Par Laetitia Santos
Posté le 7 mars 2020
Après les entrevues béninoises avec Rafiy Okefolahan, Louis Oké-Agbo et Simplice Ahouansou, après le portrait du très renommé et tout aussi béninois Julien Sinzogan, place désormais à Levoy Exil, seul artiste en provenance d’Haïti parmi les talents exposés en ce moment même à l’Office de Tourisme de Cergy-Pontoise dans le cadre d’"Empreinte Vodou".
Dernier représentant parmi les instigateurs du mouvement pictural phare en Haïti, le mouvement Saint-Soleil, Levoy Exil nous a offert un moment suspendu le temps d’une rencontre à Cergy-Pontoise entre français et créole, entre chants et poésie. Portrait mélodieux d’un homme vivant entre songe et réalité...
C’est en 1973 à Soisson-la-Montagne en Haïti, que naît le Mouvement Saint-Soleil, première communauté artistique rurale du pays à l’initiative de Maud Robart et Jean-Claude Garoute dit Tiga, figure créatrice majeure de la Caraïbe contemporaine.
Leur objectif : donner un nouveau souffle à la peinture haïtienne en la brassant avec la culture vaudou dont Haïti est pétrie à l’image de son confrère africain le Bénin. La suite, on la connaît, popularisée notamment par André Malraux, ancien ministre en charge des affaires culturelles sous de Gaulle dans son ouvrage L’Intemporel : un mouvement pictural fort, naïf, coloré, qui verra naître en son sillage bon nombre d’artistes réputés de par le monde.
Parmi eux, Levoy Exil, 76 ans, dernier disciple vivant du grand Tiga qui semble lui avoir légué son éclectisme artistique : peinture, chant, écriture, sculpture, poésie… L’homme, paysan comme eux tous dans ce mouvement, est un touche-à-tout qui aime à affirmer qu’il tient des songes son talent.
Il a 28 ans lorsqu’il rencontre Tiga. À ce moment là, Levoy partage sa vie entre les champs et la maçonnerie. "Es-tu peintre ?" le questionne Tiga. "Non mais j’ai l’habitude de voir de la peinture à l’hôtel Damballah de Pétion-Ville" répond Levoy qui s’y rend souvent pour quelques travaux de rénovation. Tiga ressent-il chez lui une fibre artistique qu’il revient peu de temps après lui léguer trois pinceaux ? Quoi qu’il en soit, la destinée de Levoy Exil est enclenchée.
S’il a les pinceaux, Tiga ne lui donne pas de peinture pour autant. Lorsqu’il s’en étonne, Tiga rétorque : "Tourne-toi vers les produits naturels". L’expérience démarre : jus de betterave, carotte, tomate, amidon... Les pigments issus de Mère Nature deviennent l’unique peinture.
Entre rêves inspirants et croyances vaudouistes, le génie de Levoy Exil n’est pas simple à saisir. Il est drapé de mystère et de mystique. Il est miracle. On en saisit la puissance indéniable lorsque l’on admire son oeuvre prolifique ou lorsque le peintre fait résonner sa voix et ses mots. Et lorsque l’on lit ceux de Malraux et sa passion pour cet art primitif, comme André Breton avant lui, tous deux considérés comme les révélateurs d’un art comme il n’en existe nulle part ailleurs.
Pour l’intellectuel français, cet art est "une arme (contre) les missionnaires lors de la campagne antisuperstitieuse, comme ils l’avaient fait pour les Dieux Aztèques". Un art de la révolte en somme, "part divine de l’Homme" pour faire vivre la croyance traditionnelle face à l’oppresseur.
Pour Levoy, comme pour tout le mouvement Saint-Soleil, l’art est une nécessité et une obsession qui permettent une naïveté, une libération de la couleur, une sincérité de l’émotion, une intensité brute. Mais contrairement au reste de l’art naïf haïtien, la peinture de Levoy comme celle de tout le mouvement Saint-Soleil est habité par le songe, le religieux, la vie intérieure et transcende la réalité quand la peinture naïve haïtienne lui est si fidèle.
La raison n’a pas lieu d’être chez Saint-Soleil, pas même que chez les Cinq Soleils que Levoy fondera un peu plus tard aux côtés de Louisiane Saint Fleurant, Denis Smith, Paul Dieuseul et Prospère Pierre Louis. Seuls les esprits vaudous, les loas en Haïti, guident le génie créatif.
Ce qui émane sur les toiles ? Des formes dansantes, des visages allongés, du pointillisme semblable à celui qui se peint derrière des paupières closes, des ancêtres, qu’ils soient de la famille ou plus lointains, comme les indiens Arawak, peuple premier de la belle Ayiti qui hante tout particulièrement Levoy.
Les couleurs elles aussi ont leur code : le noir pour la masse du corps, le blanc pour l’esprit vaporeux, et des couleurs à n’en plus finir pour Damballah, le dieu serpent créateur de vie.
Avec la peinture vaudou de l’Haïtien Levoy Exil, c’est tout le sacré et l’invisible qui sont élevés au rang d’art, au rang de nécessité autant que d’éternité.