Par Sophie Squillace
Posté le 12 février 2021
Voilà une annonce accueillie avec enthousiasme lors de la conférence internationale sur les carburants synthétiques pour une aviation durable. La compagnie néerlandaise KLM, avec le concours du ministère des transport et du groupe Shell, a affrété un Boeing 737-800 propulsé avec un mélange composé de 500 litres de kérosène synthétique, pour un vol Amsterdam-Madrid effectué avec succès le 22 janvier.
L’urgence climatique croissante s’impose aujourd’hui au secteur de l’aérien, point noir du secteur touristique. Gouvernements, constructeurs et pétroliers envisagent l’avenir et les alternatives aux énergies fossiles. Ils s’engagent dans un long chemin pavé de défi technologiques.
On connait déjà les biocarburants comme l’huile de cuisine recyclée, le gaz méthane produit par la biomasse ou l’éthanol issu de la betterave ou de la canne à sucre que l’on trouve mixé à l’essence de nos stations-services depuis une dizaine d’années. Mais ici, le groupe pétrolier anglo-néerlandais Shell, dans son laboratoire d’Amsterdam, a produit un carburant de synthèse à partir de dioxyde de carbone, d’eau et d’énergie renouvelable.
Le procédé semble idéal : le CO2 est capté dans les rejets de la plus grande raffinerie européenne appartenant au groupe, et l’électricité nécessaire à la production vient d’un parc éolien offshore et des panneaux solaires du laboratoire. Seule ombre au tableau, avec la technologie actuelle, l’électrolyse nécessaire à l’extraction de l’hydrogène dans l’eau demande beaucoup d’énergie. Plusieurs équipes de chercheurs auraient fait récemment des progrès significatifs dans le domaine. A suivre.
Un an après le début de la pandémie, les grands groupes pétroliers accusent des pertes colossales. Sous la pression des gouvernements et de l’opinion publique face au dérèglement du climat, ils commencent à planifier une lente transition vers les énergies renouvelables, dont les carburants de synthèse. Ces derniers apparaissent comme la seule alternative réaliste aujourd’hui pour l’aérien, la technologie actuelle des batteries électriques étant encore bien loin des prérequis de poids et d’autonomie de l’aviation commerciale.
Cependant, tout reste à faire ; la part des biocarburants dans la consommation totale du secteur est infime. KLM admet qu’elle ne représente aujourd’hui que 0,2% du carburant consommé par ses avions. Les investissements importants nécessaires au développement du kérosène de synthèse vont devoir s’étaler dans le temps, dans un contexte économique morose. En outre, les acteurs des grands pays asiatiques aux économies croissantes, l’Inde et la Chine en tête, ne vont pas facilement accepter les objectifs de réduction des émissions et les investissements qui en résultent, quand l’Occident a carburé à l’or noir pour asseoir sa domination jusqu’à aujourd’hui.
Marjan Van Loom, la présidente du groupe Shell aux Pays-Bas, a résumé lors de la conférence : « Maintenant que nous savons que le kérosène synthétique est une solution qui marche, le but est de le rendre économiquement viable, en réduisant les coûts de production pour pouvoir l’accélérer. »
Samanth Subramanian, journaliste chez The Guardian, souligne quant à lui, dans l'article très complet Inside the airline industry's meltdown ("À l'intérieur de l'effondrement de l'industrie aérienne"), qu'à court terme « la seule façon de décarboner l'aviation est de voler moins. Une option qui semblait complètement absurde jusqu'à cette année, lorsque nous avons été obligés d'apprendre à vivre sans avion. »