Par Laetitia Santos
Posté le 6 mars 2012
Ai Weiwei, artiste et dissident chinois protéiforme, expose au Jeu de Paume depuis le 21 février alors qu’il est détenu en résidence surveillée chez lui, à Pékin. Un nouveau pied de nez au pouvoir chinois pour celui qui a fait de sa vie toute entière une œuvre engagée.
Qu’on se le dise, l’esthétique des photographies d’Ai Weiwei n’est pas la qualité première de son travail. L’enjeu est autre : l’artiste, qui donne aussi dans la sculpture, l’architecture, la vidéo, le Tweet à gogo, n’a de cesse de dénoncer les exactions de son gouvernement qui bafoue le respect et la liberté de ses citoyens. Passé à tabac lors d’une première arrestation qui lui avait valu une hémorragie cérébrale en 2009, arrêté et emprisonné pendant 80 jours l’an dernier, Ai Weiwei s’est vu fermer son blog et est désormais sous l’oeil des autorités qui le retiennent chez lui. Son crime ? S’opposer au régime, crier son désaccord en photos, faire de sa vie quotidienne une oeuvre de dénonciation en soi.
A New York, où il vécu entre 1983 et 1993, Ai photographia les sans-abris, les manifestations, le délabrement sur plus de 10 000 clichés en noir et blanc, témoin scrupuleux des problèmes de société de l’époque.
A son retour à Pékin, sa ferveur photographique ne le quitte pas, au contraire, il devient naturellement le chef de file d’un mouvement qui milite pour la liberté d’expression. Tiananmen, première née de la série Étude de perspective, a été réalisée en 1995 à Pékin, un doigt d’honneur au premier plan, un monument représentant l’autorité en fond, pour inviter quiconque à remettre en question le respect inculqué pour toute forme de pouvoir établi, qu’il soit politique, culturel ou bien même esthétique.
Une salle, emplie de paysages provisoires de Pékin, témoigne de la modernité en marche : amoncellement de gravats, étendue désertique vidée d’humanité, grues striant le paysage, barres de béton... Des tableaux de désolation par centaine qui placardés les uns à côté des autres forment un kaléidoscope malheureux des terres que se sont appropriés l’Etat chinois sans être tenu de négocier avec les propriétaires pour raser les hutong, petites maisons et ruelles typiques de la Chine traditionnelle. Ce mépris du passé, Ai Weiwei le signifie aussi dans Laisser tomber une urne de la dynastie des Han, un triptyque où on le voit casser volontairement une jarre sur le vif, vive critique à l’encontre d’un régime qui n’a que faire de l’histoire et de la culture de son peuple.
Autre travail si plein de sens, la série Earthquake captée en 2008 suite à un tremblement de terre de magnitude 8 dans la province du Sichuan qui a fait plus de 69 000 morts et près de 5 millions de sans-abris. Décombres et cartables d’écoliers par milliers éparpillés ça et là soulèvent la colère d’Ai Weiwei qui ne peut que constater derrière son objectif la négligence des pouvoirs publics à avoir construit des écoles à la va-vite qui ont été soufflées comme du papier et fait augmenter le nombre des victimes. A son retour à Pékin, impossible d’obtenir la liste officielle des disparus. Il participe alors à une enquête sous le manteau et parvient à dresser sur son blog une liste de 5385 noms de disparus pour leur rendre hommage. La fermeture de sa page web ne tardera pas et Twitter deviendra alors le nouvel outil de travail préféré d’Ai Weiwei pour son caractère live et viral.
L’exposition parisienne de cet activiste politique à la ferveur créatrice presque folle en dit long sur l’état d’esprit de la Chine d’aujourd’hui et marque une nouvelle victoire pour Ai Weiwei dans le combat qu’il mène quotidiennement pour la liberté d’expression. La condition de son père, le poète chinois Ai Quing, relégué dans un camp de rééducation du nord-ouest du pays suite à la Révolution culturelle, n’a sans doute pas été pour rien dans l’évolution de son ardente conscience politique et sociétale. Mais plus que l’individualité des oeuvres elles-mêmes, ce sont les Entrelacs qui touchent chez Ai Weiwei, celui entre l’Art et la vie, entre la vie et l’Art, sans discontinuité...
Ai Weiwei, Entrelacs
Du 21 février au 19 avril 2012
Jeu de Paume
1, place de la Concorde
75008 Paris
Métro : Concorde
Tarifs : 8,50€ / 5,50€ en tarif réduit
Horaires : mardi 11h-21h / mercredi à dimanche 11h-19h / Fermé le lundi et jours fériés.