Aga : chez les Iakoutes, une ode délicate au mode de vie séculaire

Culture

Par Laetitia Santos

Posté le 21 novembre 2018

Une œuvre à la beauté plastique superbe, une plongée dans l’intimité d’un couple de pêcheurs iakoutes livrés à eux-mêmes dont la vie s’écoule solitaire et rude en pleine glace sibérienne. Avis aux amateurs de silence et de contemplation…


Pas étonnant que le Festival du Film de Cabourg ait décerné son Grand Prix à ce documentaire fictif signé du bulgare Milko Lazarov. Le film, tourné avec le charme du 35 millimètres, fait un travail de photographie absolument superbe que l’on savoure à un rythme alangui, comme engourdi par le froid de cette lointaine Sibérie, et à l’image de cette vie de rudesse imposée par le milieu.

Entre l’immaculé et glacial blanc des étendues du Grand Nord, et la pénombre chaude et rassurante de la yourte, on suit le quotidien de Nanouk et Sedna, lesquels vivent isolés de tout et de tous, à l’exception d’un fils qui vient les visiter à de rares occasions. De la modernité surtout, et de leur fille Aga, qui a fait choix de partir travailler à la mine de diamants, ce que ses parents ne lui pardonneront que trop tardivement.

Un thé que l’on coule dans une tasse de fer, un poisson séché que l’on découpe en fine lamelles au couteau qui vient cogner la table, le feu qui crépite et assure la survie, le silence entrecoupé de quelques mots simples de partage quotidiens... Voilà de quoi se compose la bande-sonore d’Aga, qui semble sublimer le moindre détail de la vie où chaque geste compte.

Pourtant, même aux confins de la terre, la modernité s’immisce inévitablement : les avions viennent rayer le ciel de leurs trainées de condensation, la radio interfère avec l’histoire murmurée du soir, la motoneige ne peut s’empêcher de souiller d’une huile noirâtre la pure blancheur de la neige. Et puis ce printemps, qui arrive toujours plus en avance comme le fait remarquer Nanouk, constat simple qui annonce pourtant le poids immense du réchauffement climatique.

On s’attache à ce tendre couple qui semble tout partager, la pêche, la soupe, la reprise des filets, la toilette, le traineau à décharger de ses énormes blocs de glace qui serviront à lester la yourte en cas de tempête, des chants le soir qu’ils fredonnent collés l’un à l’autre, les ombres du feu qui dansent sur la toile de tente… Dans cette intimité toute en simplicité, en communion totale avec l’environnement, la conscience est si pleine et aiguisée que l’on entend les moindres pierres s’entrechoquer, la neige crisser, la mélodie de la langue vibrer en harmonie, jusqu’au moindre souffle ralenti de Sedna lorsque la douleur la fait souffrir.

Lorsque celle-ci s’en va au lendemain d’un rêve aussi poétique que prémonitoire, sans autre remous que cette respiration pénible, Nanouk s’oblige à se mettre en route vers cette civilisation qui l’a gardé si longtemps éloigné de ses enfants et de sa fille particulièrement. Les énormes trucks avec cargaisons de cadavres de bois remplacent le petit traineau à chien, le gisement béant de la mine marque d’une plaie immense des étenudes de nature jusque là vierges, l’immensité de la ville contraste avec le point insignifiant que représente la yourte de Nanouk dans l’infini de la toundra...

L’accomplissement de sa vie d’authenticité et de son histoire d’amour tendre nous a captivés. Force est de constater que pour survivre, c’est vers le monde moderne qu’il a finalement du se tourner. On se résigne mélancolique à voir disparaître le seul mode de vie pourtant encore capable de sauver notre belle planète aujourd’hui...