Agent orange-dioxine : Tran To Nga contre les géants de l’agrochimie

News

Par Elodie Mercier

Posté le 25 janvier 2021

Photo Sources: Collectif Vietnam Dioxine.

Plus de quarante ans après les faits s’ouvre enfin le procès contre les multinationales américaines, comme Bayer-Monsanto, accusées d’avoir fourni l’agent orange épandu par avion lors de la guerre du Vietnam. Celui-ci a été rendu possible par la plainte de Tran To Nga, victime de l’herbicide, parmi des millions d’autres.


Après une plainte déposée en 2014 et dix neufs reports, le procès débute, lundi 25 janvier au tribunal d’Evry. Les multinationales ont proposé un accord amiable, que Tran To Nga a refusé : il ne s’agit pas pour elle de toucher un dédommagement, mais de faire justice au nom de toutes les victimes.

Tran To Nga, une des nombreuses victimes de l’agent orange

Tran To Nga est franco-vietnamienne, et a aujourd’hui 79 ans. Lorsqu’elle était jeune adulte, elle a fait partie du mouvement indépendantiste du nord du Vietnam qui luttait pour la libération du Sud, alors soutenu par les Etats-Unis. Elle avait 22 ans lorsqu’elle s’est retrouvée aspergée par l’agent orange-dioxine, utilisé par les ennemis américains pour détruire les forêts où se cachaient les guérilleros.

Depuis, elle subit un cancer, un diabète de type 2, un taux de dioxine élevé dans le sang, de l’hypertension et la tuberculose, elle a perdu sa fille à quelques mois de malformations cardiaques et a eu deux autres filles, également porteuses de malformations. Il ne lui reste peut-être que quelques mois à vivre, qu’elle consacre au « dernier combat de sa vie » : se faire le porte-parole des victimes de l’agent orange dans un procès contre 14 multinationales agrochimiques, dont Bayer-Monsanto, accusées d’avoir fourni l’agent orange à l’armée américaine.

L’agent orange-dioxine, un herbicide comme arme de guerre

Utilisé massivement pendant la guerre du Vietnam, l’agent orange est un herbicide ultra puissant, capable de détruire les forêts pour ralentir les troupes indépendantistes. Surnommé ainsi pour la couleur des fûts dans lesquels il était stocké, l’agent orange aurait fait 4 millions de victimes au Vietnam, au Laos et au Cambodge.

Reconnu comme perturbateur endocrinien, l’herbicide est également responsable de milliers de cancers et d’une multitude d’autres maladies, touchant à la fois les personnes qui ont été à son contact, mais aussi leurs descendants, victimes de nombreuses malformations. Certaines régions du Vietnam enregistrent ainsi un triste record de fausses couches pendant la décennie de la fin de la guerre.

Avec 80 millions de litres épandus sur le territoire vietnamien en à peine dix ans, l’environnement est une autre victime de l’agent orange, du fait de la contamination des sols, des eaux et des forêts. On déplore au Vietnam une destruction massive des écosystèmes forestiers et des mangroves : elle s’explique par la toxicité de l’herbicide, treize fois supérieure au glyphosate, il peut tuer la végétation en quelques heures seulement.

Le procès de l’agent-orange ou la défaillance du droit international

La lenteur de la justice met en évidence la défaillance du droit international. D’un point de vue juridique, il n’était pas possible, jusqu’à récemment, d’accuser des acteurs économiques, seulement des acteurs politiques. Dès lors, les entreprises ayant fourni l’agent orange ont bénéficié d’une impunité presque parfaite.

Malgré l’interdiction établi par l’accord de Genève en 1925 d’utiliser des armes chimiques, peu de victimes ont été reconnues comme telles. Seules les victimes militaires étatsuniennes ont déjà été indemnisées depuis plus de trente ans : la plainte de l’Association vietnamienne des victimes de l’agent orange-dioxine défendant les victimes civiles a été rejetée. La justice américaine a, en effet, considéré qu’un herbicide ne pouvait pas être qualifié d’arme chimique.

Le procès qui s’ouvre aujourd’hui offre une lueur d’espoir, peut-être débouchera-t-il, comme Tran To Nga souhaite, sur une jurisprudence pouvant aider les autres victimes dans leurs démarches, voire même sur la reconnaissance du crime d’écocide.