Par Laetitia Santos
Posté le 1 mars 2021
Ce mois-ci, le Grand Entretien proposé par Babel Voyages n'est rien de moins qu'une conversation avec Nicolas Hulot. Quelle fierté. Baroudeur infatigable, écologiste convaincu, porte-parole de l'urgence climatique, homme politique désillusionné, Nicolas Hulot a l'engagement chevillé au corps et Dame Nature aux tripes. On a adoré "D'un monde à l'autre, le temps des consciences", son bouquin écrit à quatre mains avec Frédéric Lenoir et paru aux éditions Fayard. Entretien exceptionnel avec un homme d'action comme on les aime.
Cet ouvrage, Nicolas Hulot, intitulé D'un monde à l'autre, le temps des consciences, c’est un véritable plaidoyer pour des lendemains alternatifs, lequel traite autant de politique que de philosophie, d’économie que de sociologie, d’éthique, de beau, de moral, de sens, de bien individuel mais aussi collectif… C’est un guide pour passer de notre monde actuel ultralibéral à un monde plus équilibré, plus conscient, plus solidaire. Vous apportez votre regard et vos expériences politique et écologique. Frédéric Lenoir, lui, vient les nourrir avec sa spiritualité, ses connaissances des philosophies et des religions du monde, d’histoire… L’alchimie entre vous deux donne un ouvrage complet, à la fois conceptuel mais qui propose aussi un plan d’actions plus concret.
Racontez-nous la genèse de cet ouvrage et votre lien avec Frédéric, la connivence de vos esprits et de vos idées.
« Avec Frédéric, nous nous étions rencontrés à plusieurs reprises. D’abord, nous avions participé il y a une dizaine d’années à un livre collectif avec d'autres auteurs. J’avais lu deux ou trois ouvrages de lui et je savais qu’il s’intéressait beaucoup à la condition animale, entre autres. Lorsque j’ai été ministre, je lui ai donc confié une mission pour faire surgir une conscience française sur la condition animale. Mais elle n’a pas eu le temps d’aboutir puisque j’ai quitté le gouvernement prématurément. Ce que j’avais en tête à ce moment-là, c’était d’adopter le droit aux mœurs contemporaines en m’appuyant sur une conscience plus importante qu’on ne l’imagine, des Français avec le monde animal. On s’était donc revu sur ce sujet. J'ai démissionné et comme souvent lorsqu'on démissionne d’un gouvernement, les éditeurs se ruent sur vous pour que vous racontiez toutes les petites anecdotes… Je m’étais fixé une ligne de conduite de ne répondre à aucun d'entre-eux car ce que j’avais à dire, je l’avais dit et n’avais rien d’autre à ajouter. La seule chose qui m’a fait écrire, c’est un message de Frédéric, lequel savait que je m’intéressais beaucoup à la question du sens : il m’a proposé de croiser nos regards à travers mon expérience et j’ai trouvé l’exercice intéressant car pas anecdotique. Il s’agissait d’une introspection, me semble-t-il enrichissante. L’approche n’était pas mercantile ou purement de circonstances, c’était pour moi une manière de mettre à plat tous les enseignements de mes différentes expériences pour essayer d’en sortir quelque chose de constructif et d’éclairant. »
Et ça l’est éclairant ! Sur tant de sujets. Si vous deviez résumer votre idée du monde de demain en quelques concepts clefs, quels seraient-ils ?
« Le monde de demain, s’il doit être bénéfique, vertueux et apaisé, c’est un monde qui sera d’abord solidaire. Au sens large du terme, c’est-à-dire solidaire dans le temps, dans l’espace, un monde qui n’exclut pas. C’est un monde qui s’est totalement réconcilié avec le vivant et qui est donc également solidaire avec l’ensemble du vivant. Un monde qui s’est désintoxiqué de son état d’ébriété par rapport aux prouesses de la science et de la technologie, c’est-à-dire qui aura renoué avec le sens premier du mot progrès et qui aura distingué dans l’arsenal de nos outils ceux qui ne sont que de vulgaires performances technologiques de ceux qui participent à l’épanouissement équitable et durable de la condition humaine. »
Au cours de vos trente années de combat pour sensibiliser et alerter l'opinion publique à l'urgence écologique, vous avez tenté différents moyens d’action : la télévision avec "Ushuaïa Nature" notamment, pour inviter au respect de la nature par l'émerveillement, et cela sur une chaîne grand public comme TF1 ; la politique avec votre récent poste de ministre de la Transition écologique et solidaire ; la création d’une fondation pour remplir des missions de terrain… Mais le monde court toujours à sa perte, plus que jamais. Comment sensibiliser le plus grand nombre selon vous, avant même qu’il ne soit trop tard ?
« Vous posez la question que nous sommes très nombreux à nous poser… Victor Hugo disait : "Le progrès, c’est la révolution faite à l’amiable". Comment basculer dans un nouveau monde à l’amiable, c’est-à-dire sans passer par la case chaos ? C’est là toute la difficulté. Et jusqu’à présent, force est de reconnaître que l’on n’a pas réussi, ni moi ni d’autres. Nous avons probablement contribué à la prise de conscience, ouvert des voies alternatives mais ça n’est pas suffisant pour nous épargner des affres d’une crise économique et systémique. Au contraire, chaque jour les effets sont plus importants et menaçants. Que n’avons-nous pas suffisamment bien fait pour que l'on passe justement de la prise de conscience à la mutation et à la métamorphose ? Peut-être n’avons-nous pas été suffisamment démonstratifs pour dessiner ce à quoi pourrait ressembler le monde de demain... Nos imaginaires n’ont peut-être pas été suffisamment talentueux. Mais en même temps, reposaient sur nos épaules toutes les responsabilités : un, il fallait que l’on alerte. Deux, que l’on fasse la démonstration que cette inquiétude était fondée. Trois, que l’on identifie les causes du mal. Quand je dis nous, c’est moi et bien d’autres avant et après moi. On a quand même largement appréhendé et identifié les racines de tous ces désordres et on sait désormais à peu près ce qu’il faut faire. Mais là où l’on bute tous, c’est sur le comment. Comment faire pour passer d’un monde à l’autre ? Parce qu'il y a des gens à qui cela va bénéficier et simultanément, des gens qui en pâtiront. Donc la question centrale est de savoir comment faire pour que personne ne soit pénalisé par cette métamorphose. Peut-être que ça met en exergue une solution : nous devons concentrer tous nos moyens démocratiques, économiques, financiers, scientifiques, technologiques pour accompagner ceux que cette mutation pénalise. »
Mais ce n'est évidemment pas une mince affaire que de mettre en place des changements aussi importants et profonds pour huit milliards d’individus... Vous écrivez : « Il n’est pas nécessaire que tous les individus aient conscience des enjeux ». L'idée serait-elle de faire naître des guides capables de mobiliser les foules à vivre autrement ? Et quelles seraient les nouvelles règles du jeu ?
« C’est une situation inédite : c’est la première fois dans l’histoire de l’humanité, laquelle n’a d’ailleurs jamais été aussi nombreuse, que nous sommes confrontés à un impératif de mutation commun auquel personne ne peut échapper. Dans des États où les démocraties sont la norme, si l’on veut qu’une mutation de société s’opère, il faut le faire avec l’adhésion du plus grand nombre, sinon on risque de changer pour aller vers un système plus autoritaire et dans ces cas-là, nous aurons bien évidemment échoué. Pour essayer de rendre les citoyennes et les citoyens disponibles et enthousiastes pour cette mutation, il faut que chacun qui ait une influence, une aura, une compétence, une expérience, une autorité, participe à faire la démonstration sans relâche que le modèle actuel n’a pas d’issue heureuse. Il n’a qu’une issue tragique. Et dans le même temps, expliquer que nous avons tous les moyens pour construire quelque chose de différent. Nous devons accepter de renoncer à certaines choses pour en développer d’autres. Nous allons donc changer de paradigme et expliquer que la liberté, contrairement à ce malentendu que nous entretenons, ce n’est pas l’absence de règles. La liberté, c’est la règle commune que l’on se fixe à nous-même. Il va donc falloir que nous nous fixions collectivement des règles et cela en fonction de quoi ? De ce qui est vertueux et ne compromet pas l’avenir pour nous éloigner progressivement de ce qui est toxique et compromet la vie. »
Vos forces, vous les concentrez sur quoi aujourd’hui ?
« Je m’appuie sur la fondation, et réciproquement. Nous faisons un travail au long cours pour essayer d’ouvrir des pistes, proposer des solutions, travailler sur le comment, pas simplement sur ce que l’on doit faire car c’est une chose de savoir ce qu’il faut faire, ça en est une autre de savoir comment le faire pour rendre les choses socialement acceptables et démocratiquement faisables ! »
Vous dressez un modèle économique idéal fondé sur 100% d'énergie renouvelable, 100% d'agroécologie, 100% d'Économie Sociale et Solidaire, 100% d'économie circulaire... Que répondez-vous à ceux qui parlent d’utopie ?
« Je dis que l’utopie, c'est de croire que le modèle actuel qui épuise les ressources, concentre la richesse et ne la partage pas, est un modèle qui a une issue pacifique. Ça c’est l’utopie ! Parce qu’un modèle qui épuise son propre substrat, c’est-à-dire les matières premières, les ressources naturelles… Très sincèrement, je ne vois pas comment ça se termine bien. 1% de la population capte 93% des richesses tandis que les 99 autres % savent ça car les exclus ont vue sur les inclus au travers d'Internet. C’est un modèle qui n’a pas d’issue pacifique... »
N’êtes-vous pas fatigué de votre combat, de devoir convaincre sur des évidences écologiques incontestables ? J’étais stupéfaite de voir, lors d’une récente interview que vous avez donné sur LCI aux côtés de Frédéric Lenoir, un sous-titre à charge afficher alors que vous aviez la parole : "L’écologie, nouveau puritanisme ?" J’ai pensé qu’il y avait tout de même bien d’autres questions à faire émerger de votre ouvrage plutôt que celle-ci très orientée !
« Ça en est affligeant, consternant, désespérant… Comme lorsque je vois le maire de Lyon ces jours-ci qui décide de faire des menus sans viande dans les cantines, et que ça provoque un tel climat d’hystérie que ça en devient la polémique de la semaine. Bien que l’on puisse évidemment en discuter, ça ne mérite pas ce traitement. Si un sujet comme celui-là déclenche une telle polémique, qu’en sera-t-il sur des changements plus fondamentaux ? Alors oui, ça me rend dingue ! Et parfois, on a envie de raccrocher. Mais j’ai passé ce cap-là, je suis passé au-dessus. Je ne cherche même plus à savoir si on a gagné ou perdu, si ce que l’on fait sert à quelque chose. Je mets un pas devant l’autre et je fais ce que je peux avec ce que j’ai. Mais je suis d’accord avec vous, c'est désespérant de retomber dans ces espèces d’anathèmes, de clichés, de polarisations simplistes qui caricaturent l’écologie par les mêmes personnes qui ont nié pendant des décennies cette réalité là. Ils pourraient avoir un minimum d’honnêteté intellectuelle en disant : "On s’est trompé, on n’y a pas cru mais la science et la réalité donnent tous les jours raison à l’écologie et plutôt que de s’en moquer, on va maintenant apporter aussi nos propres contributions". Mais à part critiquer et tourner le sujet en dérision, ils n’apportent pas la moindre solution. Mais si on veut gagner en efficacité, il ne faut pas tomber dans l’aigreur. De temps en temps, ça ne m’empêche pas d’avoir un petit coup de colère mais je ne la cultive pas et je me concentre sur les milliers de femmes et d’hommes extraordinaires qui agissent au quotidien et qui eux, se battent pour le bien commun au contraire de ceux qui se l'accaparent. »
Vous avez cette phrase très belle qui dit : « L’écologie est le paroxysme de l’humanisme. » Et vous ajoutez : « À travers elle, c’est l’identité et la dignité de l’homme qui se jouent ». Parlez-nous de cette idée.
« Mais oui ! Parce que ce qui distingue l’homme du reste des vivants, c’est sa capacité à prendre soin de l’ensemble des êtres-vivants. Et c’est normalement ce qui devrait faire sa singularité. Nous devrions tous être capables de protéger nos congénères et ce qui nous entoure, tout en prenant soin de l’avenir des générations futures, c’est-à-dire ne pas être insouciant de la situation que l’on va leur léguer. C’est ça, l’humanisme. »
Vous dîtes être « un addict de la nature », pouvez-vous en dire autant de la nature humaine ?
« Oui aussi. J’ai une vision assez basique de la nature humaine. Pour moi, il y a deux humanités même si ceci est un peu caricatural et à nuancer. Il y a une humanité assez visible, sans trop de scrupules, cupide, qui essaie d’accaparer le bien commun, qui n’a pas beaucoup d’empathie et de bienveillance envers l’autre. Mais comme elle est sans scrupules, elle est plus visible, plus sonore, plus perturbante. En aucun cas pourtant, elle n’est majoritaire. Et il y a une autre humanité, plus discrète, sans quête de reconnaissance, que je croise tous les jours dans le monde entier, et qui réconcilie avec l’humain. C’est pour celle-là qu’il ne faut jamais désespérer, qu’il faut se battre. Celle-là, mon engagement me fait la croiser au quotidien et elle me comble. Évidemment, c’est comme lorsque vous êtes dans une salle de spectacle : vous avez trois uluberlus qui vont hurler et vous gâcher la soirée mais il ne faut pas oublier toutes les autres personnes de la salle. Les désordres que nous subissons ne sont l’objet que d’une petite minorité. »
Ce qui peut être déroutant, c'est que même les sachants peuvent ignorer l'effondrement qui nous attend et continuer à vivre et à consommer comme si de rien n'était. Or, il s'agit du sens de la vie qui nous concerne tous sans exception mais l'avoir a surpassé l'être désormais. Je partageais avec des amis quelques lignes de votre livre qui ont particulièrement retenu mon attention quant à nos origines : "La probabilité pour que la vie chemine sur Terre à partir d'une matière originelle rudimentaire jusqu'à la complexité du cerveau humain était aussi faible que celle de voir des lettres d'imprimerie former l'article premier de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen en les laissant tomber par terre !" Ils semblaient fatigués avant même la fin de la phrase ! Comme si penser n'était plus la norme. Comme si c'était l'apanage d'une élite, comme l'écologie d'ailleurs. Comment faire pour que la majorité soit plus consciente, plus sensible, plus spirituelle ?
« Sans transgresser les convictions religieuses ou intimes de chacun, à l’observation on s’aperçoit que dans l’univers, jusqu’à preuve du contraire, la vie n’est pas la norme, elle est l’exception. Nous faisons partie de cette exception. Notre planète serait elle un tout petit peu plus près ou plus éloignée du soleil que la vie n’aurait pas pu y cheminer. La vie est l’exception. D’en avoir conscience, je pense que c’est très précieux parce que ça nous met dans une posture de respect. Et je pense que l’homme a perdu cette conscience là à cause de l’hypertrophie de la technologie qui a totalement troublé son interprétation de la réalité. Me concernant, ma conviction est celle-ci : avant le Big Bang, c’est Dieu veut, même si je ne sais pas quel Dieu ! Et après le Big Bang, pour moi c’est Darwin. Mais les deux ne sont pas incompatibles ! »
Je voudrais aborder désormais la question du voyage, qui vous a occupée pendant des années. Vous prônez la limitation du trafic aérien, autant pour les marchandises que pour les hommes tout en reconnaissant que l'homme est un explorateur et qu'il est dans sa nature de vouloir aller toujours plus loin. Faut-il encore envisager les grands voyages d'aventure et de quelle façon ?
« Ma réflexion à ce propos n’est pas aboutie. Pour être très honnête, je pense que les gens comme moi qui avons beaucoup voyagé sommes assez mal à l’aise. Quand on l’a fait, au cours d'une période de légèreté et d’insouciance, nous n'avions évidemment pas conscience de tout cela. Mais c'est venu assez rapidement. Aujourd’hui, mon rapport au voyage a énormément changé mais je suis mal placé pour le dire : quelqu’un qui a autant bénéficié que moi de la possibilité de voyager de par ma fonction n'a évidemment pas valeur d’exemple en quoi que ce soit. Aujourd’hui, je suis davantage en quête de voyage court, de proximité. J’espère qu’un jour, on pourra voyager aussi aisément qu’hier grâce à une technologie différente… Peut-être aurons-nous des avions à hydrogène, ou de nouveaux bateaux à voile… Je n’en sais rien ! Mais ce qui est clair, c’est que l’univers du voyage tel qu’on l’a connu, c’est une époque révolue. »
Vous écrivez encore : « Plus jeune, j'ai expérimenté la planète dans toutes ses dimensions et sensations, sans doute pour me sentir en vie. Je l'ai éprouvée physiquement en me confrontant au vide, à la pesanteur, à la glisse, à l'immersion... J'ai eu besoin de palper les éléments pour établir un contact avec la Terre. Depuis, je ne regarde plus les arbres, la mer et les nuages comme de simples éléments de décor. J'ai pris pleinement conscience du monde dans lequel j'évolue et auquel j'appartiens. » Comment appréhender ce paradoxe entre la façon inédite par laquelle un voyage peut nourrir un homme et les effets si néfastes de ses déplacemnets à outrance ? Dans cet éveil des consciences nécessaire pour un autre monde, vous serez d'accord sur le fait que le voyage est une école incroyable d’éveil à la beauté, à la fragilité de la nature, à la tolérance de l'Autre et de la différence, une invitation au respect permanente…
« Oui et j’ose espérer que demain, nous ne serons pas dans un monde sédentaire où plus personne n’osera traverser ses frontières. Peut-être que l’on peut inventer quelque chose… J’ai par exemple un concept auquel je crois mais qui mérite d’être développé : c’est ce que j’appelle l’impact positif. C’est-à-dire qu’une fois qu’on a optimisé ses impacts en terme d’émissions de gaz à effet de serre, que le bilan est clairement établi, s’il y a un coût de 2, alors il faut avoir un bilan de 4, autrement dit être deux fois plus positif que l’impact. Il faudra à mon avis que l’on voyage avec beaucoup plus de modération mais l’idée c’est que si je dépense deux tonnes de CO2, je fais en sorte d’en restocker quatre sur des projets validés comme de la restauration d'écosystèmes. Ça serait bien que des opérateurs, qu'ils soient agences de voyage ou transporteurs, associés à des cabinets d’expertise, proposent des projets valides dans ce sens là et à ce moment là, ce pourrait être un horizon ou un chemin. Mais ne pas se contenter de la compensation... Il faut la dépasser, pour transformer l'impact négatif en opportunité positive. »
Si je rebondis sur cette idée, vous êtes-vous forgé dans les épreuves de la vie pour en faire des forces ? Vous partagez des épisodes très intimes de votre histoire dans ces pages, comme la disparition de votre père à l'âge de 15 ans ou celle plus tragique de votre frère qui, cinq ans plus tard, met fin à ses jours à la veille de Noël en laissant ce mot : "La vie ne vaut pas la peine d'être vécue". Ce qui ne vous a pas empêché derrière de voyager énormément, d'avoir une grande carrière à la télévision, de faire de la politique... Êtes-vous heureux aujourd'hui dans ce monde ?
« J'ai écrit un jour cette phrase : "Je suis heureux entre les gouttes". Je ne suis pas heureux 24h/24 parce que je pense que j’ai une extrême sensibilité, laquelle est une qualité autant qu'un défaut. Elle ne vous épargne de rien parce que la sensibilité ne filtre pas. Donc je suis très sensible à la beauté, au charme, à une musique, à un paysage, un sourire, une lecture, aux facéties d’un enfant qui joue… Dix fois, cent fois par jour, j’ai des moments de bonheur. Parfois même de très grands moments de bonheur, comme lorsque j’ai eu mes enfants, ou en amour. Mais je suis excessivement conscient de la situation délicate et précaire dans laquelle se trouve l’humanité. J’en suis conscient parce que j’ai la prétention que mes expériences m’ont montré la complexité de la réalité, la rapidité des phénomènes en cause et la quasi impossibilité face à un enjeu universel d’en construire une réponse universelle. Cette conscience là m’empêche d’être heureux en permanence parce que je suis inquiet pour mes enfants. Mais ça ne m’empêche pas de profiter, de goûter à plein d’instants de vie et notamment à toute la beauté du monde, notamment parce que la beauté est quelque chose qui relie. Je m’en enivre du matin au soir. Moi qui ai vécu les plus grands spectacles de la nature, une rose ou une coccinelle dans mon jardin, qui ne sont pourtant pas des choses exceptionnelles, me comblent de joie. »
Et qu’est-ce qui fait sens par dessus tout dans la vie selon vous ? Pourquoi vaut-elle d’être vécue ?
« Elle vaut la peine d’être vécue pour apprendre et pour transmettre. Pour avoir conscience de ce privilège. Je dis souvent que si dans l’univers il y avait un loto, nous aurions tiré le ticket gagnant. La vie vaut la peine d’être vécue parce que la nature est une pourvoyeuse infinie de plaisirs et de beauté. Et rien que ça, quand on arrive à se connecter à elle, ça justifie les épreuves et les souffrances. Et puis parce que même dans les relations humaines, il y a des moments absolument exceptionnels. »
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