Birmanie, mobilisation contre le pouvoir militaire

Société

Par Sophie Squillace

Posté le 25 février 2021

Photo Sources: Reuters.

Plus de trois semaines après le coup d’état qui a renversé le gouvernement birman d'Aung San Suu Kyi, les protestations s’amplifient dans tout le pays, et la violence des généraux montent d’un cran. Un bouleversement qui frappe ce pays d'Asie du Sud-Est à la démocratie fragile.


On a tous vu cette scène surréaliste, où une professeure de fitness, filme son cours de sport le 1er février, pendant que derrière elle, l'avenue principale de la capitale birmane Naypyidaw s'emplit de chars. Sans le savoir, elle devenait le témoin inattendu d'un coup d'État.

La démocratie birmane à défendre

Le putsch orchestré par les militaires birmans met fin à une transition démocratique commencée il y a dix ans. La cheffe du gouvernement civil Aung San Suu Kyi a été arrêtée, ainsi que le président de la République, Win Myint. Le gouvernement a été remplacé par l'armée, avec à sa tête le puissant général Min Aung Hlaing. Mais comment un tel renversement a-t-il pu avoir lieu ?

La Birmanie est depuis longtemps contrôlée par les militaires. L’indépendance de 1948 annonce une relative stabilité, avant que les militaires commencent à contrôler le pouvoir, avec un premier putsch en 1962. Pendant plus de 50 ans, la junte militaire a les pleins pouvoirs dans le pays et impose sa vision ultra-nationaliste. Le récent coup d’État apparaît comme une question constitutionnelle liée aux élections de 2015 et 2020.

En 2015, le peuple birman a voté contre le pouvoir militaire en place, en portant notamment, Aung San Suu Kyi au pouvoir. Figure de l’opposition au régime birman dans les années 90, prix Nobel de la paix en 1991, Aung San Suu Kyi a toujours dû composer avec les généraux, jusqu’à fermer les yeux sur les exactions des militaires, en particulier contre les Rohingyas en 2017. Toutefois, sa popularité auprès du peuple birman unit pour défendre la démocratie est devenu inacceptable pour la junte, qui voit son pouvoir remis progressivement en question.

L'armée birmane n’a pas digéré le résultat des dernières élections de novembre 2020, remportées par la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), d'Aung San Suu Kyi, dont l’objectif est de parvenir à une modification de la constitution birmane pour consolider la démocratie. De nouveau assignée à résidence depuis le 1er février, Aung San Suu Kyi a lancé un appel à la désobéissance civile. Un appel largement suivi par les Birmans.

Le redoutable pouvoir de l’armée birmane

La junte militaire continue de tenir les rênes du pays dans différents secteurs. Elle est maître du jeu économique, possède 14% du budget national et contrôle les principales ressources du pays, notamment les mines de rubis, de saphirs, de diamants, grande richesse nationale.

Au niveau politique, la junte ne s’est jamais vraiment éloignée du pouvoir central. Elle dispose de plusieurs postes clé dans le gouvernement et au Parlement, dont 25% des députés. Les forces militaires sont soutenues par le Parti de l'union, de la solidarité et du développement (USDP), composé d'anciens militaires. Le poste de premier vice-président birman revient toujours à un membre de ce parti. Après l'arrestation du président lors du récent putsch, le vice-président a donc pu transférer les pleins pouvoirs au général Min Aung Hlaing.

Le nouveau dictateur est connu pour abriter d’immenses intérêts financiers dans tout le pays, en contrôlant une holding puissante. Avec d’autres généraux, il a aussi clairement été pointé du doigt par l’ONU pour ses « intentions génocidaires », contre les musulmans Rohingyas. Le putsch s’explique sans doute par sa volonté d’échapper aux poursuites de la justice internationale et la crainte de perdre son immunité pénale en partant à la retraite, un départ qui était normalement prévu l’an prochain.

Une contestation réelle

Il y a déjà eu des soulèvements populaires contre la dictature militaire. En 1988, des millions de gens manifestaient dans tout le pays, avant que l’armée n’abattent des milliers de personnes. En 2007, les soldats avaient réprimé dans la violence un mouvement pro-démocratie inspiré par des moines bouddhistes, connu sous le nom de « révolution de safran ».

Cette fois, au bout de dix ans d’une plus grande ouverture politique et sociale, le peuple birman n’a plus peur de de descendre dans la rue. En dépit de la solide expérience de répression de l’armée birmane et sa réputation d’être brutale et sans limite, la contestation populaire a débuté immédiatement. Les jeunes sont au cœur du mouvement, rejoints par les employés de services publics, enseignants, médecins, qui se sont arrêtés de travailler dès le début.

Un appel général à la désobéissance civile s’est organisé avec des relais sur les réseaux sociaux. Des centaines de milliers de birmans se réunissent dans tout le pays, trois doigts de la main en l'air, symbole de la lutte pour la démocratie, un signe inspiré de la série Hunger Games, notamment utilisé par les Thaïlandais après le coup d’État militaire de 2014.

Face à cette génération informée et connectée, les militaires sont en retard, pour ne pas dire totalement dépassés. Leur seule solution pour garder le contrôle : couper l’accès internet et aux réseaux sociaux, principalement la nuit pour permettre les arrestations de manifestants. Depuis une semaine, les interpellations se poursuivent et la violence contre les manifestants s’est intensifiée. Une manifestante de 20 ans est morte le 19 février après avoir reçu un tir à la tête.

Le lendemain, à Mandalay, la police a tiré sur les manifestants faisant au moins deux morts et une trentaine de blessés. Cette répression inquiète, « Cette armée a longtemps agi avec impunité dans le pays, et c'est la raison pour laquelle la situation est alarmante », s'inquiète Kayleigh Long, chercheuse d'Amnesty International basée à Londres et chargée du suivi de la Birmanie.

Le coup d'État est unanimement dénoncé par la communauté internationale. Face au maintien en résidence surveillée d'Aung San Suu Kyi, la France a renouvelé le 9 février « son appel à la libération immédiate et sans conditions de toutes les personnes arrêtées depuis le coup d'État militaire ». Selon les spécialistes de la Birmanie, la junte militaire est un acteur politique majeur avec lequel il faut accepter de négocier, au risque de voir le pays se refermer sur lui-même. Comment avancer sans construire un dialogue constructif avec elle ? Comment éviter qu’elle se repositionne en monopole au détriment du peuple birman ?