Conversation passionnée avec Valérie Roubaud, cofondatrice de Terre d'Oc

Interview voyage

Par Laetitia Santos

Posté le 15 février 2011

C'est en 1995 que l'idée de faire connaître les ocres de Provence à travers une collection d'objets voit le jour. Deux ans plus tard, Terre d'Oc marie les odeurs de sa région chérie à celles de l'Orient dans une délicieuse collection de parfums d'ambiance. Et quand vient la gamme Beauté du monde en 2003, la volonté d'un commerce équitable s'impose. À l'origine de cet engagement, une femme douce et pleine de détermination, Valérie Roubaud, qui mêle à sa passion pour la cosmétique, des valeurs humanistes.


Découvrez notre conversation téléphonique avec elle, entre ONG, évocation de pays lointains et rituels de beauté, le tout avec l'humain au cœur du projet.

Expliquez-nous tout d’abord en quoi consiste le travail de Terre d’Oc avec les associations et quelle part de votre production réalisez-vous en collaboration avec elles ?

"On a commencé à se pencher sur la question du commerce équitable en 2002. On s’est dit, prendre soin de soi, c’est bien, mais il faut aussi prendre soin de la planète et respecter les autres, donc il faut se donner un fil conducteur pour toutes les matières premières que l’on va acheter dans les pays du sud. J’ai commencé à regarder sur Internet les ONG qui s’impliquaient autour de matières premières, le beurre de karité, le beurre de cacao, les huiles, le sucre, toutes les matières premières que l’on peut utiliser dans la cosmétique bio et puis j’ai rencontré la première ONG. C’était au Burkina Faso, une ONG qui s’appelle le CEAS, c’est une ONG suisse qui a des projets autour du beurre de karité, autour de la mangue, une petite structure. Ce que je voulais, c’était travailler avec des petites structures, je me méfie beaucoup des ONG qui roulent avec des gros 4X4, je voulais une petite équipe, des gens très impliqués sur place, de préférence des autochtones, très impliqués auprès des producteurs, des femmes, des cultivateurs. C’était un dossier assez simple, on s’est mis d’accord sur des prix, des fréquences d’approvisionnement, le soutien que l’on pouvait apporter aux femmes, la fourniture de matériel, des choses assez simples et on s’est aperçu que ça marchait plutôt bien alors nous avons essayé de développer d’autres filières. C’est le cas par exemple de l’huile d’argan. On travaille en direct avec une petite coopérative. Pareil au Vietnam pour tout ce qui est bambou, rotin, encens, ateliers de couture où là, nous avons développé nos propres filières.

Sinon, nous avons aussi la possibilité d’acheter des matières premières qui sont, elles, certifiées et dans ce cas, nous ne sommes pas porteur de projet, on ne s’occupe de rien, on vérifie juste que le produit est bien certifié en commerce équitable, on demande une attestation. Là, on s’engage à payer un prix décent, un prix juste, mais on ne s’implique pas plus que ça parce que ce n’est pas possible de s’impliquer partout dans tous les projets.

La part, c’est assez difficile à quantifier, je dirais que grosso modo, 30% de nos achats sont faits de cette façon là. Presque tous les achats effectués dans les pays du sud se font avec cette démarche du commerce solidaire, avec une charte partenariale, avec cette éthique. Dans toutes nos familles de produits - beauté du monde, maquillage du monde, thé de l’hospitalité, mémoires d’un instant avec les tiges de rotin, les bâtonnets et cônes d’encens - on essaie d’avoir cette démarche là."

Comment avez-vous choisi ces associations et quelles sont vos relations de travail avec elles ?

"Souvent ce sont des rencontres. Très souvent au départ, ce sont des recherches sur Internet et puis par la suite, des gens que l’on rencontre. Pour le Vietnam, c’est l’agence L’Aile du Papillon qui nous a proposés une petite ONG qui s’appelle Vietnam Plus. Elle achète l’encens, le rotin, le bambou aux producteurs et aux villageois avec transparence, avec la rémunération qu’il faut etc. et avec les bénéfices que l’ONG fait en nous revendant le produit, elle finance des projets pour aider les plus démunis. La figue de barbarie par exemple, c’est une toute petite structure que j’ai rencontré sur un salon… Les rencontres se font comme ça, un peu au hasard.

Pour les ONG ou coopératives pour lesquelles nous avons apporté le projet, nous nous impliquons dans le prix d’achat, dans des relations contractuelles, c’est-a-dire qu’on s’engage sur du long terme, sur des quantités, on s’implique en préfinançant si nécessaire les récoltes ou les commandes et on s’implique aussi en participant financièrement à des projets généralement sociaux et qui correspondent à des besoins émis soit par les cultivateurs soit par les groupements de producteurs, les ONG ou les coopératives. Nous sommes très attentifs aux besoins des femmes.

Au Vietnam, ce sont des familles qui travaillent pour nous, qui nous fournissent de l’encens. L’ONG nous épaule et sert d’intermédiaire auprès des villageois. Pour l’équivalent d’un arbre utilisé, deux arbres sont replantés. C’est un produit naturel, on ne rajoute pas de charbon, de liants, aucun ajout d’autres produits. La façon de faire de Terre d’Oc, ce n’est pas du tout d’envoyer un chèque en disant ‘Voilà, cette année on vous envoie 3000 euros, vous replantez’ parce que l’on sait que ça ne fonctionne pas. L’idée, - c’était une suggestion de l’ONG et ça a très bien marché - c’est d’aller dans les villages où l’ONG a des projets, de proposer aux villageois de planter quelques pieds d’arbres, on leur fourni les plants, les villageois les plantent dans leur petit jardin devant la maison - donc ce n’est pas de l’intensif, c’est vraiment à petite échelle - on leur donne une petite rémunération, pas des gros montants mais une petite rémunération tout de même pour planter l’arbre, suivie d’une autre en cours de route pour qu’ils s’en occupent et on s’engage à leur racheter l’arbre une fois adulte. On s’est aperçu avec ce mode de fonctionnement que ça marchait énormément et qu’on avait 98% de reprises, c’est-à-dire que les arbres poussent, personne ne les vole, les gens les arrosent, en prennent soin, ils poussent et ça marche. C’est vraiment très efficace."

En quoi votre travail avec ces différentes associations améliore-t-il le quotidien des populations locales ?

"On essaie de leur fournir des revenus décents mais ce n’est pas la panacée non plus, il ne faut pas se leurrer sur le commerce équitable et penser qu’en vendant leur beurre de karité deux ou trois fois plus cher qu’au prix du marché, les gens vont pouvoir vivre super bien, envoyer leurs enfants à l’école… C’est compliqué mais de façon indéniable, on peut dire que ça améliore leurs conditions de vie.

Au Maroc, on travaille avec une coopérative pour l’huile d’argan et on s’est aperçu en faisant des audits que les femmes de la coopérative n’avaient pas d’assurance maladie. Comme elles ne sont pas salariées mais membres adhérents de la coopérative, elles ont des parts dans cette coopérative mais pas d’assurance maladie, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas l’équivalent de la sécurité sociale. Au fil des interviews, on s’est aperçu que beaucoup étaient âgées, avaient des gros problèmes de santé, et ne se faisaient pas soigner. C’est là qu’on a compris que c’était un besoin important et nous finançons depuis deux années la cotisation à l’assurance maladie des femmes de la coopérative.

Je pense au Burkina Faso également, pour le beurre de karité : on s’est rendu compte que les femmes se faisaient piquer par des serpents quand elles faisaient la cueillette des amandes de karité donc nous avons fourni des bottes en caoutchouc. Quelques fois, ce sont des choses très simples, qui ne sont pas forcément très couteuses et qui permettent d’améliorer leurs conditions de vie, de les aider."

Pensez-vous que le commerce équitable soit véritablement une alternative durable pour un plus juste commerce à travers le monde ? Que pensez-vous de ceux qui le perçoivent comme un simple phénomène de mode ?

"Oui, je pense que c’est une alternative durable. En tout cas, je m’efforce de convaincre ceux qui n’y croient pas et je les pousse à avancer dans ce sens-là.

Si les gens pensent que c’est un phénomène de mode, c’est un peu leur problème. Je pense que c’est un mode de consommation, comme consommer bio, consommer local… On veut savoir comment est fait le produit, de quoi il est composé, on veut aussi savoir dans quelles conditions il a été fait, s’il n’y a pas eu discrimination, si on n’a pas fait travailler des enfants… Malheureusement, tout le monde ne peut pas aujourd’hui se payer des produits certifiés ou labellisés en commerce équitable, parce que très souvent, ce sont des produits qui sont plus chers. Ca ne devrait pas car si on travaille directement avec les producteurs, sans intermédiaire, on ne doit pas avoir un produit plus cher donc là, il y a un débat à faire là-dessus. J’ai conscience qu’aujourd’hui, ce n’est pas forcément accessible à tout le monde mais je pense que c’est comme le bio, c’est en train de se développer, de devenir plus accessible, donc j’y crois."

Par Laëtitia Santos

Rendez-vous la semaine prochaine pour la suite et fin de ce bel entretien en tête-à-tête avec Valérie Roubaud !