Par Laetitia Santos
Posté le 24 mars 2018
Jean-Pierre Aurières est professeur d’histoire-géographie au lycée Paul Éluard de Saint-Denis. Chaque année depuis 10 ans, il emmène une classe à l’autre bout du monde pour questionner le vivre-ensemble et éduquer au civisme et à l’ouverture sur le monde. En 2015, lui et 21 de ses élèves s’envolent pour un voyage d’étude vers la lointaine Calédonie. Durant deux semaines, les jeunes Dionysiens vont rencontrer Kanak et Caldoches pour réfléchir à la complexité de la question identitaire qui les touche tant, mais aussi à l’indépendance possible du territoire et au respect des différences.
"Mettre un adolescent, une personne en devenir dans une case, c’est l’enfermer, c’est un non-sens. Le voyage, c’est le retirer de sa boite et lui donner toutes les possibilités de devenir quelqu’un de multiple." Ils s’appellent Amine, Jasmeen, Amina, Garance, Hicham, Axelle, Mohamed... Tous sont Dionysiens et élèves de Première, nés de parents souvent étrangers, mais eux-mêmes Français, ayant grandi et passé toute leur vie dans les quartiers de Saint-Denis. Entre le 27 avril et le 13 mai 2015, ils ont bénéficié de l’incroyable projet pédagogique de leur professeur Jean-Pierre Aurières : partir loin pour découvrir ce qui nous rapproche en tant qu’Humain. "Je suis convaincu que la réussite des élèves, à l’heure d’Internet et de la mondialisation, passe aussi par l’ouverture au monde et la rencontre avec l’Autre" explique le professeur peu banal. Comment vivre ensemble ? Comment accepter la différence ? Comment se respecter et respecter l’Autre ? Autant de questions mises en réflexion à chaque voyage...
Après un premier film tourné à Madagascar, Marine-Camille Rose et Juan Ignacio Davila, les réalisateurs fidèles au projet Au bout de la route s’embarquent pour un caillou en plein Pacifique. Bienvenue sur le sol caldéen où la question identitaire est ancrée dans le ventre de l’Histoire de la Grande Terre. Ça tombe bien, les banlieusards en sont imprégnés de cette problématique liée à l’identité : "Parfois on a du mal à se sentir Français. On ne sait plus trop ce qu’on est. Donc on se rattache aux origines de nos parents" exprime Jasmeen.
La Nouvelle-Calédonie, c’est une terre sous dépendance française, brassée d’un peuple indigène, les Kanaks, et des descendants de colons, les Caldoches. C’est au coeur de cette mixité lourde d’un passé colonial et de blessures communes que les élèves se confrontent à une nouvelle culture, celle de la vie au jour le jour du peuple kanak, sans montre, au rythme des besoins primaires, et avec l’idée que l’Homme appartient à la terre, et non l’inverse. Pendant 10 jours, ils ont vécu là, dans la région de Hienghène au sein de la tribu Tiendanite. Puis de Nouméa à Ouvéa, ils sont allés de rencontres en rencontres, échangeant avec des indépendantistes Kanaks, des lycéens métissés, des guides et auteurs spécialisés sur l’histoire et l’économie de cette région du Pacifique.
Un film nécessaire, une initiative pédagogique qui l’est encore plus mais qui reste pourtant marginale à l’échelle de l’Hexagone. Un film en pleine actualité aussi puisque le référendum sur l’autodétermination de l’archipel caldéen vient d’être fixé au 4 novembre prochain.
Un film que nous aurons la fierté de présenter lors de la 4ème édition du No Mad Festival qui se tiendra les 15, 16 & 17 juin prochains. Jean-Pierre Aurières et ses élèves seront parmi nous pour nous conter ce voyage aux antipodes, nous parler du lien immuable entre le voyage et l’éducation, et ce que chacun en a retiré. Avec cette maxime entendue en Nouvelle-Calédonie et ramenée tel un objet sacré : "Il n’y a que les montagnes qui ne se rencontrent jamais..."