Par Laetitia Santos
Posté le 4 avril 2012
Un film contemplatif et humaniste où l’on a l’impression rare de dialoguer avec ces bergers du Ladakh sans intermédiaire. Un témoignage beau et sensible d’un peuple en voie de disparition.
Partir, rallier le monde moderne et espérer un quotidien neuf à la ville ou rester, perpétrer les traditions mais être confronté à une vie toujours plus rude, tel est le dilemme crucial auquel se retrouvent confrontés chaque année les bergers du Karnak.
Ethnographe et cinéaste, Marianne Chaud, amoureuse de la région parlant un ladhaki courant, clot ici son triptyque himalayen après Himalaya, la terre des femmes en 2007 et Himalaya, le chemin du ciel l’année suivante. Avec La nuit nomade, la jeune femme fait entrer dans notre coeur cette poignée de familles de bergers, éleveurs de chèvres, de moutons, de yaks. Discrète derrière sa caméra quand il s’agit de filmer la quiétude des hauts plateaux du toit du monde et la sérénité qui s’en dégage, Marianne dialogue au contraire avec aisance et simplicité lorsqu’il s’agit de montrer les peurs et les doutes des gens qui vivent là et dont les traditions se meurent, sans pour autant influer sur la décision que ses sujets ont à prendre.
Il y a dix ans, ils étaient encore 70 familles dans cette communauté filmée par Marianne. Aujourd’hui, on en compte moins de 20. Tous les ans en octobre, avant que l’hiver ne s’abatte sur ces montagnes, le boucher débarque et qui est prêt peut décider de lui céder son troupeau pour partir à la ville, changer de vie, ne jamais revenir. Et toute l’année durant, la question de savoir quelle est la bonne décision tourmente les anciens comme la jeune génération.
Déjà, ces nomades là ne dansent plus, les prières coutumières se font plus rares et la question de la sédentarité trotte dans leur esprit à longueur de journée. Chaque départ les affaiblit un peu plus. Sans interprète, échangeant directement avec ces hommes et ces femmes simples et authentiques, on partage avec Marianne de l’émotion simple, des rires chaleureux, des taquineries, de la sagesse, beaucoup de remises en question aussi, de nombreux doutes et un vague à l’âme qui semble flotter en permanence.
La nuit nomade réveille notre conscience, aiguise notre humanisme, nous file une petite leçon d’humilité en même temps qu’il nous gorge le coeur de grands espaces et de liberté. Face à ce monde à la fois rude et fragile, bien vivant mais qui se meurt pourtant, on en vient à espérer que La nuit nomade nous porte conseil pour éviter de le voir disparaitre…