Mundiya Kepanga : "J'ai enseigné à mes enfants de planter un arbre par jour"

Interview voyage

Par Laetitia Santos

Posté le 1 juin 2022

Photo Sources: Marc Dozier.

On connaît beaucoup le cacique Raoni, luttant contre les ravages de la déforestation en Amazonie. On connaît moins Mundiya Kepanga, ardent défenseur de cette même cause mais représentant de la zone Pacifique puisque lui est Papou de la tribu des Hulis. Chaperonné par le "Fou des Papous" alias Marc Dozier, réalisateur et photographe français, il est une voix autochtone emblématique pour qui l'arbre est indispensable à la vie. Et qui a donc tant à réapprendre aux sociétés occidentalisées.


Entretien à trois voix avec Mundiya et Marc, véritable duo d'une vie que ces deux-là ! Que l'on vous propose de rencontrer en chair et en plumes le 4 et le 5 juin prochains lors de deux soirées ciné exceptionnelles. Billets à réserver en fin d'interview !

Mundiya, pouvez-vous nous expliquer comment on passe de chef papou d’un village forestier du fin fond de la Papouasie-Nouvelle-Guinée à activiste mondial pour la cause des arbres ? Ce n’est pas banal…

« Tout a commencé en 2001, lorsque Marc (Dozier, ndlr) est venu dans mon village : on aurait dit un petit chien abandonné et totalement perdu ! Nous l’avons recueilli et avons pris soin de lui. Marc venait de terminer ses études de photographe et moi, je me suis improvisé son guide. À l’époque, il était très jeune, il n’avait pas de barbe, il avait les cheveux longs… Mais comme tu peux le voir à présent, il les a tous perdus ! Je l’ai conduit partout faire son travail de photographe parce qu’il m’a un peu fait pitié et que je me suis dit que ça aurait pu être mon propre fils et qu’il fallait que quelqu’un s’occupe de lui. Il est resté avec nous pendant plusieurs semaines durant lesquelles nous avons fait preuve de beaucoup de générosité à son égard, sans jamais lui demander d’argent.

Quand il est rentré en France, je crois qu’il s’est souvenu du respect et de la générosité dont nous avons fait preuve à son égard et c’est pourquoi en retour, il nous a invités en France mon cousin et moi. C’est comme ça qu’a commencé notre histoire en 2003, lorsque nous sommes venus en France une première fois pendant plus de 4 mois. Et puis en 2006-2007, nous avons réalisé un premier film pour Canal +, L’exploration inversée, qui retrace notre voyage à travers la France et ce que nous pensons de la tribu des Français. Depuis, nous avons vécu beaucoup d’aventures et publié des livres, réalisé des documentaires fait des photos, beaucoup voyagé… C’est là que j’ai commencé à vraiment connaître l’Europe et à y venir régulièrement. »

Photo Sources: Marc Dozier

"Si tous les arbres disparaissent, les hommes disparaitront à leur tour"

La lutte contre la déforestation était-elle un cheval de bataille dès le départ ou la cause a-t-elle grandi avec le temps ?

« La forêt, je l’ai dans les veines depuis tout petit. Il faut bien comprendre que je vis dans une forêt primaire depuis toujours et que mes ancêtres nous ont appris à protéger les arbres. Nous les Papous, contrairement à vous Occidentaux qui naissez à un endroit, vivez à un autre, déménagez… nous vivons toujours sur les mêmes terres, celles de nos ancêtres. Je vais y mourir, mes enfants vont y mourir… Protéger notre nature est donc un essentiel et c’est quelque chose en moi depuis toujours, bien avant mes voyages en France. »

Expliquez-nous, Mundiya, ce que représente véritablement la forêt dans la culture papou…

« La forêt pour nous est véritablement essentielle. Nous allons d’ailleurs à l’école de la forêt, c’est là que nous sommes initiés, là que nous récoltons nos plantes médicinales, que nous récupérons le bois pour construire nos cases, notre nourriture, nos parures… Tout ce que je porte vient de la forêt. Elle est un élément essentiel à notre vie. Notre forêt, c’est notre jardin, pour moi et ma tribu mais aussi pour toutes celles environnantes. Rendez-vous compte : je suis né sur un tapis de mousse, sous un arbre, en pleine nature et je suis un fils et un gardien de la forêt. Mes ancêtres racontaient une prophétie à l’origine du film Frères des arbres : ils nous ont appris que les hommes sont les frères des arbres. Si tous les arbres disparaissent, les hommes disparaitront à leur tour. C’est la réalité avec laquelle je vis depuis toujours et c’est ce que j’ai naturellement partagé dans le film.

Les anciens nous ont aussi appris qu’il faut planter des arbres régulièrement si l’on veut vivre longtemps. Traditionnellement, j’ai donc enseigné à mes enfants de planter un arbre par jour parce que sous un arbre, on peut se protéger de la pluie, du soleil, et parce que c’est un élément indispensable à notre survie. L’arbre fait intégralement partie de notre culture. Ces conseils que je délivre aux miens, je les prodigue aux enfants de votre tribu lorsque je viens en France parce que c’est un message universel qui nous concerne tous. Ça je l’ai vraiment réalisé lorsque j’ai été invité à la COP21 en 2015 : je me suis rendu compte que la question du réchauffement climatique était une problématique mondiale et donc que ce message tout simple autour des arbres était Ô combien important et destiné au monde entier. »

Photo Sources: Marc Dozier

Un message tout simple pour un engagement véritablement politique qui vous a fait côtoyer les plus grands de ce monde. On vous voit aux côtés de Robert Redford dans le film, auprès du cacique Raoni… Comme lui, vous êtes devenu une voix autochtone qui résonne avec force !

« Vous savez, moi je ne suis pas Rambo ou une star d’Hollywood. Je ne suis pas un personnage de fiction et je n’ai pas été fabriqué par des réalisateurs avec un ordinateur et des images de synthèse. Je suis une vraie personne, les films que je réalise sont des documentaires et ce que je raconte, c’est l’histoire de ma tribu, donc un témoignage authentique. Moi-même je suis surpris du succès de ce film car je ne fais que partager la prophétie de mes ancêtres mais je continuerai à partager ce message parce que je pense que cette problématique concerne l’humanité toute entière si nous voulons continuer à vivre sur cette planète. »

"La déforestation concerne l'humanité toute entière si nous voulons continuer à vivre sur cette planète"

Vous l'avez dit, vous avez pris conscience de l’ampleur de la catastrophe mondiale mais est-ce le cas de tous les Papous ? À quel point les dégâts de la déforestation affectent-ils les communautés qui vivent en autarcie en forêt ?

« Les gens dans les villages n’ont pas de sources d’informations très fiables mais ils ont tous entendu dire qu’effectivement, il y avait de la déforestation partout en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Mais ils n’ont absolument pas l’occasion de le voir de leur propres yeux puisqu’ils restent dans leurs villages et ont très peu de moyens d’informations et de déplacement. Moi grâce au film, j’ai eu la chance de voir tout ça de mes propres yeux, d’aller dans des exploitations à divers endroits du pays donc forcément je suis beaucoup mieux informé que le reste des Papous traditionnels. Il y a beaucoup de tribus différentes en Papouasie avec des coutumes, des croyances, une identité et une langue différente, mais toutes ont appris des ancêtres à prendre soin de la forêt parce que nous savons que c’est un élément indispensable à notre survie, nous en sommes dépendants. Tous ont cette conscience. »

Il y a cette scène incroyablement bouleversante dans le film où on se retrouve face à celui que vous appelez « le père de tous les arbres », un grume avec une circonférence spectaculaire. Qu’avez-vous éprouvé à la vue de cet arbre étendu sur le flanc, certainement plusieurs fois centenaire ?

« D’abord je dois préciser que je n’ai aucune idée de l’âge véritable de cet arbre mais j’aime à penser qu’il date du début du monde vu sa taille et évidemment, ça me rend profondément triste de voir un tel arbre coupé. Une fois qu’il est coupé, c’est terminé, nous ne pourrons plus rattraper ce qui a été perdu. Lorsque j’ai découvert cet arbre, il était prêt à être embarqué avec d’autres grumes sur un cargo : j’ai eu cette sensation qu'il s'agissait des habitants de ma forêt et qu’on les emmenait dans un cimetière à l’autre bout du monde... »

Photo Sources: Marc Dozier

Justement quand on découvre sa propre forêt pillée et qui plus est par des exploitations étrangères, pour aller alimenter en bois le marché international, quel sentiment éprouve-t-on à l’égard de l’homme blanc et de l’occident ?

« D’abord il faut avoir conscience que c’est aussi notre propre responsabilité à nous les Papous : nous avons créé des lois qui favorisent la déforestation. Il n’est donc pas question de jeter la pierre aux étrangers puisque c’est notre propre gouvernement qui a établi les lois qui condamnent nos arbres. Mais nous nous sommes rendu compte que des sociétés étrangères utilisaient une faille de ces lois pour pouvoir effectivement nous piller sans nous offrir le développement normalement attendu en échange de ces concessions forestières. Nous sommes nombreux à avoir une responsabilité dans ce problème. »

"Que l'on ne se méprenne pas : le développement est synonyme de mieux-vivre"

Nos villes sont en quelque sorte votre forêt… Elles vous inspirent quoi nos forêts de béton ?

« Que l’on ne se méprenne pas : j’adore vos villes. La vie y est beaucoup plus facile que dans la forêt grâce à l’eau courante, à l’électricité… et je n’ai rien contre le développement. Vous savez, tout le monde est à la recherche de développement car c’est synonyme de mieux-vivre. »

Est-ce que ça vous séduit au point de vous dire que serez citadin vous aussi un jour ou cela vous donne-t-il envie de préserver votre mode de vie pour le défendre face au développement galopant justement ?

« Ce serait difficile pour moi de m’installer en ville car je ne sais pas lire, je ne sais pas écrire… Mais si j’avais la chance de pouvoir me marier avec une Française, je serais très content de m’installer et vivre ici ! »

Comment ça Mundiya, vous n’êtes pas marié chez vous ?!

« Je divorcerai de toutes les femmes du village si une Française voulait bien m’épouser ! (rires) »

RÉSERVATION : Projection du film "Frères des Arbres", réalisé par Marc Dozier et Luc Marescot, SAMEDI 4 JUIN 2022, 20H00 - Grand Amphithéâtre de l'ESSEC, 3 av. Bernard Hirsh - Cergy-Pontoise - 5 €

RÉSERVATION : Projection du film "L'Exploration Inversée", réalisé par Marc Dozier, DIMANCHE 4 JUIN 2022, 20H30 - Cinéma L'Antarès, Vauréal - 4 €

Propos recueillis par : Laetitia Santos / Dérushage : Claire Calixto