"Exhibitions" au Quai Branly

Culture

Par Simon Tarchichi

Posté le 19 décembre 2011

Un voyage dans le temps, à l’époque où l’Occident exhibait des hommes, des femmes et des enfants des quatre coins du monde pour divertir les foules ou instruire la communauté scientifique. "Exhibitions, l’invention du sauvage" est la nouvelle exposition qui a pris ses quartiers au musée du Quai Branly jusqu’en juin prochain.


Le thème de cette nouvelle expo au musée du Quai Branly est historique mais curieusement dans l’ère du temps. "Exhibitions, l’invention du sauvage" nous emmène au XVIème siècle pour mettre en lumière un phénomène qui a remué l’Occident et qui ne s’est arrêté qu’au milieu du siècle dernier. On y découvre l’histoire d’hommes, de femmes et d’enfants, ramenés en Occident afin de produire des shows, d’être exhibés dans des foires ou d’habiter dans des zoos ou "jardins d’acclimatation". La fascination de l’Occident pour l’exotisme et les hommes de couleur a été exploitée par certains pour produire des spectacles où ces étrangers étaient mis en scène, parfois confondus avec des animaux, tandis qu’on y présentait aussi des individus malformés comme des bêtes de foire. On ne vous le cachera pas, cette exposition dérange, et revient sur une sombre partie de notre histoire pour nous permettre de mieux la comprendre.

Une mise en scene théatrale

On avance dans l’expo comme dans un théâtre. On ira d’abord sur scène, entouré de gravures et photos d’époque, pour continuer dans les coulisses avec quelques témoignages des acteurs, et finir avec une vue d’ensemble de cette tendance, des origines jusqu’à son déclin dans les années 30. La lumière a été tamisée afin de protéger les oeuvres ce qui contribue à nous plonger dans l’ambiance, parfois sordide, de ces représentations. On y découvre l’histoire de personnes arrachées à leur pays pour venir en Europe divertir les foules, traitées comme des bêtes, et la lecture de leurs témoignages nous interpelle forcément.

L’Histoire : des monstres aux colonies

L’expo s’applique à mettre en perspective l’histoire de ce phénomène, et à nous expliquer son évolution. Car si à l’origine ces représentations consistaient à amuser les foules en présentant ces hommes et femmes dépeints comme des monstres, des femmes à barbe, hommes-singes et autres curiosités de la nature, elles ont ensuite inquiété lorsqu’elles ont montré à l’Occident que, loin d’être des cas isolés, ceux désignés comme sauvages représentaient en fait des groupes d’individus entiers, des peuples différents venus d’un autre coin sur Terre. Avec des moeurs et un mode de vie qui fûrent vite qualifiés de primitifs par une civilisation européenne en plein essor. Elles ont aussi attiré l’attention du monde scientifique qui a alors imaginé des théories sur l’évolution des espèces et inventé le concept de "races" humaines

Ces shows, ces mises en scène, ont fortement contribué à ancrer dans l’imaginaire collectif toutes sortes d’images et d’idées péjoratives sur ces peuples qui vivaient au bout du monde. Jugés inférieurs par la science de l’époque, déshumanisés par le biais de ces spectacles, ces peuples et leurs territoires aux sols souvent riches en matières premières, sont alors devenus la cible des grandes puissances européennes. L’Occident s’est ainsi lancé la mission de coloniser leurs terres et de faire évoluer ces tribus lointaines : voici venu le temps des colonies.

Le devoir de mémoire

Cette histoire, aussi honteuse soit-elle, est la nôtre, à nous Occidentaux, mais c’est aussi l’histoire de la prise de conscience de la différence, des prémices de la peur de l’autre, et des relations troubles entre l’Occident et ses colonies dans le monde. Et cette histoire explique aussi comment certains préjugés ont survécu jusqu’à aujourd’hui… L’exposition, orchestrée par Pascal Blanchard et Nanette Jacomijn Snoep, est d’ailleurs soutenue par Lilian Thuram qui adhère à son concept et lui prête son nom et son image en tant que commissaire général.

Au fil de la visite, on se demande comment on a pu un jour enfermer des tribus entières dans des "zoos humains" pour pointer leurs différences comme objet de divertissement, et leur enlever toute trace d’humanité. L’expo a pour vocation de leur rendre un bout de leur histoire, tout en expliquant les origines de certains clichés qui ont la peau dure.

Bien heureusement, nous avons maintenant des facilités à voyager et ces images qui subsistent dans l’inconscient collectif n’ont donc plus lieu d’être : pour les effacer, on ne pourra que vous encourager à aller à la rencontre de l’autre voir par vous-même. Voyager, rencontrer, échanger, voilà ce qui fera tomber les préjugés. C’est aussi ça la mission d’un touriste responsable...