Le cinéaste Jafar Panahi scandaleusement condamné à six ans de réclusion

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Par Laetitia Santos

Posté le 21 décembre 2010

Pour avoir tenté de tourner un film sur l’opposition au moment des présidentielles de 2009, Jafar Panahi écope d’une lourde sentence qui révèle aux yeux du monde un scandaleux durcissement du pouvoir iranien. La France se mobilise déjà.


Il a 50 ans, en aura 70 quand son interdiction de filmer et de voyager sera levée et aura donné à l’Iran vingt années de sa vie durant lesquelles son talent pour l’image aurait sans nul doute atteint de hautes sphères. Tout ça pourquoi ? Parce que Jafar Panahi a voulu témoigner de la société iranienne au travers de films qui n’ont jamais été diffusés dans son pays et qui font désormais de lui un paria. Car si le cinéma ne sert pas la propagande, alors les réalisateurs finissent dans des prisons dont ils ressortent affaiblis, malades, de corps comme d’esprit. Et encore, s’ils en ressortent. Voilà le visage honteux qu’affiche l’Iran au monde.

Un recul évident de la liberté d’expression

Quelle n’a pas été notre indignation ce matin en découvrant que l’Iran a pris la décision de condamner le cinéaste de la nouvelle vague iranienne, Jafar Panahi, ainsi qu’un de ses collaborateurs, Mohammed Rassoulov, à une très lourde sentence à savoir six années d’emprisonnement, une interdiction totale de filmer et de sortir du pays pour les vingt années à venir.

C’est sans honte aucune que le Tribunal de la République Islamique de Téhéran a prononcé son jugement, comme le rapporte l’avocate du réalisateur, Farideh Gheyrat : "M. Panahi a été condamné à six ans de prison pour participation à des rassemblements et propagande contre le pouvoir. On lui a également interdit de tourner des films, d’écrire quelque scénario que ce soit, de se rendre à l’étranger et de s’adresser aux médias locaux et étrangers pendant vingt ans."

Jafar a eu beau crier à "un rapt du pouvoir contre l’ensemble des artistes du pays" lors de son audience le 7 novembre et le septième art international se mobiliser au moment du Festival de Cannes de mai dernier – des artistes comme Juliette Binoche ou Steven Spielberg étaient montés au créneau pour prendre la défense de l’artiste déjà emprisonné depuis deux mois à ce moment-là tandis que plus d’une quarantaine d’acteurs et cinéastes avaient alors déjà signé une pétition réclamant la libération "immédiate et inconditionnelle" de l’intéressé – rien n’y a fait et le pouvoir iranien a donc décidé d’afficher aux yeux du monde un durcissement intolérable vis-à-vis de la liberté d’expression et du droit humain.

La France se mobilise déjà

Sitôt l’information répandue sur la Toile, les réactions ont commencé à pleuvoir, émanant du cinéma français et de nos intellectuels en général. Ainsi, le ministre de la Culture, Frédéric Mitterand, "a pris connaissance avec indignation du pseudo-jugement frappant le cinéaste iranien, condamné à six ans de prison et vingt ans d’interdiction d’exercer son métier de réalisateur et de quitter son pays, ce qui revient à l’empêcher totalement d’exprimer son talent."

Le philosophe Bernard-Henry Lévy a quant à lui dénoncé "un régime devenu fou" et ayant "condamné sur le soupçon d’avoir l’intention de réaliser un film sur le mouvement vert. Son seul crime est d’avoir été un partisan de Moussavi." Selon lui, l’Iran vient "d’inventer le délit de synopsis. Avec cette condamnation ahurissante, le régime de Téhéran a déclaré la guerre à ses artistes et à sa société civile toute entière."

Le délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, a appelé à "agir vite" et s’est allié à la Cinémathèque française et à la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques). Ensemble, ils ont démarré une pétition que chacun d’entre nous peut signer pour ne pas tolérer une minute de plus ce coup de canif porté à la liberté des droits de l’homme.

Un cinéaste reconnu de la profession

Jafar Panahi avait obtenu dès son premier long-métrage en 1995, Le Ballon blanc, la Caméra d’or au Festival de Cannes et s’était vu attribuer cinq ans plus tard un Lion d’or à Venise pour Le Cercle, pellicule abordant la condition féminine dans l’ancienne Perse.

Ses ennuis avec l’actuel gouvernement ont débuté en mars dernier alors qu’il avait été arrêté avec femme et enfant et transféré à la prison d’Evin, dans la capitale iranienne, où croupissent de nombreux détenus dans un état de détresse totale. Et malgré la prise de position de noms célèbres comme Bertrand Tavernier, Isabelle Huppert, Robert Redford, Marjane Satrapi, Michael Moore, Oliver Stone, Martin Scorsese, Robert de Niro et bien d’autres, l’artiste n’avait pu honorer l’invitation du 63e Festival de Cannes.

Aujourd’hui, cette condamnation révolte et le monde des arts semble bel et bien décidé à soutenir Jafar Panahi contre un pouvoir iranien dictatorial. Reste à savoir s’il sera suffisamment puissant dans une communauté internationale qui rechigne souvent à montrer son voisin du doigt par peur de froisser les relations difficilement tissées au fil des années...