Picasso : sa saga africa au Quai Branly

Culture

Par Laetitia Santos

Posté le 30 mars 2017

On ne le sait pas assez mais l’art primitif a inspiré le grand Pablo Picasso de façon majeure. Et si les figures des Demoiselles d’Avignon étaient librement inspirées des caractéristiques des masques africains ? Grâce à l’exposition Picasso Primitif, le musée du Quai Branly nous offre là une lumière incroyable sur l’inspiration de Picasso puisée dans les arts premiers d’Afrique et d’ailleurs tout au long de sa carrière. Un voyage artistique aux racines envoûtantes, véritable coup de cœur de la rédaction.


« Mes plus grandes émotions artistiques, je les ai ressenties lorsque m’apparut soudain la sublime beauté des sculptures exécutées par les artistes anonymes de l’Afrique. » écrit Picasso à Apollinaire dans une correspondance de l’époque qui témoigne de cet amour passionné pour les arts premiers.

Chronologie

Dès son arrivée à Paris en 1900 et ce jusqu’à sa mort en 1973, l’artiste n’a cessé de collectionner des objets d’arts primitifs, en provenance d’Afrique mais aussi d’Océanie, d’Amérique ou même d’Asie. Au fil de ses adresses et de ses ateliers, du Bateau-Lavoir à La Californie en passant par la rue de la Boétie, il s’attache à vivre au milieu d’objets inspirants en véritable collectionneur au flair aiguisé.

La première partie de l’exposition du Quai Branly, « Chronologie », le démontre parfaitement à la façon d’une enquête minutieuse. Année après année, on décortique chaque photo du peintre pour repérer un tambour Kongo par ci, une harpe kele par là, ou des sculptures Teke et Baoulé en arrière plan, on détaille sa correspondance, ses interviews pour compiler précisément la liste de ses envies africaines ou plus lointaines. Les documents d’époque sont mis en regard des pièces possédées par Picasso, de celles qu’il a pu voir, et des créations qui semblent tout droit influencées par de lointaines contrées. Le résultat est sans appel : Picasso était un mordu d’art primitif !

Des masques africains, il dira : « Et alors j’ai compris que c’était le sens même de la peinture. Ce n’est pas un processus esthétique ; c’est une forme de magie qui s’interpose entre l’univers hostile et nous, une façon de saisir le pouvoir, en imposant une forme à nos terreurs comme à nos désirs. Le jour où je compris cela, je sus que j’avais trouvé mon chemin. » Paroles puissantes d’un homme qui semble avoir puisé la vérité de la création en terre africaine…

Corps à corps

La seconde partie de l’exposition, « Corps à corps » délaisse l’historique pour se faire subjective. Les œuvres de Picasso sont présentées côte à côte avec des artistes non-occidentaux en provenance des quatre coins du monde, liens éphémères tissés spécialement pour l’occasion par le Quai Branly. Et quels liens ! Les inspirations sont frappantes, les toiles et les objets semblent se répondre et l’on ne sait parfois plus ce qui est ou non signé du maître andalou…

Picasso se fascine pour la représentation des corps dans l’art africain, qui n’a plus rien de conventionnel mais se limite à une simplicité, une verticalité, un archaïsme bien loin d’être synonyme de sous-développé mais qui pénètre l’intimité et les fondements même de l’être-humain. Des corps guidés par l’instinct avant tout, par une pulsion créatrice. Qu’il ait usé et abusé des formes archétypales, des trouvailles en matériaux de toutes sortes assemblés comme en Terra Africa, qu’il ait été un maître de la forme défigurée et abstraite et que le monstre et les entités surnaturelles se soient largement manifestées dans son oeuvre montrent combien Pablo Picasso était influencé par ces arts primitifs qu’il affectionnait tant.

« Deux trous, c’est le signe du visage, suffisant pour l’évoquer sans le représenter… Mais n’est-il pas étrange qu’on puisse le faire par des moyens aussi simples ? Deux trous, c’est bien abstrait si l’on songe à la complexité de l’Homme… Ce qui est le plus abstrait est peut-être le comble de la réalité. » Réflexion intense sur les formes qui aura sans aucun doute fait murir la réflexion artistique du père du cubisme

Si l’exposition s’ouvre sur d’immenses murs blancs sur lesquels s’apposent dates, textes et photos à la façon des pages blanches d’un carnet d’enquête où serait compilé le moindre indice, elle se termine dans le noir, dans ce qui semble être un songe où l’instinct domine et donne naissance à des formes informes, puissantes, dictées par des forces quasi surnaturelles. Les sorciers vaudous ne sont pas loin...

Période bleue, Période Rose... mais Période Nègre aussi comme l’avait appelée Cocteau, puisque la saga africa de Pablo Picasso couru toute sa vie durant à la façon d’un grand amour qui ne s’éteint jamais vraiment