Evrard Wendenbaum : "L'écotourisme est une alternative économique basée sur la bonne santé de l'écosystème"

Interview voyage

Par Laetitia Santos

Posté le 14 mai 2019

Voilà un homme à la trempe peu banale : véritable passionné de nature et d’exploration, Evrard Wendenbaum arpente les coins les plus reculés de ce monde pour tenter de les sauver et de leur insuffler un équilibre neuf. C’est ainsi qu’il a fondé "Naturevolution" il y a 10 années, pour protéger le spectaculaire massif du Makay à Madagascar dont l’ONG est devenue gestionnaire depuis.


Grand sensible dans l’âme, d’un calme tranquille et d’une douceur touchante, c’est aussi un révolté vif par les exactions subies par Dame Nature, un sportif qui n’a pas froid aux yeux et un ardent défenseur de la cause environnementale.

Evrard Wendenbaum sera un des grands invités du No Mad Festival 2019. Il sublimera ainsi la soirée d’ouverture de ce vendredi 14 juin dès 20h et sera à nos côtés pour échanger avec le public suite à la projection de deux de ses films : "Madagascar, expédition en terre Makay" suivi de "Scoresby, les murmures de la glace". Une grande soirée d’aventure et d’engagement. Immanquable.

Evrard, comment en es-tu venu au métier d’explorateur ? Ça fait rêver mais ce n’est pas donné à tout le monde !

« Je n’ai pas la sensation d’être devenu explorateur. Je suis né dedans, j’avais ça en moi. Je suis originaire des Alpes et très vite, j’ai été attiré par la montagne, la nature, les animaux, la forêt… J’avais la chance d’avoir des parents prêts à nous laisser faire des choses, mon grand-frère, ma grande sœur et moi. On était tout le temps dehors, je n’ai pas le moindre souvenir de jeux de société ! D’ailleurs j’ai une sainte horreur des jeux de société et des jeux vidéos ! (rires) Enfant, l’exploration, c’est juste à l’extérieur de chez toi. Quand tu grandis, c’est le massif d’à côté, ou la montagne la plus haute du coin. C’est donc une simple progression. Et puis je me suis nourri des récits que je lisais, du festival d’Autrans également, sur les films de montagne... La notion d’ailleurs et la découverte totale me faisaient rêver. Au début je faisais beaucoup de choses en montagne mais lorsque je n’ai plus eu besoin de m’accomplir en tant qu’athlète, j’ai trouvé mon véritable créneau : la protection de la nature. Je le savais depuis petit finalement même si je n’avais pas idée de comment le mettre en oeuvre. Mais dès l’instant où j’ai trouvé, je me suis lancé à fond dedans. Je ne sais pas si je suis vraiment un explorateur mais j’ai besoin d’aller découvrir des coins où personne ne va. Déjà tout petit avec mon frangin, on n’était jamais sur les chemins mais toujours dans les coins paumés et les ravins pourris ! (rires) »

Comment as-tu découvert le Makay ensuite, ce massif malgache avec lequel tu as un lien tout particulier ?

« Depuis longtemps, je savais que Madagascar était un pays regorgeant d’une très grande biodiversité, ce qui était déjà suffisant pour m’attirer. Ensuite j’ai vécu une année aux États-Unis, dans l’Ouest américain, pendant laquelle j’ai passé mon temps à explorer les parcs nationaux. Là, il n’y a personne, tu vois des animaux de partout, c’est juste fabuleux ! Et puis cette immensité... c’est tellement extraordinaire ! En rentrant, j’étais en manque de grandeur et de nature sauvage. Je devais terminer mes études mais ça coinçait, je n’en avais pas très envie, je ne savais pas où aller... Je n’étais pas dépressif non plus (rires !) Mais j’étais dans la phase où je me cherchais et c’est là que je suis tombé sur une émission d’*****Ushuaïa Nature*,* Les Sortilèges de l’île Rouge, où l’on voyait Hulot arpenter plusieurs territoires de Madagascar, dont le Makay. Ça a été une révélation absolue ! Visuellement, c’était très attractif et le commentaire du film disait que ça n’avait jamais été étudié, qu’il y avait tout ce qu’il fallait pour découvrir des tonnes de trucs… Et là je me suis dit : "* C’est pour moi ce machin là !!" (rires) ! Et j’y suis allé… »

Et alors, qu’y as-tu découvert de merveilleux qui t’a particulièrement touché au point que tu lui dédies ta vie à ce Makay ?

« Où que j’aille, je suis un peu gamin, je m’émerveille de plein de choses ! Le Makay, ça m’a bouleversé principalement parce que c’était en mauvais état quand je l’ai découvert. Puisque le commentaire d’Ushuaïa disait que ca n’avait jamais été pénétré, je m’attendais à un monde perdu intact et protégé. Mais la réalité n’était pas du tout celle-là ! Où que tu ailles, il y a des traces de passages, de feu, de coupes… Toujours quelque chose pour t’indiquer la marque des Hommes. Et c’est ce qui m’attache le plus à ce territoire : une colère et un désarroi face aux agissements de l’Homme sur un territoire qui ne peut pas être économiquement et socialement viable. On ne peut pas s’y installer et y cultiver. Et je me dis que là où on ne peut aller, il n’y a pas de raison que ce soit détruit. Pourtant c’est le cas. Quand on creuse, on comprend que les populations locales n’ayant plus ce dont elles ont besoin pour leur survie finissent par aller dans le Makay pour chercher des tubercules, des lémuriens, du miel, y cacher leurs zébus pour qu’ils ne leur soient pas volés et donc y mettent le feu pour que de l’herbe verte repousse afin que leurs bêtes puissent paître… Toutes les dégradations s’expliquent et ne sont pas sans fond.

Mon attache vient aussi du fait que le terrain de jeu me correspond parfaitement : un relief très difficile d’accès, des activités multiples où il faut tour à tour marcher, grimper, ramper, nager… C’est le genre de truc que j’adore ! »

Naturevolution est né de ce constat et de cette révolte envers la dégradation de ces mondes perdus, n’est-ce pas ?

« Oui, c’est né d’une révolte intérieure. Un jour, après un très beau parcours de crêtes, très engagé, où je m’étais fait un peu peur, j’avais poussé l’adrénaline, je suis arrivé sur un point de vue somptueux. Mais là... Toutes les petites forêts que l’on voyait étaient brulées, noires ! J’en ai chialé ! Tellement ça m’a pris aux tripes… En ayant cette vision, tu te dis que ce n’est pas acceptable.

La question qui vient après, c’est "Qu’est-ce que je fais ?" À ce moment là j’avais 27 ou 28 ans, je n’étais pas conservateur de la nature, je n’étais pas un scientifique non plus même si j’ai un background de géologue. La première étape a donc été de mobiliser des scientifiques pour ramener des preuves qu’il y avait une biodiversité particulière. Et puis Il me fallait une structure pour gérer des fonds, alimenter le projet… C’est comme ça qu’est né Naturevolution*, pour le Makay.*

C’est devenu bien plus vaste aujourd’hui, mais le projet Makay en particulier a pris une ampleur énorme puisqu’il s’agit de presque 30 personnes qui travaillent dessus, ici ou à Madagascar. C’est une aire protégée depuis deux ans, dont Naturevolution est gestionnaire. Donc c’est sur que ça change pas mal de choses et c’est un début d’accomplissement. Un début seulement ! Le fait que ce soit une aire protégée n’est qu’un décret, le tampon d’un ministre sur le papier mais concrètement, sachant que l’État malgache ne fait rien et ne fera rien, ça veut dire que nous, nous devons trouver les ressources financières, humaines et que l’on fasse les bons choix pour que tout l’écosystème humain et naturel fonctionne de manière durable sur les lieux. Ça signifie trouver des alternatives économiques, mieux éduquer les populations, faire des projets de reboisement pour qu’ils n’aient plus besoin de saccager les forets primaires pour leurs besoins quotidiens etc. »

Est-ce que tu sens l’évolution depuis dix ans justement ? Constates-tu une amélioration de cette cohabitation entre l’Homme et la nature dans le Makay ?

« Complètement ! L’écotourisme par exemple, est une voie qui prend bien dans le Makay. En terme de chiffres, ce n’est rien du tout : l’année dernière, seules 150 personnes ont visité le Makay ! Autant dire que c’est très peu. Mais c’est en progression constante et c’est une des activités qui s’explique le mieux aux populations locales puisqu’elles en voient directement les retombées. Les pisteurs, les porteurs, les cuisiniers vont travailler quelques jours et avoir leur salaire directement derrière. Dans la foulée, ils peuvent donc s’acheter un zébu, emmener leurs enfants à l’école etc. Quelque chose change et améliore leur vie. Et surtout, ils se rendent compte - et c’est en ce sens que je trouve que l’écotourisme a une vertu énorme - que c’est une alternative économique qui est basée sur la bonne santé de l’écosystème. Plus la forêt est belle, plus il va y avoir de lémuriens et autres espèces, plus il va y avoir de personnes qui vont vouloir visiter ces lieux et donc plus la rémunération locale est importante. Nous ne sommes pas là pour travailler en tant que tour-operator mais pour cadrer ce développement écotouristique.

L’apiculture, c’est pareil, nous avons lancé cela et c’est vertueux de la même manière : plus la forêt est en bonne santé, plus il y a de fleurs et donc d’abeilles qui butinent, plus nous produisons du miel et donc plus cela rapporte d’argent !

Les missions éco-volontaires ont été lancées en 2012. L’idée, c’est de proposer à des gens lambda de nous filer un coup de mains à quelque action que ce soit. Une fois nous construisons une école, ensuite on s’attèle à du reboisement, une autre fois on fait de l’apiculture ou de la science participative, une fois encore de l’animation scolaire... Il y a une petite difficulté là-dedans : ma quête de départ était de faire en sorte que l’éco-volontaire soit en appui d’actions que nous menons déjà. Dans la majorité des cas c’est ça, mais on s’aperçoit qu’il y a une attractivité bien plus forte sur la science participative par exemple plutôt que sur la construction d’une école. Donc on est toujours en train de se demander si l’on garde l’absolue liberté de nos missions avec le risque qu’on ne les remplisse pas. Et quand tu ne les remplis pas, tu n’as pas de retombées économiques qui te permettent de faire avancer les projets ensuite. De la même façon, si tu n’as que deux personnes, tu ne fais pas le même boulot que si tu en avais dix avec toi. Il y a donc un équilibre à trouver mais nous ne sommes pas un tour-operator et on ne doit pas l’être. Cependant, nous avons de plus en plus de demandes et je trouve ça vraiment positif parce que c’est une belle chose que les gens ne partent plus juste pour se dorer la pilule mais qu’ils aillent donner de leur temps et de leur énergie. »

Est-ce que de la même manière ta vision est optimiste quant au fait que l’on puisse réussir à sauver et préserver ce qui reste de notre environnement ?

« Non. Je vais être très clair : je ne suis pas du tout optimiste. En revanche, ce n’est pas pour ça qu’il faut baisser les bras. Au contraire. Plus ça me déçoit, plus je me sens révolté et plus j’ai envie d’agir. Je pense qu’il n’est jamais trop tard pour agir, il faut essayer, tout donner. On dit que de toute façon, il va y avoir de nombreux morts, beaucoup de migrations et de conflits liés au réchauffement climatique, à la dégradation de l’habitat naturel etc. Oui ! Des millions peut-être. Mais si on fait quelque chose, ça se limitera à des centaines de milliers ou des dizaines de milliers. Donc ce n’est jamais débile de faire quelque chose ! Je ne comprends même pas que l’on se pose la question. Ce n’est pas de l’optimisme pour autant car je vois tout ce qu’il se passe, notamment à Madagascar : on a beau essayer de faire avancer la cause du Makay, l’environnement à Madagascar c’est une catastrophe. C’est **le pays qui a subi la plus importante déforestation en 2017. Sulawesi, idem. Quand tu te balades dans ces coins et que tu rencontres des gens qui sont très actifs dans le domaine de la conservation, tu ne peux pas être optimiste honnêtement, ce n’est pas possible. Par contre ça n’empêche pas d’avoir envie d’agir, bien au contraire, c’est un moteur cette révolte dont on parlait tout à l’heure... »

Si l’on s’attache au Groenland à présent et à cet autre terrain de jeux de Naturevolution, le Scoresby Sünd, dont vous avez fait un film également « Les murmures de la glace »**, peux-tu nous en conter quelques mots ?**

« On est parti deux mois, on a rejoint le Scoresby en bateau avant de se retrouver en autonomie durant cinquante-cinq jours avec une quinzaine de personnes dont six scientifiques. Les biologistes travaillaient plutôt sur les bœufs musqués, la grippe aviaire, les populations de loups arctiques et les adaptations des plantes. Les glaciologues, géophysiciens et autres travaillaient quant à eux sur la mécanique des glaciers, l’accélération de la fonte du Groenland etc. Nous avions un camp sur la toundra, un camp sur les montagnes qui s’est transformé en une multitude de camps au fur et à mesure que nous avons progressé de plus en plus haut. Il y avait un plongeur-apnéiste également, venu pour plonger avec les narvals et les étudier. Mais pendant trois semaines, on n’a pas vu un seul narval ! (rires) C’était multi-compétences cette expé et vraiment génial, d’autant plus pour moi qui y allait pour la toute première fois. Peut-être aussi parce que ça m’a rappelé mon parcours d’alpiniste étant plus jeune. J’ai adoré parce que je suis aussi très attaché à la lumière et là, à longueur de journée, c’est tout le temps magnifique, c’est tout le temps rasant, tout rose… L’endroit est extraordinaire ! »

De quoi tous ces voyages t’ont le plus nourri en tant qu’homme ?

« Dans la manière que j’ai de m’adapter. Je sens que je n’ai plus du tout la même dose de stress face aux aléas, aux dangers. Je ne ressens plus la moindre angoisse à l’idée de faire ce que je n’ai jamais fait avant. Je trouve ça chouette, ça me libère de quelque chose. Même si ça peut parfois poser problème parce que mes compagnons d’expédition n’ont pas la même appréciation du danger (rires) ! J’ai encore conscience du danger bien sur mais ça ne me freine pas.

J’ai une boulimie de faire et d’agir toujours plus grande aussi. Chaque fois que je mets le pied dans un truc, je ne sais pas m’arrêter, je suis pieds et poings liés. J’ai besoin de tout ça. Plus seulement de parcourir le monde mais d’agir concrètement. L’expé du Groenland, elle m’est énormément reprochée parce que dans le film, on a l’impression qu’on ne fait que s’éclater. Et c’est vrai que ce film ne montre que ça parce que c’est ce qu’il y a de plus visuel et spectaculaire. Mais la réalité était toute autre : deux mois d’une mission scientifique durant laquelle nous avons collecté plein d’infos. Et où l’on s’est octroyé de temps en temps le plaisir d’aller plonger dans un moulin, de descendre en packraft une rivière gelée, d’enfiler une combinaison pour faire du toboggan dans la glace… Ça paraît con mais ce sont des moments où tu relâches un peu les soupapes. Et voilà que l’on me reproche une expédition pour le plaisir sous couvert de quelques notions de science. La réalité elle est toute autre : je ne peux plus faire une expédition sans engagement. Aujourd’hui, je me sens défenseur de la nature et c’est la seule chose qui m’anime. De temps en temps j’arrive à le partager avec les clients comme sur les voyages Nomade Aventure, lesquels deviennent à leur tour des ambassadeurs de Naturevolution*. Ça crée un écosystème vertueux.*

Aujourd’hui je ne sais plus faire une expédition juste pour moi mais il y a des moments où je pète un câble parce que la défense de la nature, c’est vraiment ingrat ! On lutte avec trois kopecks, en face il y a des multinationales d’huile de palme et autres cochonneries qui dilapident tout en deux temps trois mouvements. C’est très dur psychologiquement. Il y a des moments où je craque, de plus en plus fort, de plus en plus bas. Heureusement jusque-là, l’émerveillement a été plus fort. Mais c’est un difficile équilibre… »

AGENDA : EVRARD WENDENBAUM sera l’invité de la soirée d’ouverture du NO MAD FESTIVAL 2019 aux côtés du photographe malgache PIERROT MEN le vendredi 14 juin prochain à 20h00. Il sera également en conférence le samedi 15 juin à 16h00 sur la thématique des expéditions scientifiques et naturalistes à l’Office de Tourisme de Cergy-Pontoise.
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