Par Laetitia Santos
Posté le 16 mars 2023
Oriane Lacaille et JereM Boucris sont les deux ingrédients principaux qui composent ce Bonbon Vodou, douceur cultivée en bonne partie sur l'île de La Réunion. Elle est notamment issue d'une famille de musiciens réputée sur l'île intense, quand lui est friand de sons issus de l'Afrique de l'Ouest ou de la Caraïbe. Ensemble, ils servent de la chanson dépaysée et ensoleillée où les instruments qui rehaussent le tout sont surtout issus de récup' d'objets du quotidien. Ça sent le voyage à plein nez et ce Bonbon Vodou là nous est servi sur scène ce soir à Cormeille-en-Parisis par le délicieux festival Passworld ! Nos papilles auditives leur disent merci.
Un premier album en 2017 intitulé African Discount, un autre en 2021 baptisé Cimetière Créole, Bonbon Vodou possède toute une collection de ballades comme des songes voyageurs, tantôt en français, tantôt en créole, tantôt délicates, tantôt endiablées, mêlant du séga ou du maloya. Un voyage enchanteur qu'il est encore possible de voir sur scène ce soir dans le Val d'Oise. En attendant, discussion toute douce avec Oriane, en pleine séance de répèt' !
Pourquoi ce nom Oriane, Bonbon Vodou ? Votre musique est si douce et sucrée que l’on comprend aisément qu’elle renvoie à une gourmandise enfantine mais ce terme "vodou", d’où vient-il et pourquoi ?
« Ce que l’on aimait, c’est le mélange entre ces deux mots, la collision même devrais-je dire. Le vodou va avec le bonbon et le bonbon va avec le vodou, ils sont ensemble. C'est l’association qui interroge. Et derrière le mot vodou, il y a une connotation mystérieuse, qui peut renvoyer à la magie, à la transe, laquelle nous intéresse aussi et notamment toute la communication avec les ancêtres. Cela renvoie à notre approche musicale puisque je suis moi-même issue d’une famille de musiciens et il y a donc dans mon identité cette idée forte du lien et de la transmission. »
C’est réussi car ça m’a vraiment questionné : à ma connaissance, il n’y a pas de vodou à la Réunion ? Je me suis donc demandé pourquoi ce choix…
« Il y a des pratiques à La Réunion qui pourraient être assimilées au vodou mais je ne crois pas qu’elles portent ce nom-là. Dans ma famille en tout cas, je n’en ai jamais eu connaissance... »
Et comment s’est fait la rencontre alors, entre JereM, un gars de métropole adepte de gratte, et vous, issue d’une longue lignée de musiciens réunionnais ?
« Au départ, Jerem m’a contactée pour l’accompagner sur ses chansons. Lui chantait déjà tout seul en s’accompagnant à la guitare, mais il souhaitait que je fasse de la percussion et du chant à ses côtés. Finalement, notre rencontre a bouleversé nos vies puisque l’on est tombé amoureux et que tout a basculé ! Très vite, ça s’est transformé en duo. Et c’est là qu’on l’on a réfléchi à un nom de groupe, pour symboliser le fait qu’il s’agissait bien d’un duo et non pas simplement moi qui accompagne Jerem. Avant notre rencontre, lui avait commencé à jouer avec des Réunionnais, un groupe nommé Sully et les Chamanes, et c’est donc via des amis que nous nous sommes rencontrés. Mais il avait commencé à aborder la musique réunionnaise avant moi... »
Le mariage de vos deux personnalités et de vos deux univers musicaux s’est fait aisément ?
« Oui parce que ça a été une rencontre autant humaine que musicale. Et de mon côté, j’avais fait le chemin depuis la musique réunionnaise - que j’avais donc apprise avec mon père - jusque vers la chanson française. J’avais d’ailleurs un duo qui s’appelle Titi Zarro avec Coline Linder, pour lequel on mélangeait déjà le français et le créole. J’avais fait un bout de chemin vers ce métissage-là. Et Jerem à l’inverse, venait plutôt de la chanson mais était très attiré par les musiques d’Afrique de l’Ouest ou afro-caribéennes, les musiques créoles. Donc lui a fait le chemin vers moi en quelque sorte. Alors quand on s’est croisé, nous étions fin prêts à cette rencontre... »
Une musique très métissée mais loin d'être uniquement ensoleillée : elle invite notamment à considérer de graves sujets...
« Au départ, c’est une grande joie de faire de la musique pour nous et de la faire ensuite devant des gens qui la reçoivent et l’apprécient. Cette joie et l'enthousiasme que l'on y met, c’est le cœur de notre art. Après nous avons de nombreux questionnements quotidiens sur le métissage, le fonctionnement du monde d'aujourd’hui, comment arriver à accueillir les gens de l’extérieur avec une autre culture… Comme ce sont des choses qui nous traversent dans nos vies personnelles, ce sont aussi des choses qui nous traversent dans notre art et on a donc envie d’écrire et de chanter à ce propos. Je dis ça parce qu’on ne pourrait pas dire que l’on fait de la chanson militante mais lorsque l'on va chercher dans nos textes, on peut effectivement y trouver beaucoup de réflexions sur ces sujets qui nous animent. Dans nos vies, nous sommes des personnes très animées par les combats humanistes, féministes, par l'accueil des réfugiés et de tous ceux qui en ont besoin... On adore constater la beauté de tous les métissages, surtout en France parce que les gens ici viennent d’un peu partout, que nous sommes tous un peu mélangés et que c'est magnifique. Donc il est clair que nos questionnements personnels nourrissent notre art et inversement. »
Expliquez-moi l’intitulé de votre album "Cimetière créole"…
« C’est parti au départ d’un lieu, le cimetière marin de la baie de St Paul à la Réunion où Jerem est allé avant de me rencontrer. C'est un lieu très beau, autant que l’on puisse dire cela d’un cimetière (rires) ! À la place des pierres tombales, il y a des fleurs jaillissantes et très colorées, la mer juste-là à côté. C’est un endroit où la vie et la mort sont en collision là aussi. C'est ici qu'un début de chanson lui est venu. Ça, c’était avant de me rencontrer. Plus tard, après notre premier album, il m’a parlé de ce titre, me l’a fait écouter et on s’est dit que ce pourrait être un super point de départ pour notre second album, une sorte de fil rouge afin de pouvoir parler de la mort dans l’allégresse. Un peu comme dans la chanson de Nougaro, "Dansez sur moi", où comment aborder la mort par plusieurs biais mais pas seulement elle, les violences conjugales aussi avec la chanson "De colère" et une musique plutôt chaloupée et entraînante. C’est ce qui nous a guidés sur "Cimetière créole" *: parler de choses pas forcément faciles mais toujours avec joie, allégresse et entrain.* »
Il y a beaucoup de collaborations dans cet album et notamment une avec votre papa, René Lacaille, mais aussi une autre avec Danyèl Waro, grande figure de la musique réunionnaise. C’était comment de travailler avec ces deux-là ?
« Mon papa est à fond avec Bonbon Vodou depuis le début, il nous soutient, c’est un des premiers fans ! Et c'est super pour moi, c'est très important qu'il soit partie prenante car j’ai démarré la musique avec lui, je l’ai accompagné pendant 15 ans sur scène. Mais quand Bonbon Vodou a commencé à beaucoup tourner, j’ai arrêté de l’accompagner. Donc c’était aussi un passage. Mon père m’a totalement suivie dans mon chemin et c’était naturel pour Jerem comme pour moi de l’avoir à nos côtés sur l’album.
Quant à Danyèl Waro, c’est une figure très importante à la Réunion, un chanteur militant qui dit des choses essentielles. C’est quelqu’un que j’admire depuis toute petite, son chant notamment. J’ai des souvenirs de lui en concert à l’âge de 5 ans. C’est quelqu’un qui a toujours été là, qui est comme un tonton, nous sommes proches. C’était important pour moi d’avoir ces deux figures tutélaires. »
Ce titre avec Danyèl Waro, c'est "Fonker". Que raconte-t-il au juste ?
« C’est un texte en créole écrit par une poétesse réunionnaise, Barbara Robert. Le fonker, c’est le mot que l’on utilise pour décrire la poésie en créole mais ça peut aussi décrire un état d’âme. Il y a d’ailleurs des rencontres en fonker où chacun déclame un texte en parlant de son ressenti profond. Fonker, c’est littéralement ce que l’on a dans le fond du cœur. Ce texte-là quand je l’ai lu, je l’ai trouvé absolument magnifique. C’est le fonker de Barbara Robert donc, et elle parle de sa créolité et de cette richesse, de la beauté de la créolité à la Réunion et où est-ce qu’elle se place. Et tout ça de manière très poétique, avec un choix de mots superbe. On l’a mis en musique avec Jerem et on l’a proposé à Daniel qui est très exigeant sur le choix des textes mais je savais que celui-ci lui plairait et effectivement, ça a été le cas. »
En dehors de vos tournées, est-ce que vous voyagez beaucoup Jerem et vous ?
« Beaucoup en tournée mais en dehors, pas tant que ça ! »
Profitez-vous de ces tournées et de ces voyages pour vous imprégner des pays et de leur culture ?
« Oui, on essaye. C’est vrai que c’est toujours compliqué parce que lorsque nous sommes sur place, on est là pour travailler mais nous avons aussi souvent quelques jours de libre avant ou après. Et en général, lorsque l’on est accueilli quelque part, les gens ont à cœur de nous faire découvrir leur chez-eux. Récemment, nous sommes allés au Bénin pour un concert et nous avons eu quelques jours pour découvrir ce beau pays même si ce n’était pas très long… »
Qui pour le coup est le berceau du vodou en l’occurrence !
« Oui voilà, surtout que nous étions à Ouidah donc au cœur de ces croyances et c’était très touchant. Sinon, nous allons aussi souvent au Canada, à la Réunion bien sur… »
Sur le concert que vous ferez sur la scène du Passworld ce jeudi soir, qu’est-ce que vous utiliserez comme instruments ?
« Moi je joue de différentes percussions. J’ai une toute petite batterie, on n’en dirait pas une d’ailleurs tant elle est minuscule mais elle fait du gros son ! On aime bien avoir de petits objets mais qui se déploient et qui tout à coup ont un son étonnant. Par exemple Jerem joue une sorte de guitare qui est découpée dans un bidon d’huile de moteur et qui a un son magnifique. On a un tout petit ukulélé aussi que l’on passe dans un ampli et bien que ce soit notre plus petit instrument, c’est celui qui sonne le plus fort ! Des percussions qui n’en sont pas aussi : sacs en plastique, bouteille de sirop, boites de conserve… Il y a plein d’instruments insolites ! »
Dont beaucoup composés à partir de récup comme on peut le faire en Afrique ! Et justement, on dit du festival Passworld que c’est un voyage musical en Val d’Oise qui valorise les cultures du monde et invite au voyage engagé. Alors pour finir, si vous aviez une définition de ce qu’est un voyage engagé, qu’elle serait-elle ?
« Eh bien en tant qu’artiste et parce que l’on est beaucoup sur des questionnements écologiques en ce moment lorsque l’on pense au voyage, ce serait finalement de rester dans le Val d’Oise mais d’aller à la rencontre d’autres pays, d’autres cultures, par le biais de personnes qui sont là. Je crois beaucoup à cette manière de voyager, au travers de la rencontre, tout près de chez soi, l'idée de trouver des lieux qui permettent de se dépayser et de partir ailleurs sans avoir besoin d’aller trop loin ou de prendre l’avion ! »
Voyager au travers de l’art et de la rencontre en somme…
Et on invite chacun à venir voyager à la Réunion notamment, ce soir à 20h30 à Cormeille-en-Parisis sur la scène du festival Passwolrd ! Quelques billets encore disponibles juste ici : http://www.forumsirius.fr/orion/cormier.phtml?spec=1636
FESTIVAL PASSWORLD
Voyage musical en Val d'Oise
Du 10 Mars au 12 Avril 2023