Dogon à gogo

Culture

Par Laetitia Santos

Posté le 28 mai 2011

Le superbe musée du Quai Branly consacre en ce moment même une exposition très riche au peuple Dogon. Petit avant-goût de cette déambulation entre masques et statues d’Afrique...


Au commencement...

En consacrant une exposition aussi vaste à l’art du pays dogon au Mali, le Quai Branly entendait restituer toute sa splendeur à la statuaire et aux masques de cette région, taillés avec passion au fil des siècles. Grâce à ces gracieuses vitrines mises en beauté par un éclairage tamisé, grâce à ces suspensions aériennes qui animent les visages figés, le visiteur se laisse peu à peu capter par cette plastique africaine boisée qui contient de nombreuses émotions si l’on prend le temps d’y regarder de plus près.

Avec les vagues de migration successives, le plateau dogon de Bandiagara a vu différents peuples fouler son sol et l’art sculptural s’enrichir de plusieurs styles. Ainsi, au fur et à mesure que l’on découvre les représentations les plus courantes - cavaliers, maternités, hermaphrodites, figures aux bras levés implorant le dieu Amma pour la tombée des pluies - on distingue des caractéristiques propres à chaque peuplement et l’on se fait alors une idée plus précise de l’histoire de cette partie du Mali.

Les Dogon par vagues

Ainsi, les Djennenké, peuple pré-dogon, sont spécialisés dans les représentations réalistes de leurs ancêtres et leurs statues sont souvent longues et fines, les nez minces et les yeux protubérants.

Les N’Duleri, juste après, ajoutent élégance et raffinement à leur style, notamment par la forme inclinée des yeux de leurs modèles qu’ils déshabillent et soulagent des traditionnelles scarifications.

Les Tombo, les Niongom et les Tellem, tous pré-Dogon eux aussi du centre et de l’est du plateau, ont chacun leur particularité : les premiers, isolés physiquement, font preuve d’une grande indépendance esthétique; les deuxièmes usent de la forme naturelle du bois pour leurs oeuvres quand les derniers ne sculptent qu’une face du support avec des corps schématisés et symétriques présentant une épaisse patine croûteuse. Superbe.

Puis les premiers Dogon font leur apparition, les Dogon-Mandé, et avec eux, des figures de plus en plus stylisées.

Tintam, Bombou-Toro, Kambari, Komakan, tous se succèdent, nourrissant les influences anciennes de nouveautés pointilleuses et conduisant ces représentations humaines de bois à porter des traits plein de sentiments.

Si vous pensez donc que la statuaire africaine n’est pas à votre goût, forcez-vous un peu à comprendre sa signification, religieuse bien souvent, intéressez-vous aux grands panneaux pendus là, qui vous donneront une idée de l’histoire du plateau d’où sont originiaires toutes ces merveilles ou mieux encore, laissez-vous porter par le récit d’un audioguide. Cherchez ensuite ce qui différencie un style d’un autre, scrutez chaque regard, observez les nuances de couleurs et de textures dans le bois et une fois cette immense salle traversée, peut-être vous sentirez-vous un goût nouveau pour l’art africain. La magie du lieu devrait aider.

Les Dogon par masques

Une fois la statuaire abordée dans son ensemble, on passe dans un autre espace, celui des masques. Car la société des masques est une véritable institution chez ce peuple aux croyances et aux traditions multiples.

Contrairement à la statuaire, confectionnée par des forgerons exclusivement en raison du caractère religieux des pièces, les masques sont crées par tous les initiés. Ils interviennent à différents moments de la vie de tout homme circoncis et chacun renvoie à un personnage ou à un mythe. Ce sont les fameuses danses de masques qui ont popularisé la culture dogon en Europe.

Ici, les visages de bois sont suspendus sur des grandes piques de hauteurs variées, donnant à l’ensemble un aspect presque magique. Les traits sont tantôt effrayants, tantôt drôles et après la rigueur des statues, aussi envoûtantes soient-elles, les masques viennent donner une dimension plus légère à l’art dogon.

Les Dogon au quotidien

Si masques et statues sont les grands chef-d’oeuvres dogon, la production artistique ne s’en contente pas et s’étend à la vie quotidienne et aux intérieurs avec des coupes, des bijoux, des éléments d’architecture comme des portes, des serrures, des pilliers.

Une multitude d’objets vient donc s’ajouter à ceux que l’on attribue couramment au peuple dogon, et rend toute son universalité à ce peuple qui pouvait nous apparaître jusque-là comme mystique avant tout.

Quand vous en serez arrivés là, surtout si vous l’avez visitée rigoureusement, vous vous étonnerez certainement de la densité de cette exposition et peut-être la terminerez vous un peu à la va vite. Mais quel bel aménagement et quelle façon audacieuse de donner goût aux plus retort à un art encore trop élitiste.

Dogon au Quai Branly nous a fait voyager avec intelligence vers des contrées lointaines à la rencontre d’un peuple aux croyances et aux coutumes stupéfiantes. Grâce à une scénographie tour à tour intimiste, aérienne et intrigante, l’art dogon a su nous toucher et nous délivrer ses secrets. La magie douce et exotique du Quai Branly y est sans doute pour quelque chose...