Maurice Freund : Le tourisme est un sport de combat

Culture

Par Sophie Squillace

Posté le 5 mai 2016

A 73 ans, Maurice Freund nous fait le cadeau de nous raconter son parcours dans "Est-ce ainsi que les hommes volent - Mémoire d’un Robin des airs". Après la lecture de ce témoignage vivant, excitant comme un roman d’aventure, on a envie que d’une chose, lui rendre visite à Bidon, en Ardèche, pour écouter encore d’autres anecdotes et s’inspirer de la force et de l’énergie de son expérience. Ou attendre sa venue au No Mad Festival les 25 et 26 juin prochains !


Il aurait pu appeler son livre exactement comme le poème d’Aragon chanté par Léo Ferré : Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Car dans les mémoires de Maurice, c’est bien de la vie qu’il s’agit, la sienne et celle de toutes les personnes rencontrées sur son chemin. Il n’est pas question de voyages et d’exotisme dans ce livre, mais de foi inébranlable, d’une détermination absolue de changer les choses et de faire du bien autour de soi. Avec comme devise : « nécessité fait loi », l’histoire de Maurice a un écho étonnamment d’actualité pour tous ceux qui comme lui sont debout, ne lâchent rien et se battent chaque jour pour un monde meilleur.

Notre « boyscout » alsacien raconte son destin bouleversant qui l’a mené au-delà des frontières grâce à sa force naturelle, « la soif maladive de se sentir utile ». La lecture débute par une préface vibrante d’espoir de Pierre Rabhi, son « frère » avec qui il a planté beaucoup de graines, en développant l’agroécologie au Burkina Faso en 1982. Les deux hommes partagent dès le début de leur rencontre un sentiment commun : « Nous ne pouvons pas fonctionner en tant qu’êtres humains sans lutter pour plus d’égalité ».

On en apprend beaucoup sur l’histoire du Point-Mulhouse, association créée par Maurice et ses potes alors qu’ils ont tout juste 20 ans ! 1969, année magique, Maurice et son équipe affrètent les premiers avions « charters » pour voyager moins cher et très loin, en Inde, au Pérou, au Mexique... En remplissant les avions qui volent à vide, généralement les vols retour, Maurice offre des places jusqu’à sept fois moins chères que les prix des billets traditionnels. Voilà comment tout a commencé.

Décembre 1970, premiers pas dans le désert algérien, à Tamanrasset, où l’on découvre la passion de Maurice pour l’Afrique, celle qui ne le quittera plus. « Comment exprimer cette première sensation de voyage ? La rencontre de cet espace et d’un temps qui lui semble propre et vous arrache en douceur à tout ce qui a précédé ? La fête où jouent les tambours, où l’on tue la chèvre et où il n’y a personne au-delà de notre cercle ? Que nous ! Nous dormons à même le sol, parmi les hommes touaregs dans l’intimité d’une immensité ».

Mais plus que le voyage, c’est le combat qui l’anime, celui qu’il découvre en Françafrique, lorsqu’on essaie de lui mettre de plus en plus de bâtons dans les roues alors qu’il souhaite simplement poser ses avions. On comprend alors que Maurice est obstiné, déterminé, et que plus on attisera sa flamme plus il cherchera à continuer de brûler.

Le succès continue grâce à son aura, son grand cœur et son charisme qui rassemblent autour de lui. Il s’envole et emmène avec lui des milliers de voyageurs au Burkina Faso, au Nord du Mali, en Mauritanie, au Niger, au Tchad, tant de pays où personne n’aurait osé poser un avion. Il fait voyager ses fidèles « pointistes », commence à faire de l’ombre à Nouvelles Frontières, Air France et au Quai d’Orsay. Il permet à des travailleurs immigrés de rentrer chez eux, il initie les prémices du commerce équitable avec ses ponchos péruviens et ses haricots burkinabés qui voyagent en soute. Ses mémoires sont un récit haletant de ses multiples péripéties : rebondissements incessants, prison en Bolivie, sauvetage des « boat people » vietnamiens, rencontres avec de nombreux hommes politiques, faillite de sa compagnie aérienne Point Air, tentative d’empoisonnement, Maurice se bat et défend autant ses idées que ses intérêts.

Tel le phénix qui renaît de ses cendres, l’oiseau légendaire alsacien continue coûte que coûte l’aventure africaine. En 1996, il fonde la coopérative de voyageurs Point Afrique, engagée dans un tourisme équitable. Le voyage d’aventure, le vrai, c’est avec Point Afrique, qui fait rêver des milliers de passionnés de Sahara, et surtout qui fait vivre des populations isolées des pays du Sahel. Contrairement aux tours opérateurs classiques, Point Afrique était une organisation à but non lucratif. Grâce aux retombées économiques directes, le tourisme permet aux populations des zones déshéritées de rester sur place. Mais les risques de terrorisme dans les régions du Sahel ont fait fuir les touristes et tué Point Afrique. Maurice a quitté le navire et désormais, l’héritage de cette histoire exceptionnelle se perpétue dans Point Voyages, qui se développe vers d’autres continents.

Le tourisme solidaire comme levier de développement, Point Afrique nous l’a prouvé et nous laisse tout le potentiel du voyage responsable entre les mains. Loin du tourisme de masse qui cherche « le paradis du soleil et de l’oubli », ici on parle de voyages qui font sens, pour des individus désireux de rencontrer véritablement l’autre et de se sentir, comme Maurice, utiles.

On n’a pas envie de fermer son livre et que l’histoire s’arrête comme ça, et même si Point Afrique n’existe plus, grâce à son témoignage, Maurice Freund laisse la porte de nos rêves grande ouverte : « Peut-être que l’un d’entre vous imaginera sa manière de contourner l’interdit, de libérer un peu du ciel et de la terre accaparés par les guerres et les intérêts privés. »

A vos agendas ! : Heureusement, l’histoire ne s’arrêtera pas là puisque Maurice Freund sera l’invité de Babel Voyages et de son partenaire l’Office de Tourisme de Cergy-Pontoise lors de la 2ème édition du No Mad Festival le 25 juin. Rendez-vous place de la Piscine à Pontoise à 14h30 ce samedi 25 juin 2016 pour une conférence exceptionnelle autour de cet ouvrage que l’on a tant aimé.