Par Laetitia Santos
Posté le 23 avril 2020
Le 6 mars dernier, Abner Septembre, sociologue, environnementaliste et entrepreneur haïtien, a été intronisé Ministre de l'Environnement en Haïti.
Ami et référent de Babel Voyages sur l'île depuis 2017, date à laquelle Abner nous avait reçu dans sa maison des Mornes à Vallue où prend vie un véritable écotourisme de montagne, nous lui avons adressé un courriel de félicitations et en avons profité pour quelques questions au passage afin de savoir comment il abordait sa nouvelle fonction.
Car rappelons qu'à ce jour, Haïti est un des pays les plus pauvres au monde et que sa situation environnementale est loin d'être le seul enjeu de taille pour le gouvernement du Premier Ministre Joseph Jouthe sous la présidence de Jovenel Moïse, en place depuis trois ans maintenant.
Partage d'un morceau de courrier, entre chaleureuses pensées et réflexions socio-politiques...
Abner, peux-tu nous expliquer en quelques mots comment tu en es arrivé à obtenir ce poste de ministre de l’environnement haïtien ? Qu’est-ce qui t’a mené là ?
« C’est principalement les résultats de mon travail dans le secteur, et aussi mes différentes communications sur le sujet.»
Peux-tu nous décrire l'actuelle situation environnementale en Haïti ? Quelles sont ses forces et ses faiblesses selon toi ?
« Une situation de dégradation avancée de l’environnement physique, notamment des mornes qui forment environ 75 % du territoire national. À cela s’ajoutent, d’une part, une mauvaise gestion des ordures, véritable source de pollution pour la santé humaine, et d’autre part, une exploitation inappropriée des ressources naturelles mettant en péril des espèces endémiques du pays, végétales et animales.
Les forces sont à la fois les différents microclimats que possède le pays, favorables à une production diversifiée d’une zone à l’autre, et les grandes opportunités que constitue une valorisation des déchets en matière de production agricole (compost, par exemple) et artisanale, source en même temps de création d’emplois.»
Quels vont être les grands enjeux de ton poste pour les années à venir ?
« Avec les défis du changement climatique, une bonne gestion de l’environnement est de rigueur. Si les personnes qui vivent en Haïti ne s’y mettent pas ou ne s’y conforment pas, on peut s’attendre à une situation catastrophique. Les ressources naturelles comme l’eau et les aliments, par exemple, vont diminuer et les conflits se multiplier et compromettre tout ce qui est « vivre-ensemble » et progrès. C’est pourquoi il faut une bonne politique environnementale, mettant l’accent sur l’éducation environnementale intégrée avec pour prescrit « l’homme au service de l’environnement », prônée par un état visionnaire qui en fait le pivot des actions gouvernementales, et inscrite dans un triple schéma de réceptivité citoyenne, de mesures incitatives et dissuasives. C’est la clé pour changer l’image d’Haïti et sa place dans le concert des nations.»
Comment comptes-tu exercer tes fonctions ? Quelle sera ta griffe et le combat qui va tout particulièrement te tenir à coeur ?
« Arrivé le 6 mars 2020 à la tête du Ministère de l’Environnement, je compte marquer mon passage à travers trois focus :
*- une vision de continuité, de redressement et de renforcement des grands chantiers, ayant un fort potentiel de rentabilité, tout en incluant aussi ceux de moindre envergure qui le méritent ;*
*- une vision de territoire axée sur une nouvelle architecture de gouvernance, dite publique privée communautaire, pour une meilleure exploitation des ressources naturelles, dans un contexte de changement climatique, et une meilleure prise en charge des écosystèmes et de la biodiversité dans nos sections communales en général et dans nos montagnes en particulier, avec impact positif direct sur nos plaines, nos villes, le littoral et l’écosystème marin ;*
*- une vision de « ville verte et propre », contribuant à l’amélioration de la qualité de l’air en milieu urbain et à l’espérance de vie des habitants, et aussi de gestion intégrée du littoral, des écosystèmes marins et de la biodiversité.*
C’est cette vision tri-dimensionnée qui sert d’ancrage à sa compréhension de la fonction principale du ministère de l’environnement, qui se veut aussi tripolaire, c’est-à-dire :
*- une fonction de normalisation qui consiste à imprimer les grandes orientations, à conduire les réformes nécessaires à la restauration de l’environnement, et à guider le comportement des acteurs dans tout ce qui concerne « comment habiter, exploiter et valoriser notre espace terrestre, maritime et aérien » ;*
*- une fonction de régulation qui consiste à contrôler, suivre et évaluer la mise en application et le respect des normes et marches à suivre, légitimant son rôle de gardien de l’environnement et faisant aussi de lui un ministère régalien avec pouvoir de coercition ;*
*- une fonction d’accompagnement et de renforcement des acteurs de la société civile, notamment de proximité, avec lesquels des protocoles de partenariat seront signés.*
Bref, tout cela vise à sortir les actions et pratiques du Ministère de l’Environnement de la routine pour améliorer son efficacité et pour apporter à chacun de ses cadres contributeurs un sentiment de satisfaction personnelle et la fierté du travail accompli. Ce cadre est surtout en adéquation avec une demande sociale, tout en s’alignant sur les trois priorités de l’administration Moïse-Jouthe : la sécurité publique, la réduction des inégalités sociales et la relance économique. Il s’inscrit aussi dans le nouveau contexte du COVID-19, faisant planer le spectre d’une famine imminente et, conséquemment, des risques pour l’environnement.»
Toi qui est originaire de Vallue et d’une communauté rurale de montagne, penses-tu qu’un tourisme durable puisse servir l’environnement haïtien et si oui, de quelle manière ?
« C’est évident. On a fait l’expérience à Vallue. À la reprise, nous allons continuer à le faire. Parce que le tourisme confirme le rôle d’acteur des gens, valorise ce qu’ils ont et ce qu’ils sont, leur savoir et savoir-faire, tout en leur permettant en retour de gagner un revenu additionnel, de s’ouvrir aux autres, de tisser des liens sociaux durables et de vivre avec le sentiment de ne pas être isolés. Ça donne confiance et aide à prêcher par l’exemple. Le touriste peut être partie prenante de la protection de l’environnement, en participant et en contribuant à différents niveaux, ici et ailleurs. C’est pourquoi il faut avant tout choisir le modèle du tourisme responsable (écotourisme, agritourisme, tourisme communautaire, tourisme éco-montagne, par exemple), qui s’inscrit dans un schéma de développement durable.»
Bon courage, Abner, pour remplir au mieux la mission qui t'a été confiée...