Par Sophie Squillace
Posté le 3 mai 2021
Le pôle Nord attend cet été ses croisiéristes à bord d’un nouveau brise-glace innovant : le Commandant Charcot. Le tourisme de luxe 100% made in France se développe dans cette région en proie au changement climatique. Comment le groupe Ponant, à la tête de ces croisières d’exception, concilie ses engagements pour un tourisme responsable tout en emmenant ses passagers vers l’un des endroits les plus fragiles de la planète ?
Quand on connaît le sort qui attend les régions polaires face au réchauffement climatique, c’est d’abord l’idée qui dérange, tant elle semble à contre-courant de tous les efforts mis en place aujourd’hui pour limiter les excès de l’Homme sur son environnement. Puis c’est aussi la brèche que Ponant ouvre avec ses croisières vers les mondes polaires qui inquiète. Car l’Arctique ne restera pas réservé aux seuls bateaux innovants et aux tour-opérateurs prônant un tourisme de luxe durable.
« Vous serez les rares privilégiés à embarquer à bord du Commandant-Charcot, navire de croisière de luxe d’un genre nouveau, taillé pour la haute exploration polaire. Vous explorerez les zones de l’Arctique les plus isolées de la planète, lors d’itinéraires inédits, nés de notre volonté de vous emmener là où les autres ne vont pas. » Voilà ce qu’on peut lire sur la très élégante brochure du croisiériste de luxe Ponant.
Baptisé le Commandant Charcot en l’honneur du grand explorateur polaire français, le navire brise-glace flambant neuf, dernier-né de la flotte Ponant, partira fin juillet en direction du pôle Nord. Il sera suivi par deux autres bateaux au cours de l’été, avec à chaque fois 270 touristes à bord et 190 membres d’équipage.
L’idée d’être « parmi les rares personnes au monde à avoir atteint le pôle Nord géographique » attire du monde. Vivre cette aventure vers l’un des derniers endroits intacts de la planète, « Au plus près du plus loin », n’a pas de prix. Le coût d’un tel voyage se situe entre 26 000 et 70 000 euros pour deux semaines de croisière, selon la cabine ou la suite choisie. Les départs de l’été 2021 sont presque tous complets.
Concernant l’impact écologique direct de la croisière, Ponant innove avec son navire hybride électrique propulsé au gaz naturel liquéfié (GNL). Un article publié sur Reporterre indique toutefois que si ce « gaz rejette beaucoup moins de soufre et d’oxydes d’azote dans l’air qu’un paquebot normal, c’est une énergie fossile très émettrice de méthane, qui produit un effet de serre vingt-huit fois plus fort que le CO2 », selon une étude réalisée par le bureau d’étude belge Transport et Environnement.
L’association de défense de l’environnement Robin des Bois rappelle que ces « pollueurs de banquise » seront équipés de deux hélicoptères et seize zodiacs, et emmèneront près de 300 clients à chaque croisière dans des endroits jusqu’à alors épargnés par la présence humaine**. Greenpeace a également montré des craintes quant à ce développement du tourisme en Arctique : « Ce navire va probablement encourager d'autres opérateurs à suivre le même chemin, avec des bateaux qui ne seront pas forcément hybrides comme celui-ci. En cas d’accident, une pollution au fuel lourd serait catastrophique et causerait des dommages qui dureraient des dizaines d'années. », a ainsi estimé le porte-parole de Greenpeace International.
L’enjeu de la sécurité est un sujet inquiétant. Que faire des matières dangereuses à bord comme le fioul d’appoint, le gaz liquéfié ou les batteries au lithium ? Sans oublier que les croisières de Ponant, aussi responsables soient-elles, seront tout de même une manière de propager ce tourisme, ses risques et ses nuisances.
De son côté, Ponant met en avant dans son discours un tourisme responsable dans l’Arctique en invoquant la science. Sur le bateau, une équipe de scientifique sera présente lors des traversées en compagnie des passagers qui participeront à certaines expériences et activités de science participative. Ainsi, des équipes de recherches pourront compter sur les trajets réguliers d’un bateau brise-glace au pôle Nord, toutefois en gardant toutefois en tête que la priorité est l’expérience des passagers.
Dans une communication très soignée, on entend les mots « explorateur polaire », « ambassadeur », « aventure », « voyage de demain », « acte militant ». L’aventurier Nicolas Dubreuil, directeur des expéditions polaires chez Ponant et du développement durable, défend une belle idée : « Nous protégeons mieux ce que nous connaissons. » Il imagine que les passagers deviennent des « ambassadeurs de ces régions » et feront passer le message d’urgence de prendre soin de ces espaces. C’est un pari, car dans la réalité, que sait-on des comportements de ces croisiéristes, avant et après le voyage ? Sont-ils davantage intéressés par les questions de confort et de températures que par le coût écologique de leur expédition ?
Pour éviter les risques de greenwashing, un suivi semble indispensable. Y-a-t-il des effets durables sur les comportements du public ? De quelles manières deviennent-ils des ambassadeurs ? Voilà un sujet que Ponant pourrait se charger de mettre en place pour savoir ce que pensent leurs futurs « ambassadeurs » des lourdes conséquences de la fonte de la banquise, et du sort des populations locales et des espèces qui y vivent. Ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que s’ils ne sont pas intéressés par la science ou l’écologie, les croisiéristes auront accès à tout un tas d’activités à bord : traineaux à chien, vol en montgolfières, moto neige, plongée polaire…