Bonobo.

"À Lola, le staff ne travaille pas seulement pour avoir de l’argent à la fin du mois. Pour les mamans de substitution par exemple, si leur cœur n’est pas dans le boulot, ce n’est même pas la peine, les bébés bonobos ne feront pas de transfert affectif. Les soigneurs eux, sont des hommes qui travaillent avec moi depuis 17/18 ans, les bonobos sont comme leurs enfants, ils les connaissent par cœur, leur caractère, chacun d’eux, chaque histoire. Tous les gens qui viennent visiter Lola disent qu’il y a une ambiance exceptionnelle, une véritable collaboration."

Comment chacun peut-il soutenir votre action ?

"Pour nous aider, il faut avoir suffisamment confiance en notre action pour nous donner de l’argent soit en faisant un don, soit en parrainant un bonobo, soit en devenant membre de notre association qui se trouve à Paris et s’appelle ABE, Amis des Bonobos en Europe ou ABC, Amis des Bonobos au Congo, basée à Kinshasa. Les gens aiment bien nous donner des choses, des médicaments par exemple pour les bonobos. Mais ils sont tellement fragiles, il faut des médicaments qui ne soient pas périmés. Et si j’offrais ces médicaments à mes hommes quand ils sont malades, ils auraient l’impression que nous n’avons pas de respect pour eux. C’est délicat... L’argent, c’est le plus simple. Et puis aller sur le site de Lola Ya Bonobo, regarder tout ce que l’on dit sur les bonobos, comment nous aider, comment venir nous rendre visite, consulter le blog où le journal du sanctuaire, où l’on y raconte un peu tout, nos joies, nos peines et la vie de tous les jours à Lola."

Par Laetitia Santos