Georges Gerin : du Plat Pays aux montagnes de sa vie

Interview voyage

Par Laetitia Santos

Posté le 21 novembre 2018

Georges Gerin, surnommé Georges Le Belge, c’est un des joyeux trublions qui a donné son essence à « Nomade Aventure », faite de fraicheur, de jeux de mots et de franches rigolades, de relations fraternelles et de beaucoup de passion. Une patte inimitable au sein du groupe « Voyageurs du Monde ». Tout comme la destinée de Georges, pas triste, car sacrément bringuebalée par les anfractuosités de la vie. À tel point qu’on a décidé de lui tirer le portrait, portrait en forme de leçon de vie tissée de beaucoup de voyages, de tout plein de rencontres, d’une vacherie d’accident vasculaire, le tout enveloppé de beaucoup d’amour, de philosophie de vie et de solidarité.


24 octobre 2018. Il est 14h lorsque je m’arrête devant le pavillon de Georges et de sa famille à Aulnay-Sous-Bois, en banlieue parisienne. Des drapeaux tibétains flottent au vent, juste là devant. Pas de doute, je suis à la bonne adresse. C’est Catherine, sa femme, qui vient m’accueillir, laquelle m’ouvre grand la porte avant que nous nous installions dans le bureau de Georges, accompagnés par un thé épicé et un crumble tout chaud. Simon, le cadet de la maison, se joint à nous puis c’est Juliette, l’aînée, qui fait une apparition. Je n’ai pas encore idée du bouleversant moment que je vais partager avec les Gerin trois heures durant…

De frères congolais en destinées de mal barrés

S’il a vu le jour en 1954 sur le sol belge, ses premiers pas eux, ont été congolais. Georges passe les cinq premières années de sa vie au Congo-Kinshasa, ancien Congo Belge, dans une province voisine de l’Ouganda et du Rwanda, aux côtés d’un père comptable et d’une mère infirmière. L’Afrique a-t-elle marqué son subconscient au point qu’il gardera toujours en lui le goût de la mouvance et de l’Ailleurs ? Assurément, cet homme là a de la terre africaine qui lui coule dans les veines…

Lorsqu’il rentre en Belgique, ses parents se font famille d’accueil. Ça rentre, ça sort, ça se mélange au sein de son foyer familial. Il a la dizaine et là encore, l’Afrique n’est pas si loin. Même chose lorsqu’il intègre un pensionnat durant ses années collèges et qu’il partage le quotidien de nombreux enfants originaires de l’ancien Zaïre.

Georges poursuit avec brio ses études dans le médico-social, se formant à un double cursus qui mêle psychopédagogie et orthophonie. Il ne se doute pas alors que la vie va lui jouer un sacré tour et priver le praticien qu’il est de toutes les facultés qu’il transmet à ce moment là durant trois années…

Rester, c’est exister. Voyager, c’est vivre !

Georges a une trentaine d’années lorsqu’il laisse son boulot d’« éboueur social » derrière lui et ses gamins mal barrés à qui il tentait de construire un meilleur avenir. Direction le Sahara, et en voiture s’il vous plaît !

Il débarque en Algérie, à Tamanrasset, et passe cinq mois en immersion totale chez les Hommes Bleus. Au contact des Touaregs qui l’inspirent tant, il se construit une solide philosophie de vie. « Il faut toujours regarder devant, plus loin, et accepter ce qui est.. » Se satisfaire de ce que l’on a, être heureux de ce que l’on fait, tel semble être le bois dont Georges est fait. Il rentre un temps en Belgique. Avant de prendre la route à nouveau. Et c’est le retour au Congo. Voilà cinq nouveaux mois à arpenter l’ancienne province du Kivu et le Rwanda voisin, où il se liera avec Edouard, un Tutsi certainement disparu lors du génocide, que Georges n’aura plus l’occasion de revoir jamais. Le massacre entre Hutu et Tutsi lui marquera le cœur en profondeur…

Au cours de ses pérégrinations, il fait la connaissance de Thierry,qui gère une jeune asso de randonnées à Paris. Il lui trouve un don indéfectible pour tisser du lien avec les locaux, se faire adopter en retour, barouder en éclaireur. Georges devient alors accompagnateur et spécialiste du Sahara bien sur, du Népal qu’il affectionnera tout particulièrement, de la Crète et de l’île grecque de Karparthos où il y rencontrera celle qui ne le lâchera plus sur le chemin de la vie, Catherine. Il arpente le globe en tous sens, de Madagascar aux Philippines en passant par le sommet du Kilimandjaro et ceux d’Amérique Latine, guide de nombreux voyageurs, fait de l’Himalaya son meilleur terrain de jeu et tisse des amitiés métissées. L’aventure dure près de cinq années avant qu’il ne se fasse repérer par Terdav, qui le débauche en 1998.

Mais sauter dans un avion à la première occasion n’est pas forcément compatible avec l’idée de fonder une famille… Alors en 2000, devenu entre temps papa d’une jolie Juliette, Georges se laisse séduire par la sédentarité et prend un poste de conseiller voyage chez Nomade Aventure, à Paris. L’agence n’est pas encore si développée, les carnets et les crayons ne sont pas rares pour prendre les réservations ! Georges devient le référent Himalaya, celui qui prend un soin tout particulier à renseigner les gens, à les aiguiller… et à les charrier ! La facétie est sa carte d’identité, comme lorsqu’entre 15 et 16h, il entre dans la peau d’un personnage inventé pour répondre aux clients qui appellent l’agence sur ce créneau ! Georges a le goût du défi, du jeu, tout est bon pour mettre du pétillant dans son quotidien. « Il y a beaucoup d’esprit de Georges dans Nomade » commente Catherine sourire aux lèvres. « Bah sinon on s’emmerde ! » rigole l’intéressé. Il n’en reste pas moins un pro pour qui le boulot doit toujours être parfait, innovant, à l’image des petits noms donnés à chaque voyage du catalogue Nomade, des soirées Écran Totalqu’il contribuera à lancer à partir de 2010 ou de l’opération Welcome Nepalipour faire venir des guides jusqu’ici.

Des sommets de l’Everest à ceux de la maladie

Mars 2012. En pleine nuit, brutalement, Georges est victime d’un AVC, extrêmement violent. A-t-il trop forcé sur le boulot qui l’occupait tel un forcené ? Quelle qu’en soit la cause, il perd cette nuit là l’usage de la parole, de sa motricité, jusqu’à être incapable de respirer. « En une nuit, il a perdu tout ce qu’il avait, tout ce qu’il savait faire » explique son fils Simon alors âgé de 10 ans au moment de l’accident. Georges perd notamment la déglutition. Les microbes lui tombent directement dans les poumons. Il enchaîne alors les pneumonies à répétition et nécessite une assistance respiratoire constante. « Et nous on a cru qu’il nous faisait une blague ! Il aimait beaucoup déconner alors on n’y a pas cru sur le coup… » poursuit l’adolescent. C’est là que Catherine, les yeux embués d’émotions, tisse un parallèle entre la destinée de Georges et les montagnes du monde qui ont toujours servi de toile de fond à sa vie : « Cette assistance respiratoire, elle faisait écho à celle dont ont besoin ceux qui s’essayent à l’ascension de l’Everest. Il y a de la montagne dans toute sa vie… »

Un voyageur de formation orthophonique qui se retrouve cloué au lit sans n’être plus capable de parler ? La vie fait preuve alors d’une cruelle ironie envers lui… Pourtant, l’Homme et le semblant de conscience enfouie qui lui reste à ce moment là ne perdent pas espoir. « Moi je voulais vivre, le reste je m’en foutais ! » Catherine le veille, lui donne lecture et guette la moindre de ses réactions pour ne pas couper la communication définitivement entre eux. « Je choisissais des sujets subtils et je guettais la moindre réaction sur son visage pour savoir où il en était de sa conscience. Cette chambre d’hôpital, c’était notre cabane à nous, un peu comme Tesson à l’abri de la tourmente dans sa cabane au Baïkal… ». Georges reste toute une année hospitalisé. Mais son infaillible volonté de vivre et sa famille resserrée autour de lui font des miracles. Comme par le passé et pourtant réduit à l’ombre de lui-même, il charme les gens à son chevet. Le personnel de l’hôpital est au petit soin, l’équipe deNomadene cesse de lui témoigner son soutien et transforme sa chambrée en agence de voyage improvisée : de grandes photos du monde viennent recouvrir les murs immaculés. « Tous nos amis ont montré qu’ils étaient là, c’est l’aspect positif, nous étions très entourés » se rappelle Georges.

9 mois après la tragédie, s’en est finit de toute la machinerie pour l’aider à respirer. 9 mois après, Georges renaît. « Les gens autour sont là pour t’aider mais nom de Dieu, c’est à toi de te bouger ! » Catherine Joriot, sa correspondante au Népal et amie proche du couple vient leur rendre visite : « Avec l’expertise que tu as, il faut te trouver un autre boulot ! » Georges peine à marcher, à articuler pour formuler ses idées, pourtant la graine est semée et le couple galvanisé : quelques mois plus tard, il devient gestionnaire d’un fonds photos pour Nomade Aventure qui ne l’a pas abandonné.

Près de 7 ans après l’accident, Georges ne coupe pas à ses 9 rendez-vous médicaux par semaine. Ce battant qui souffre encore d’aphasie, de la paralysie d’un de ses bras, d’une difficulté à se mouvoir et d’importantes fluctuations de l’humeur, a miraculeusement recouvré la vie. Il est même retourné au Népal en avril dernier. 17 jours de voyage partagé avec son fils et ses amis Népalais entre Katmandou, Pokhara, le Teraï et les Annapurna.

De cette incroyable histoire, la famille Gerin en a tiré une force et un liant incroyable. À l’image de Simon, à peine majeur, et pourtant si plein de profondeur : « Tout peut s’arrêter demain, ça je ne le sais que trop bien. Mais lui c’est un battant. Alors s’il m’arrivait quelque chose comme ça, je serais obligé de faire pareil. Quant au voyage, c’est un truc de fou ! Ça change tellement de choses... Ça change la manière de voir. Car face à la montagne, tu n’es rien. Avant, je réfléchissais comme un citoyen d’Aulnay-sous-Bois, maintenant, comme un citoyen du monde… » À l’image de Catherine aussi, bouleversante de forces et de sensibilité qui n’a jamais cessé de croire en sa famille, même au plus fort de la tourmente. « C’est dur tous les jours, c’est une bagarre quotidienne… Mais ça n’a pas altéré ma joie de vivre… » Et Georges, ce héros ordinaire de rajouter : « Je savais que tu étais là avant, et que tu serai là après… Je ne regarde pas tellement derrière. Cet accident, c’est une saloperie mais on n’a qu’une vie, il faut se la rendre belle ! Le voyage m’a appris que nous sommes tant à vivre avec peu… il faut vivre avec, et bien vivre !»

Georges Le Belge en a soulevé des montagnes dans sa vie, lui pourtant originaire du Plat Pays… Libre à chacun de s’inspirer de son incroyable destinée…