Christian Mpea - Lawanda Tours : "Le Congo-Brazzaville est le pays de l'écotourisme"

Interview voyage

Par Laetitia Santos

Posté le 27 octobre 2023

Photo Sources: Lawanda Tours & Adventure.

Ces jours-ci se tient à Brazzaville, en République du Congo, le tout premier Sommet des Trois Bassins. Kézaco ? Rien de moins que le sommet fondateur d'une alliance entre les trois systèmes de biodiversité et de forêts tropicales les plus importants au monde : l'Amazonie, Bornéo et le Congo donc.


Une initiative africaine qui a le mérite de créer une coalition entre les trois plus grandes régions forestières du monde qui regroupent à elles seules 80 % des poumons verts de la planète et les trois-quart de la biodiversité mondiale. En moins drôle, ces trois bassins forestiers sont aussi les trois plus grands bassins de déforestation.

Mais revenons-en au Congo-Brazza. Invité en janvier dernier à la 2ème édition du Porto-No Mad au Bénin, co-fondé par Babel Voyages et son partenaire local le centre culturel Ouadada, Lawanda Tours & Adventure, agence d'écotourisme basée à Pointe-Noire, était venue nous présenter sur le festival les atouts incroyables de la destiation au travers de son entrepreneur de fondateur, Christian Mpea. Celui-là même en charge de l'organisation des circuits de découverte pour l'accueil de toutes les personnalités et influenceurs conviés au Sommet des Trois Bassins ! Tiens, tiens... On en a eu du nez !

Retour sur un entretien enregistré au Bénin il y a plusieurs mois, où l'on faisait déjà l'apologie du Congo-Brazza en tant que destination rêvée pour de l'écotourisme. Parti pris largement confirmé durant ces trois jours de sommet.

Cher Christian, voilà quelques années que l'on suit ton travail sur les réseaux sociaux - depuis 2018 exactement et un voyage qui nous a mené en ton pays - et que l'on a été captivé par toutes tes images sur le Congo-Brazzaville, lesquelles ont le grand pouvoir de mettre en lumière un pays totalement oublié par le tourisme mais pourtant gâté de beautés naturelles spectaculaires. Car la République du Congo est une véritable terre de voyage engagé et toi, bien que salarié d'une grosse multinationale, tu y as créé en parallèle Lawanda Tours and Aventure. Qu’est-ce qui fait que tu te sois lancé dans l'écotourisme sur ta terre d'origine ?

« J’étais passionné d’aventures et de découvertes et j’ai pas mal voyagé à travers le monde, notamment lorsque j’étais étudiant. C'est en rentrant au Congo vers 2012 – 2013, que j’ai eu cette envie de montrer le Congo-Brazza et son potentiel méconnu : la mythique forêt du Mayombe, le fleuve Congo, l’océan, de nombreux cours d’eau et cascades, beaucoup d’animaux… Je voulais mettre tout ça en valeur.

Alors j’ai pris mon véhicule, mon appareil photo et je me suis mis à sillonner le pays. J’ai commencé par des zones déjà identifiées par des passionnés comme moi et, petit à petit, j’ai poussé plus loin, à la recherche de lieux méconnus. J’ai fait beaucoup de recherches, à la fois dans de vieux manuels datant de la période coloniale mais aussi en questionnant les gens des villages. Je continue toujours d'ailleurs, à faire de l’exploration. J’ai documenté tout cela avec des images et j’ai alimenté un compte Facebook personnel avant de le transformer en page publique. Ça a beaucoup intéressé, à tel point qu'il y a eu rapidement beaucoup d’abonnés. J’en ai été le premier surpris.

Ça m’a motivé à pousser cette mission plus loin encore. Et au fil des images partagées, les gens ont eu envie de s’y rendre à leur tour en me demandant conseil. C’est là qu’une opportunité s’est créée et que je suis devenu entrepreneur dans un domaine que j’aimais particulièrement : Lawanda Tours and Adventure était né. Grâce au confinement, j’ai pu tout mettre en place deux mois durant : la création des circuits, les éléments de communication... Et à la sortie du confinement en juillet 2020, j'ai lancé le premier circuit Lawanda entre Brazzaville et Pointe Noire. »

Magnifique histoire et success story, Christian ! Et ces circuits que tu proposes, peux-tu nous parler de ce qui les compose ? Car ils ont la particularité de valoriser un tourisme de nature...

« En effet. Une de nos forces, c’est la rencontre avec les gorilles. Il y a une réserve naturelle à deux heures de Brazzaville, Lésio-Louna, où l'on peut les rencontrer. C’est une réserve gérée par la fondation Aspinall, qui accueille des gorilles braconnés ou appartenant à des zoos. Elle les recueille pour ensuite les réhabituer au milieu naturel et ce, avant de les réintroduire en forêt. Durant les heures de nourrissage, la fondation permet aux voyageurs d’aller à leur rencontre. Le décor de la réserve est absolument superbe et elle permet de véritablement bien observer les primates dans la nature. En plus de pouvoir faire des randonnées ou se baigner.

On propose aussi de nombreux treks, des sorties à la découverte de cascades… Le Congo-Brazzaville est vraiment le pays de l’écotourisme ! »

Au-delà de cet écotourisme, quelles sont les actions que vous développez chez Lawanda pour que le voyage soit le plus engagé possible ?

« En premier lieu, on limite à huit le nombre de personnes par circuit afin d'éviter de mettre la pression sur l’environnement.

Nous faisons beaucoup de sensibilisation en lien avec la préservation de l’environnement car ce n’est pas encore dans les habitudes congolaises de prendre soin de ne rien laisser derrière soi, de rendre à la nature l’endroit tel qu’on l’a trouvé en arrivant. Il y a donc un vrai travail d’éducation à l’environnement, à la fois auprès des voyageurs mais aussi auprès des différents villages dans lesquels on se rend. Le but n’est pas d’être moralisateur mais de faire comprendre l’importance de la préservation pour chacun.

Enfin à moyen terme, nous allons travailler à créer des projets pérennes en lien avec ces villages afin que les populations puissent bénéficier davantage des gains du tourisme, pas seulement par à coups comme aujourd’hui mais véritablement dans le temps. »

Et si tu nous faisais un récit de voyage pour nous brosser le portrait du pays, bien trop méconnu, et ainsi nous donner envie de nous y rendre à notre tour, ça donnerait quoi ?

« Démarrons par la côte déjà : nous avons la chance d’avoir un superbe littoral avec des plages sauvages de sable blanc. De juillet à septembre, il y a la possibilité de voir des baleines et des dauphins au large, puisqu’elles transitent par ici. On peut donc partir en mer à cette période et profiter de la biodiversité marine.

Ensuite, si on laisse l'océan derrière soi, il y a 50 km de plaines côtières avant d’atteindre la majestueuse forêt du Mayombe, qui avait fait parler d'elle au moment de la construction du chemin de fer, Congo-Océan, qui reliait Brazzaville à Pointe-Noire. Il y a beaucoup d’histoires et de légendes autour de la construction de ce chemin de fer… »

Qu’en reste-t-il d'ailleurs aujourd’hui de cette ligne, Congo-Océan ?

« Le chemin de fer est toujours là, dans un état dégradé mais Lawanda *propose une incursion dans la forêt du Mayombe via le chemin de fer, à l’aide d’une draisine ! C’est une activité ludique, originale, respectueuse de l’environnement et vraiment agréable pour découvrir ce milieu.*

Il y a la possibilité aussi d'aller à la rencontre de tous les villages construits autour du chemin de fer, notamment Dimonika, le plus connu, qui était un village très prospère à l’époque, du fait de l’exploitation de l’or. Aujourd’hui, le contexte est évidemment très différent mais le village est riche de son histoire et permet d’aller à la rencontre des orpailleurs qui travaillent de manière artisanale et traditionnelle. »

De la draisine en plein Mayombe, qui l'eut cru ! Continuons le voyage, Christian, tu piques notre curiosité !

« Quand on sort du Mayombe, on arrive sur une zone de plaines avec notamment la vallée du Niari et là, c’est aussi des paysages époustouflants avec pas mal de belles curiosités comme la Rivière Bleue et son eau d’une couleur incroyable. Ensuite, nous voilà dans la Bouenza qui permet la rencontre des populations autochtones, des passages de ponts en lianes pour traverser de nombreuses rivières… Beaucoup de cascades, de chutes. Pour enfin arriver à Brazzaville, la capitale, bordée par le fleuve Congo. Brazza, c'est le berceau des sapeurs, où l’on peut aller à la rencontre de ces personnages folkloriques hauts en couleurs.

En remontant dans le Nord, il y a la réserve Lésio-Louna, dont j'ai parlé tantôt. Ensuite on continue sur les grands villages du Nord – Oyo, Owando, Makoua, qui ont la particularité d’être traversé par l’Équateur. Ensuite on arrive dans la Sangha, avec Ouesso, qui est à la frontière avec le Cameroun quasiment. Dans cette zone-là, il y a le parc d’Odzala et le parc de Nouabalé-Ndoki, qui sont deux endroits paradisiaques il faut le dire ! Ce sont deux parcs nationaux sans aucun village à l’intérieur ce qui signifie que l’on est dans des espaces naturels parmi les plus vierges de ce que l’on peut trouver au monde. »

Avec quel type de faune dans ces réserves ?

« Il y a des éléphants, des buffles, des gorilles, des antilopes, des panthères, des léopards… La biodiversité ici est incroyable. »

Et en terme d’accessibilité ?

« Il faut compter environ 10h de route depuis Brazzaville mais sur une semaine ou 10 jours de voyage, ça se fait plutôt bien.

Côté culture, j’ai parlé des sapeurs et il faut aussi citer les boissons locales et traditionnelles comme le vin de palme, le vin de raphia… Dans la Bouenza, il y a une boisson typique de la localité faites à base d’agrumes fermentés qui s’appelle "Laisse-moi dormir" ! (rires) Il ne faut pas se laisser emporter par le goût sucré parce qu’après quelques verres, c’est assez traître ! Voir la fabrication de ces alcools est une expérience culturelle vraiment intéressante.

Du point de vue historique, il y a la capitale bien sûr, qui tient son nom de Pierre Savorgnan de Brazza, lequel a toute une histoire, sans oublier celle de ses compagnons. Albert Dolisie, par exemple, a lui donné son nom à la 3ème ville de la République du Congo. Ensuite, à Brazzaville comme à Pointe-Noire, il y a beaucoup de vestiges de cette époque coloniale, dont certains vraiment bien conservés comme la mairie centrale, la préfecture… Tous ceux qui ont été érigés en bâtiments administratifs sont plutôt bien conservés.

Au-delà de la période coloniale, il y a la période de la traite négrière avec notamment le port de Loango à Pointe-Noire qui était l’un des plus importants d’Afrique avec plus de deux millions d’esclaves tragiquement passés par là. Il y a un musée à ce propos à Diosso. Et si l’on remonte encore le temps, il y a l’histoire des royaumes Kakongo et Loango.

Voilà ce que l’on peut brosser rapidement du Congo-Brazzaville en matière de tourisme, d'histoire et de culture. »

Et du côté des différentes ethnies qui peuplent le pays ?

« Il y a les peuples Sud et les peuples Nord. Il y a les Vili dans le Kouilou, qui ont certaines traditions, notamment le tchikumbi, un rite de passage de la jeune fille à la femme. Dans le Nord du pays, on a des rites de ce type pour les Hommes dont le tinda dans la Cuvette-Ouest, rite de passage du jeune garçon à l’homme. Il est introduit en forêt pendant des semaines, subit un certain nombre de tests et de rituels avant de passer à la circoncision pendant laquelle il n’a pas le droit de pleurer ou d’émettre un cri. Il doit montrer qu’il est désormais viril. Quand on va chez les Téké, il y a un roi, le roi Makoko, qui est toujours là. C’est d'ailleurs le roi Makoko de l’époque qui avait reçu Pierre Savorgnan de Brazza. Il y a le roi Angbé et la reine Angalbé aussi, qui ne sont pas époux, mais qui vivent à moins d’une cinquantaine de kilomètres l’un de l’autre je dirais et il est possible d’aller à la rencontre de la reine. De nombreux peuples autochtones donc, de qui on peut apprendre beaucoup... »