Par Adèle Boudier
Posté le 19 décembre 2018
Photographe et voyageuse, Jessica Valoise nous parle de l’importance de la créativité, du voyage et de la rencontre. Un intérêt pour des problématiques sociétales et les interactions humaines qui la mène aujourd’hui vers des projets engagés, aux quatre coins du monde... Bientôt au Rwanda pour un reportage entre résilience, développement et tourisme durable.
Artiste pluridisciplinaire, peux-tu nous raconter tes débuts dans le monde artistique ?
« J’ai toujours fait de la peinture, dessiné, peint. Je peignais sur mes vêtements dès l’âge de sept ans et à la fin de mes études, je me suis mise à peindre tous les jours. Mon entourage a commencé à me demander des vêtements et en quelques mois je me suis lancée dans cette activité, la peinture sur t-shirts.
Ensuite, il a fallu illustrer ce que je faisais. J’ai donc acheté un appareil photo amateur et là… Je suis tombée en amour pour la photo. Comme j’avais beaucoup d’amis dans la danse et la musique, j’ai commencé dans ce milieu. »
Quelle place a joué le voyage dans ce développement créatif ?
« J’ai toujours été curieuse de découvrir de nouvelles choses. A l’âge de quinze ans, je suis allée au Kenya et j’ai rencontré des Massaïs dans leur village, avec leurs vêtements traditionnels… On ne parlait pas la même langue mais ils faisaient des blagues, nous taquinaient… Et là, je me suis dit que j’aimerais connaître le monde. A l’époque, j’avais un kodak jetable !
Des années plus tard, mon nouvel appareil photo en mains, je suis partie en week-end à Amsterdam… Et comme j’avais déjà le goût du voyage, j’ai trouvé ça génial de pouvoir créer en voyageant. »
Est-ce que tu penses que tes études en psychologie influencent ta façon de photographier, les sujets que tu choisis ?
« Oui, je suis toujours intéressée par le fonctionnement de l’Homme, de la société. Donc mes sujets photo ont clairement un lien avec la psychologie et l’humain.
Au Laos, il y avait une communauté complètement coupée du monde, dont les habitants n’ont pas le droit de sortir, risquant de se faire renier du village. Je n’ai pas pu prendre de photos car les anciens ont peur que cela capture leurs âmes, mais j’y ai rencontré une personne, qui s’appelle Hook, qui est sorti de ce village et qui s’en est fait renier pour ça. Il est finalement revenu et a dû payer une dette en bétails, faire des cérémonies avec le chaman, le guérisseur et le chef du village pour se faire pardonner et être de nouveau accepté dans le village.
Cette rencontre fût incroyable parce qu’il avait environ trente ans et a pu me donner toute sa vision du village avant qu’il en sorte, ainsi que la vision qu’il a eu en allant étudier aux Etats-Unis. Avec une compréhension de la culture occidentale et de ses traditions. Il a pu m’expliquer les choses de façon objective.
Dans le village par exemple, il y a le mariage forcé (les filles sont mariées dès sept ans et ont des relations sexuelles à partir du moment où elles ont leurs règles) ; ce fut très intéressant d’avoir cette discussion avec lui et de me rendre compte que, que ce soit chez eux ou que ce soit chez nous, tout parait normal jusqu’à ce qu’on le remette en cause.
Il avait aussi son avis sur des choses que l’on fait en Occident et qui sont totalement absurdes. On va par exemple juger des traditions comme le fait de vivre en famille, alors que dans ces communautés, les personnes âgées ne sont pas abandonnées car elles portent le savoir, ce sont leur bibliothèque. »
Comment définirais-tu la « créativité » et quels seraient tes conseils aux nombreuses personnes « effrayées » par cette recherche profonde, cette expression personnelle ?
« Cette question, ça fait des années que j’essaye d’y répondre... Quand je parle avec des amis qui ne créent absolument pas, je me rends compte qu’ils ont peur du résultat, car pour eux, il faut que ce soit beau et présentable. Mais quand tu créées, l’intérêt est uniquement le processus. Créer ce n’est pas obtenir quelque-chose, mais se faire plaisir dans le processus, sortir quelque-chose de soi.
Dans les ateliers de peinture intuitive que j’ai pu donner, les personnes qui avaient peur de se lâcher, ont finalement sorti une peinture dans laquelle on voyait beaucoup leur caractère. Ils n’ont cependant pas souhaité emmener la peinture avec eux car c’était se voir soi. Pour ne pas avoir peur de se voir soi, je ne connais pas la solution. Comme beaucoup de peurs, ce sont des peurs injustifiées. Il faut se lancer, y aller petit à petit. On est des êtres créatifs, faits pour créer. »
Tu as un lien particulier avec la musique… De quelle manière l’entretiens-tu lors de tes voyages et projets audiovisuels ?
« La musique est totalement indispensable. Même quand je peins, je retranscris ce que j’entends. Dans la photo, ce qui m’intéresse particulièrement ce sont les artistes, les concerts. Quand je fais du montage vidéo, j’ai besoin d’avoir de la musique pour être sur le rythme.
En Inde par exemple, où je voyageais seule, j’ai eu beaucoup de situations stressantes. Lorsque je ne me sentais pas bien, j’écoutais une « playlist » que je prépare toujours avant un voyage. J’ai donc une importance pour les musiques que je connais, et celles que je vais découvrir dans le pays que je visite.
Dès que je vais dans un endroit, la première chose que je recherche ce sont les cours de danse, les concerts, les manifestations artistiques. Automatiquement, je vais donc être dirigée vers les milieux artistiques, ce qui va jouer sur les rencontres. »
Et comment photographier « l’humain » ?
« Si on veut prendre des photos, en visitant un village par exemple, il faut réfléchir à la façon d’aborder les gens, faire attention à ne pas perpétrer l’idée du « zoo humain ». Ce n’est pas un folklore. Il faut réfléchir au contexte, et à comment on va le présenter.
Lorsque j’ai mon appareil photo, les gens viennent me parler. C’est un prétexte pour les rencontres. Dans ma démarche en tant que photographe, le rapport aux autres est très important. Quand je suis allée dans un village au Laos par exemple, j’étais accompagnée de personnes parlant anglais et laotien, il y a donc eu un contact par le biais du traducteur, et on demandait aux personnes si on pouvait les prendre en photo.
Dans le village dont je parlais toute à l’heure, ils ne souhaitaient pas être pris en photos. Hook nous expliquait que les jeunes n’ont plus la croyance de se faire « capturer l’âme », mais comme les anciens y croient encore, ça leur fait peur pour les jeunes. J’aurais donc pu prendre des jeunes en photos mais je ne l’ai pas fait par respect. C’est toujours un peu faire appel à son propre jugement et se demander "pourquoi je veux prendre cette photo", "qu’est ce que je veux raconter ?" ».
Ton prochain projet sera au Rwanda, peux-tu nous en parler un peu plus ?
« Je suis envoyée au Rwanda pour repérer et labelliser des hébergements pour Village Monde et dans le cadre d’un documentaire sur le tourisme durable. A côté de ça, je vais également faire des reportages photos. L’angle du documentaire sera « la place de la résilience dans le développement du tourisme durable ».
J’ai choisi le Rwanda car, premièrement je souhaitais un pays d’Afrique. J’aime les petits pays et il fallait un pays où l’écotourisme était en voie de développement. Le Rwanda correspondait donc le mieux aux critères.
Mon objectif principal est de ne pas focaliser sur le génocide, tout en ne l’évitant pas, c’est pour ça que j’ai choisi le sujet de la résilience. Je souhaitais voir comment une Nation se reconstruit après un tel drame. Il faut savoir que le Rwanda est un pays qui connait un développement extraordinaire ces vingt dernières années. Beaucoup d’investissements se font dans le secteur touristique, c’est le pays le plus sécuritaire d’Afrique, le deuxième pays le plus sécuritaire au monde. »
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