Maroc : le royaume se rapproche d’Israël

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Par Sophie Squillace

Posté le 16 décembre 2020

Photo Sources: AP Photo / Mosa'ab Elshamy.

En échange du rétablissement des relations diplomatiques du Maroc avec Israël, Donald Trump a annoncé la reconnaissance par Washington de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Voilà une dernière surprise de la part du président américain, annoncée juste avant son départ de la Maison Blanche en janvier prochain.


Après l’Égypte, la Jordanie, puis les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan, le Maroc devient le sixième pays membre de la Ligue arabe à reconnaître Israël comme un partenaire diplomatique et économique.

Des relations séculaires

En signant cette « normalisation » avec Israël, le Maroc met en avant les relations historiques et culturelles entre les deux pays. La communauté juive au Maroc a une histoire singulière, très spéciale dans le monde arabe. Cette présence s’est accentuée au XVe siècle, lorsque que les juifs chassés par l'Espagne migraient alors vers le territoire marocain. Depuis, cette communauté a toujours fait partie de l'identité marocaine. Les relations entre les deux pays ont été ensuite renforcées par les réseaux de diaspora. La communauté israélienne d’origine marocaine représenterait près de 800 000 personnes. Des vols directs à destination et en provenance d'Israël favoriseront les voyages de tous les Israéliens vers le Maroc. Enfin, la réouverture des consulats à Tel-Aviv et Rabat, fermés depuis que les relations s’étaient dégradées entre les deux pays suite au soulèvement palestinien en l’an 2000, marque un grand symbole diplomatique.

L’annonce a été reçue de manière mitigée à travers le monde. D’abord, il y a les inquiétudes des responsables palestiniens. Le roi du Maroc a rappelé que ces « mesures n'affectent en aucune façon l'engagement continu et soutenu du Maroc envers la juste cause palestinienne ». Le roi s’est également entretenu avec Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne, pour lui assurer que le Maroc « n'abandonnera jamais son rôle dans la défense des droits légitimes du peuple palestinien. » Le royaume se dit toujours favorable à une solution à deux Etats.

Cette annonce comporte une double dimension, car elle est liée directement à une autre annonce majeure. Il ne s’agit pas seulement des relations entre le Maroc et Israël, mais aussi entre celles du Maroc et du Sahara Occidental.

Le Sahara occidental troqué contre la Palestine ?

Ancienne colonie espagnole, annexée par le Maroc en 1975, le Sahara occidental fait l'objet d'un long conflit territorial entre le Maroc et les indépendantistes du Front Polisario, soutenus par l’Algérie. Dans la partie ouest, le Maroc contrôle plus des deux tiers de ce vaste territoire désertique, le long de l'océan atlantique. En 1991, après une guerre de près de seize ans, le Sahara Occidental est classé « territoire non autonome » par les Nations unies en l'absence d'un règlement définitif. L’ONU négocie alors une trêve sous couvert de superviser un référendum pour l'indépendance du Sahara occidental, qui n'a toujours pas été organisé.

Dans le royaume marocain, la nouvelle a été vue comme un succès patriotique, celui de la cause de la « marocanité » du Sahara et de l’intégrité territoriale. L’ONU s’en tient à sa position sur la nécessité de régler le statut du territoire sur la base des résolutions du Conseil de sécurité. En bafouant le respect des résolutions des Nations Unies, les Etats-Unis tracent une autre voie de sortie au conflit entre la Maroc et le Sahara Occidental.

Très contestée, cette annonce fait couler de l’encre depuis quelques jours, car perçue comme « l’entente de deux forces occupantes » selon la journaliste israélienne Noa Landau (dans les colonnes d’Haaretz) : « je te laisse occuper la Palestine et tu me laisse occuper le Sahara Occidental » poursuit-elle.

Sur le site d’information indépendant Orient XXI, Khadija Mohsen-Finan, politologue, enseignante à Paris I (Master Relations Internationales), spécialiste du Maghreb et des questions méditerranéennes, précise quant à elle : « Mohamed VI avait deux grandes ambitions ces dernières années : une victoire totale de son pays dans le conflit du Sahara occidental, et hisser le Maroc au rang de puissance régionale. (…) Le roi échange ainsi l’acceptation américaine de l’occupation du Sahara occidental contre celle de l’occupation de la Palestine — toutes les deux contraires au droit international. »

Au-delà d’un conflit régional

Avec cette annonce, Donald Trump joue les dernières cartes de sa politique au Maghreb. Sur TV5 Monde, Kader Abderrahim, maître de conférences à Sciences Po, va plus loin, en voyant dans la décision de Washington, la volonté de « contenir » la puissance iranienne qui se développe au Moyen-Orient et en Méditerranée. Un effet d’annonce qui pourrait, au-delà de l’enthousiasme des Juifs marocains, déstabiliser un équilibre régional fragile.