Art et artisanat martiniquais, une ré-appropriation culturelle et identitiare

Société

Par Adèle Boudier

Posté le 19 février 2019

Photo Sources: Pierre-Etienne Vincent.

Terre au passé douloureux, terre dominée, terre révoltée, c’est une Martinique d’art et de traditions que vous découvrirez ici. Pour une terre à la culture redéfinie par sa population et où la fierté collective se (re)construit par la transmission de connaissances ancestrales. Découvrez avec nous quelques-uns de ces savoir-faire transcendant les générations.


À l’heure où l’artisanat peine bien souvent à survivre face à la mondialisation, le voyage est l’occasion de renouer avec le « fait-main », de retrouver l’humain derrière l’objet et de partir à la rencontre de ces personnes dont la pratique de leur art illustre revendications et engagement fort.

La vannerie en bakoua, un art de vivre martiniquais

Issu d’un savoir-faire traditionnel, le chapeau bakoua doit son nom à un arbre prêtant ses feuilles pour ce tressage minutieux. Venu de l’Océan indien, ce pandanus sanderi, donne place à un art de vivre issu des populations autochtones. De quoi accompagner le quotidien d’hommes et de femmes, autant en mer que sur terre : pêcheurs, ouvriers agricoles et marchandes arborent ainsi cette coiffe aux mille facettes. Vous serez surpris par le nombre de formes, leurs secrets et significations.

Le tresseur et artisan-chapelier Jean-Louis Marie-Rose, dont le savoir-faire lui a été transmis par ses grands-parents, nous explique que les grand chapeaux pointus des « patrons pêcheurs » se révélaient être de réels « trousses de survie », la coiffe étant assez grande pour cacher des grigris et de quoi faire un feu pour ne pas se perdre en mer.

Les amarreuses quant à elles, ces femmes réalisant des bottes de cannes à sucre dans les champs, gardaient dans le double fond de leur bakoua **, de quoi se changer** si elles étaient indisposées et de quoi se soigner en cas de blessure. Des astuces pour l’utilisation quotidienne d’un objet faisant partie intrinsèque de la culture et de l’histoire martiniquaise.

Un artisanat aujourd’hui revu au goût du jour par certains artisans tout en défendant la transmission de ce savoir-faire en Martinique. « Au début, je faisais des chapeaux et des nattes, aujourd’hui, j’en ai fait mon métier pour préserver l’artisanat martiniquais en le modernisant » nous précise Jean-Louis qui apporte le bakoua jusque dans le monde de la haute-couture.

La défense de l’artisanat à Saint-Pierre

Pierre-Etienne Vincent ©
Labellisée ville d’Art et d’Histoire, Saint-Pierre vaut le détour. À l’entrée de la ville, de grands totems artistiques découpant la vue sur la baie donnent le ton. L’heure est au chinage dans une ville faisant place à des artisans talentueux, tout en tendant malheureusement vers le « made in China ».

Découvrez donc « Sable & Cendre », une boutique-atelier reflétant le talent et la douceur de Miguelle, ancienne directrice de crèche ayant suivi sa passion pour la terre. Avec une formation Art et techniques de la céramique et son diplôme de tourneur-céramiste en poche, elle se consacre aujourd’hui à sa passion, façonnée par son identité créole et l’envie de montrer ce que la Martinique a à offrir. Une envie forte de transmettre à un jeune public, avec la conviction que son développement passe en grande partie par la créativité.

Même ville, autre atmosphère : embarquez maintenant pour le 1902, une boutique aussi loufoque que Jean-Yves, son propriétaire : « Ce fut un vrai coup de foudre. J’ai été surpris par cette ville un peu délaissée, à l’histoire forte ». Métropolitain arrivé il y a dix ans à Saint-Pierre, ce passionné d’art à la carrière médico-sociale, est allé à la rencontre des artisans et créateurs locaux. « Une boutique qui n’a pas de produits locaux n’est pas une boutique citoyenne », nous affirme-t-il lors d’une visite de ce « bazar organisé ».

Fouillez, déambulez et n’hésitez pas à poser des questions à Jean-Yves, qui prendra plaisir à vous montrer les produits tout en vous présentant les hommes, femmes et projets qui se cachent derrière. Des bijoux en pierres de lave, des sculptures en calebasse, des foutah locales ou encore du savon artisanal, et de nombreux projets artistiques de réinsertion derrière, laissez-vous surprendre par cette boutique déroutante et les récits de vie dépeints par son propriétaire. À surveiller de près : bientôt ouvrira un « salon des curiosités », entre art et histoire, juste à l’étage de la boutique.

Fort-de-France alternatif

Loin du parcours touristique traditionnel, vous trouverez des initiatives artistiques illustrant la volonté d’une génération de se réapproprier son identité et de mettre en avant ce qui la représente selon elle. En effet, qui de mieux placée que la population elle-même pour définir ce qui relève du patrimoine (matériel et immatériel), ce qui fait sens pour elle, et la façon dont elle veut le transmettre ?

Loin des institutions, prenons l’exemple de l’association Un œuf, une maison d’artistes s’inscrivant dans un style qu’ils définissent comme « neo-doudouisme », défendant leur liberté dans la définition et la transmission d’une identité créole métissée, tant par son histoire, sa population, que son environnement naturel. Une expression artistique s’exprimant hors les murs également, comme vous pourrez le voir en vous baladant le long du Canal Levassor, dont les murs sont les supports d’œuvres artistiques et pédagogiques, en lien avec des établissements scolaires des environs.

Crédit photos : première et troisième photos : ©Pierre-Etienne Vincent