Par Laetitia Santos
Posté le 17 février 2023
Forte de son succès depuis mai 2022, l’exposition de la fondation EDF qui mêle art contemporain et réflexion nécessaire de notre temps est prolongée jusqu’au 2 avril prochain. L’occasion d’une visite pour mettre nos méninges en branle sur ce paradoxe difficile qui ne demande qu'à être nuancé : si le voyage est un enchantement spontané, la planète elle, préfèrerait sans doute s’en passer !
Forcément, l’intitulé nous a titillé : « Faut-il voyager pour être heureux ? ». Voilà un sujet que pourrait poser une dissertation de philo. Et si l'emploi de l’impératif nous paraît excessif, force est de constater qu’en Occident, le voyage est aujourd'hui perçu comme source de plaisir invétérée.
Mais cette expo est justement là pour « déranger le réflexe qui fait du tourisme un incontournable ingrédient du bien-être ». Ce n’est d’ailleurs pas anodin si son idée a germé en plein confinement, alors que chacun s’est demandé au moins une fois comment il allait survivre enfermé et en étant contraint dans son périmètre de déplacement. Pour autant, « si les voyages édifient parfois les consciences, n’oublions pas l’empreinte écologique des infrastructures, l’impact d’un tourisme qui transforme si souvent l’ailleurs en espaces de consommation ».
Ni conseil de bonne vertu, ni mode d’emploi du bien voyager, l’exposition de la fondation EDF nous délivre des pours, des contres, des biens, des moins-biens… De la matière à penser et à ressentir inspirée par plus de 30 artistes et penseurs dont chacun pourra s’imprégner pour se composer son propre voyage, ici et demain.
Ce sont donc 32 artistes du monde qui présentent pour l’occasion une cinquantaine d’œuvres entre photos, sculptures, installations ou vidéos, lesquelles interrogent sur des sujets aussi variés que la mobilité infinie dans un monde fini, l’accessibilité totale de la planète, les plaisirs de la mobilité facile, les inégalités entre les déplacements de loisirs et les migrations forcées ou encore la dimension édificatrice du voyage qui pourrait nous rapprocher du monde. Tous dispensent une réflexion de fond et délivrent des messages jamais tout faits, mais toujours engagés. À l’heure où 80 % des dépenses des touristes du Nord engagées dans les pays du Sud reviennent dans ces mêmes pays du Nord, il y a indéniablement une réflexion à mener et à mettre en œuvre pour un tourisme plus vertueux bénéficiant directement au territoire visité et aux populations d’accueil.
Comment le tourisme transforme les ailleurs en espaces de consommation, telle est une des premières réflexions sur laquelle on chemine avec l’œuvre de Mali Arun, vidéo faite de noir et blanc donnant une esthétique intemporelle à cette nature merveilleuse. Mais qui renforce aussi le sentiment de malaise lorsque des nuées de touristes viennent grignoter ce paradis jusqu’à le faire presque disparaitre. Le tourisme de masse apparait ici brutal et sans appel : ce sera l’homme ou la nature.
Voilà notre rapport au monde questionné, donc. Lequel trouve un écho supplémentaire dans l’œuvre d’Ange Leccia et sa multitude de globes terrestres en plastique agencés là au sol, les uns contre les autres comme s’il existait des planètes analogues capables de vie, une Terre de rechange, un plan B après que celle-ci eut été trop abimée. La lueur douce des sphères distille un sentiment qui nous renvoie à la fragilité de notre monde. Et à cette réalité à accepter : Terre ne s’écrira toujours qu’au singulier.
Autre question posée dans cette exposition et pas des moindres : les espaces numériques seront-ils, à l'avenir, notre seul espoir de voyage ? Dérangeant, n’est-ce pas ? D’imaginer que nous ne pourrions plus que voyager via nos écrans. Pourtant, les enjeux environnementaux de la préservation des écosystèmes et du changement climatique sont tels qu'ils imposent cette idée de façon implacable. À moins que les énergies vertes finissent par décarboner suffisamment le tourisme, et notamment l’aviation ?
L’œuvre de David Ancelin - un palmier planté dans un sac à dos de baroudeur et décorant l’angle d’un appartement à la façon d'un pot de fleurs - évoque cet exotisme et cet ailleurs ramenés là, dans notre quotidien, comme pour voyager sur place. Mais si le covid nous a forcés à une réclusion consentie, le voyage immobile ne serait-il pas finalement source de soulagement face aux menaces environnementales du réel ? Face à un trop-plein de touristes dans plusieurs endroits réputés de ce monde rendant les lieux oppressants plutôt que ressourçants ?
Alors faut-il voyager pour être heureux ? En tout cas on sort de là ravi d’avoir voyagé en pensée, d’avoir nourri notre réflexion guidée par chacun des écrits de cette exposition, pédagogiques et empreints de beaucoup de finesse d’esprit. Quant aux capsules vidéo faisant intervenir quatre sociologues ou experts du tourisme, on en a apprécié les morceaux bien choisis, autant autour de Saskia Cousin, anthropologue et sociologue du tourisme que de Rodolphe Christin, fervent anti-tourisme dont la parole ici s'est faite nuancée.
Une fondation engagée pour l'environnement, l'éducation et l'inclusion, ouverte à tous gratuitement, et qui propose une programmation culturelle avec notamment des expositions en lien avec leurs sujets de prédilection et une forte démarche pédagogique.
Entrée libre du mardi au dimanche de 12h00 à 19h00
01 40 42 35 35
6 rue Récamier, Paris, 75007, Ile-de-France, FR