Scientifique spécialisé sur les mammifères marins et accompagnateur en mer sur l'île de La Réunion
Scientifique passionné de mammifères marins, Fabrice Schnöller est installé à La Réunion pour travailler sur le projet Darewin, qui étudie l'acoustique comportementale des dauphins, baleines et autres cachalots au large de l'île. Centralien diplômé d'un Master 1 en biologie, véritable puits de savoir dans son domaine et entièrement dévoué à la cause marine - jusqu'à sa 2CV customisée ! - Fabrice est l'interlocuteur idéal si vous rêvez de nager en pleine mer au beau milieu des dauphins et des baleines.
Ne vous y trompez pas toutefois, le boulot de Fabrice n'est pas de rendre les touristes heureux en les baladant mais bel et bien de récolter des données scientifiques à analyser. Avec lui sur le bateau, ça ne rigole pas, ça bosse ! Et si l'envie vous prenait de faire le zouave ou de ne pas suivre les consignes une fois à la baille, Fabrice n'aurait aucun remord à vous sortir de l'eau sans tarder et à vous rabattre les oreilles. Expert dans son domaine, habitué à initier des plongeurs novices à de superbes rencontres avec les géants de l'océan Indien, le seul lien de Fabrice avec le monde touristique est son alliance avec l'agence de voyages Escursia, spécialisée sur les voyages nature et scientifiques. Afin de sensibiliser le grand public à la cause des cétacés, Fabrice reçoit régulièrement des éco-volontaires motivés pour vivre une expérience hors norme tout en participant à un projet engagé.
Sachez que si vous plongez avec Fabrice, ce sera sportif ! Levé à l'aube pour profiter de la mer tôt le matin, lorsque les conditions sont optimales, des sorties moyennes de 4 à 5 h passées sur le bateau, une mer qui peut être agitée par les alizés, des estomacs qui peuvent ne pas supporter, des plongées avec palmes, masque et tuba en pleine grande bleue, vagues comprises… Le rêve a un prix !
Ici, un comportement de consommateur ne plaira pas : ce que vous paierez servira un projet mais ne vous donnera pas la certitude de ce que vous verrez sous l'eau pour la simple et bonne raison que les dauphins et les baleines sont des animaux sauvages et que la rencontre ne se fera qu'avec leur consentement et dans le plus grand respect des animaux. Hors de question de poursuivre les animaux en mettant plein gaz pour se jeter à l'eau brutalement dès qu'un groupe passe. Avec Fabrice, on apprend le respect, la mise à l'eau en douceur, l'attente, on laisse l'animal venir quand il le décide. A chacun sa chance donc. Mais étonnamment, Fabrice et son équipe ont presque toujours des visites de leurs petits protégés contrairement aux écoles de plongée voisines… À croire que les animaux ont compris que cet homme là leur témoignait un respect infini…
- Quel est l'objectif du projet Darewin ?
"Au départ, j'ai créé ce projet scientifique avec une bande d'amis puis petit à petit, on a voulu rendre cela sérieux en s'entourant de scientifiques. Ce que l'on a toujours voulu, c'est comprendre ce que l'on voit sous l'eau, ces animaux qui sont venus nous voir en faisant différents bruits et sifflements. Pourquoi viennent-ils nous voir ? À quoi correspondent ces bruits ? Et c'est là que l'on a décidé de se spécialiser dans l'écho acoustique d'éthologie. Cela vise à relier les comportements, les vocalises et les individus. Tout à l'heure lorsque l'on a plongé au milieu de ce groupe de dauphins, on a pu se demander s'ils sifflaient à notre attention, s'ils sifflaient entre eux, si chaque sifflement est propre à un dauphin, si celui qui a sauté la tête hors de l'eau témoignait d'un comportement agressif comme le prétendent tous les scientifiques... Pour trouver des réponses, il faut multiplier les observations sous l'eau, les classer, les analyser, se dire 'Tiens, ça je me rends compte que c'est ça et pas autre chose'. En ce moment, on est en train de relier chaque dauphin à un sifflement et j'ai moi-même créé mon propre sifflement que je diffuse sous l'eau pour voir leur réaction et s'ils vont chercher à m'imiter ou non puisque l'on sait qu'ils s'imitent entre eux. Le sifflement du dauphin a été étudié en captivité et on sait qu'il a deux fonctions : la première est que chaque dauphin siffle pour que les autres sachent où il est et la seconde, ils s'interpellent entre eux. C'est-à-dire qu'un dauphin utilise le sifflement d'un autre pour l'appeler et s'adresser à lui. Et c'est l'expérience du moment : aller sous l'eau avec un sifflement unique et voir s'ils cherchent à communiquer."
- Pourquoi La Réunion et pas ailleurs ?
"La première raison, toute simple, c'est qu'il y a beaucoup de cétacés ici, bien que ce ne soit pas le seul endroit au monde. L'autre raison, essentielle, c'est que l'on a encore le droit de nager avec eux alors que c'est interdit dans de nombreux pays dans le monde. C'est à la fois une bonne et une mauvaise chose car on ne peut pas laisser tout le monde se jeter à l'eau sur eux, ça finirait par mal tourner. L'association Abyss essaie de donner du sens à ça car on ne pense pas qu'il faille que ce soit réservé à une élite ou aux scientifiques qui ont fait BAC +12. On pense que l'expérience doit être ouverte à des gens motivés, qui sont d'accord pour passer 3 jours au minimum avec nous dans une démarche responsable, c'est-à-dire en prenant le temps, en se formant à l'apnée, au comportement à adopter une fois sous l'eau face aux animaux etc."
- Quelles conditions faut-il remplir pour venir plonger avec vous et être éco-volontaires ?
"Il faut à minima savoir nager et surtout, être motivé. On forme les gens, on fait passer un diplôme d'apnée en partenariat avec la fédération de plongée, on les sensibilise à la cause animale et au comportement à adopter… Le volontaire doit être conscient qu'il est au service du projet et non pas le contraire. Il faut sortir de cet esprit de consommateur où l'on paye pour dire 'Je veux ci ou je veux ça'. Ici, on participe à un projet, on s'implique, on est acteur, à la fois dans l'eau et hors de l'eau pour analyser les données. De notre côté, on fait en sorte que les observateurs soient en nombre limité dans l'eau, deux par deux avec deux accompagnants, pas plus. Si on emmène un groupe de cinq personnes sur le bateau par exemple, ces personnes vont tourner dans l'eau. Du coup, certains vont faire de meilleures rencontres que d'autres mais c'est comme ça que l'on respecte la nature, c'est aussi pour ça qu'il faut venir plusieurs jours."
- Dans l'eau, quelle attitude adopter ?
"On peut faire une analogie entre le comportement à adopter sous l'eau et celui que l'on aurait sur terre avec n'importe quel animal. Les dauphins sont des mammifères, ils sont donc sociaux, éduqués par leur mère etc. Si je veux observer un écureuil dans un parc, je ne vais pas courir derrière, je m'assois, j'attends, je lui tends éventuellement quelques noisettes. L'échange est toujours à l'initiative de l'animal. C'est pareil avec les dauphins, il y a cette notion d'échange, de respect et lorsqu'il a décidé de venir nous voir, il faut rester le plus neutre possible. On cherche gentiment à les intéresser car ce sont des animaux joueurs et on fait en sorte qu'ils décident de nous accepter. A force de patience, c'est ce qu'il se produit et on peut alors observer leur vie de tous les jours."
- Quels liens avez-vous justement réussi à créer avec les animaux ?
"On est très proche d'un groupe d'une cinquantaine de dauphins. Ils reconnaissent le signal du bateau. Et parmi eux, il y en a qui s'intéressent plus à nous que d'autres, il y a des individualités. Ceux intéressés peuvent parfois passer plusieurs heures avec nous, même lorsqu'on s'en va, quelques-uns nous suivent. Une fois sous l'eau, j'ai retiré mes palmes, ils sont venus voir, les toucher, je pense qu'ils hallucinaient, ils n'avaient jamais vu quelqu'un retirer ses palmes. Quand ils ont vu ça, ils étaient hystériques. Ils devaient se dire 'Mais comment c'est possible ?! Il a retiré ses ailerons !' (rires)."
- Un tel projet écotouristique peut-il perdurer sur la longueur selon toi ? Les dérives ne sont-elles pas inévitables ?
"C'est évident que si l'on se pose la question, je me dis qu'il vaudrait mieux les laisser tranquilles. Le problème est que nous vivons dans un monde ouvert avec des problématiques alarmantes. 5 % des dauphins notamment sont pêchés dans les filets chaque année. C'est énorme. A ce rythme-là, dans 20 ou 30 ans, il n'y en aura plus. C'est dans ce monde là que nous vivons aujourd'hui. Alors on s'interroge : 'Qu'est-ce qu'on peut faire pour que ça n'arrive pas ?' La réponse que l'on a trouvé avec* Abyss*, c'est de sensibiliser les gens. On doit montrer qu'ils existent, qu'ils sont peu nombreux, qu'il faut les protéger. Pour cela, on montre de belles images, on essaye d'émouvoir, et je considère que chaque personne qui vient nous voir est ambassadeur de ça. Et puis on a remarqué que les dauphins étaient sélectifs dans leurs rencontres avec l'homme : il y a des clubs de plongée voisins qui ont essayé de les observer comme nous mais qui ne les voient que très rarement alors qu'ils ont trois bateaux ! Il y a un mois environ, on a eu quelqu'un qui a eu un comportement bizarre sous l'eau, qui s'est mis à hurler etc, on n'a plus vu les dauphins pendant quinze jours. Donc c'est une relation de confiance qui se construit et si on ne se comporte pas bien, on ne les verra pas. Si on veut les sauver, il faut forcément s'y intéresser parce que la pêche intensive pourrait les décimer. La question philosophique de savoir si la présence des plongeurs gêne les dauphins est à mon sens en décalage avec la réalité de cette pêche dévastatrice. C'est certain que si dix bateaux déversent tous leurs plongeurs en même temps dans l'eau dès qu'une baleine passe, c'est une dérive. On est là pour montrer le bon exemple, montrer que c'est possible de faire bien avec un nombre mesuré de personnes et peut-être alors que ça donnera à d'autres l'envie de le faire de la sorte en voyant que l'on obtient de très bons résultats.*"
- Comment venir plonger avec toi ?
"En s'adressant à l'agence Escursia, qui propose des voyages intelligents et non pas des voyages consommateurs. C'est-à-dire que le voyageur est acteur du projet, il apporte son concours à un programme qui va au-delà du simple fait de nager avec les dauphins et les baleines. C'est à la fois une expérience intense et inoubliable, mais aussi une manière de financer un projet et d'avancer dans la connaissance de ces espèces. Les gens peuvent aussi venir localement, en individuel, et là, on passera par un opérateur, c'est-à-dire une école de plongée voisine, on va mettre un éco-volontaire sur leur bateau pour que tout le monde essaie d'adopter le bon comportement et si on arrive à faire évoluer les mentalités d'un club qui avant balançait dix personnes à l'eau à côté d'une baleine, là on aura fait bouger un peu les choses. On apporte du sens, une formation, une approche écotouristique."
- Prochain objectif ?
"L'IUCN (International Union for Conservation of Nature, ndlr) classe les espèces en listes protégées et actuellement, le grand dauphin n'est pas sur liste protégée. Donc on étudie ce groupe de 50 individus pour montrer qu'ils en sont pas nombreux et qu'il faut qu'ils soient classés sur liste rouge. Le but est de réimposer des observateurs sur les navires de pêche industriels qui vont au large afin qu'ils s'assurent que des dauphins ne soient pas remontés dans les filets. On espère que d'ici un an ou deux, il y aura cette liste rouge qui va rendre obligatoire la présence de cet observateur. Il y a une histoire qui circule sur un pêcheur industriel des Seychelles qui aurait remonté 100 dauphins dans ses filets… Si on veut que ça change, il faut que tout le monde soit sensibilisé. Un autre risque pour les dauphins, ce sont tous les sons que l'on envoie sous l'eau. Si un jour ils sont tous ensemble, qu'il y a un gros chantier sous l'eau et que le groupe passe à côté, on peut leur bousiller les oreilles et il y a un risque qu'on les retrouve échoués sur la plage le lendemain. La réalité est que l'on est en train de les décimer avec notre comportement de consommateur…"
- Le mot de la fin ?
"Ces animaux là sont de vrais prédateurs, pas des rigolos ! Quand on est sous l'eau avec un groupe, c'est comme ci l'on était face à 20 tigres, ils ne craignent personne, ils tuent tout ce qui bouge, ils se tuent entre eux, ils sont en meutes, font 500 kg… Et pourtant, ils viennent nous voir et ils font 'Salut !' C'est incroyable, il n'y a que dans la mer que tu peux voir ça. C'est le mystère des dauphins… Il faut que l'on arrive à comprendre ça. On se rend compte que ce que l'on fait ici est exceptionnel et que ce petit groupe de dauphins peut nous apprendre plein de choses maintenant que l'on s'est fait accepter et qu'ils passent du temps avec nous. C'est une porte ouverte sur la découverte, à nous d'en tirer les bonnes choses…"