Par Laure Croiset
Posté le 23 avril 2014
C’est au Pakistan que Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti ont choisi de tourner leur premier long-métrage de fiction. Noor ou le récit d’un homme qui souhaite s’arracher de la communauté des transgenres, les Khusras, pour trouver une femme qui l’acceptera tel qu’il est... Bravant tous les clichés, ils nous content l’aventure qui a été la leur dans un pays aux mille histoires, porté par une énergie et un optimisme farouche.
Comment avez-vous rencontré Noor ?
Çağla Zencirci : On l’a trouvé dans la rue. Il est passé à côté de nous dans un bazar. On l’a vu venir de très très loin. Il était déjà très particulier par rapport au paysage. Il est passé à côté de nous et on a commencé à le suivre. À un moment, il se retourne et nous dit : « Qu’est-ce que vous me voulez ? » On lui a demandé si on pouvait prendre un thé puis on est allé directement chez lui. Il habite dans une toute petite pièce, le lit prend toute la place et on s’est mis sur son lit. Là, on est resté quatre heures, il nous a racontés son histoire et on s’est dit alors qu’il fallait qu’on fasse un film sur lui. On n’avait pas d’autres choix.
Comment avez-vous fait le tri entre ce qu’il vous a livré et ce que vous vouliez montrer ?
Guillaume Giovanetti : Il y a plusieurs étapes dans l’écriture du personnage. On le rencontre, il nous raconte toute son histoire passée mais ensuite, ce qui est important, c’est de passer du temps avec lui au jour le jour pour voir sa situation, s’en inspirer et réinjecter les éléments qu’il nous donne pendant cette période de préparation dans la fiction. Par exemple, alors qu’on se baladait avec lui dans la rue, les gens l’appellent « Khusra », ça l’énerve, du coup, il va un peu les provoquer. Ce sont des éléments qu’on a remis dans une séquence. Noor, on se nourrit de tout ce qu’il nous donne et on réorganise dans une séquence de fiction malgré tout. Ce n’est pas du documentaire, certaines séquences sont très documentaires, mais la plupart du temps, c’est de la fiction, pour qu’on ait de l’émotion qui ressorte de tout ça. Ce qu’on essaye de faire, c’est un peu d’utiliser la puissance de la fiction et l’authenticité de la réalité pour faire sortir ces sentiments.
Sur un sujet assez dramatique, vous arrivez à l’ouvrir vers une dimension fantastique, voire onirique...
Guillaume Giovanetti : Pour parler crument, Noor est vraiment dans la merde. Son histoire, ça va être super dur de s’en sortir mais malgré tout, il y croit. Comme il y croit, il y a une forme d’optimisme qui peut sortir de lui. Je pense que c’est aussi ça qui nous a convaincus. Il est dans une situation impossible, mais il est dans un cheminement où l’impossible peut devenir possible. On s’est aussi inspiré du pays et des croyances du pays pour aussi permettre toutes les histoires que raconte le vieux baba au début du film. Comme les histoires des fées, les histoires de croyances étranges, toute la partie soufisme quand il danse en transe dans le sanctuaire au milieu du film, etc. Tout ça, c’est couleur locale. On aime bien dire que pour les histoires des fées et des contes, on a plus fait un documentaire sur un pays où les fées existent vraiment. Parce que la croyance est tellement forte et on la prend tellement dans la tronche quand on se balade là-bas... Comme on s’inspire de cette réalité-là, le film donne peut-être quelque chose d’onirique et de spirituel, parce que le pays est comme ça. Notre boulot, c’est de rendre l’expérience qu’on a sur place avec ces gens-là pendant toute la période de préparation du film, qui est la période la plus importante d’une certaine façon.
Quel a été votre premier contact avec le Pakistan ?
Guillaume Giovanetti : Une des anecdotes qui nous est arrivés lors de notre premier voyage en 2002, c’est quand on était dans un festival religieux dans le sud du pays. Dans ce petit village de 1000 habitants d’habitude, pendant le festival, il y a un million de types qui viennent et là, on se retrouve dans une petite rue bondée avec je pense 500 personnes et un type me voit, un jeune, il vient me regarder et il me dit : « Toi, ton pays ? Pas de barbe, pas de problème ? » Genre, t’as pas de barbe et t’as une meuf à côté de toi, comment tu fais ? Et là, je le regarde et lui aussi il était imberbe, il devait avoir 20 ans. Puis il disparaît dans la foule, on oublie l’histoire et c’est après, quand on s’est demandé quelle orientation on allait donner au film, que l’anecdote nous est revenue et qu’on s’est rendu compte qu’il y avait quelque chose à raconter. On s’est dit qu’on pouvait traiter de la question de la masculinité sur place et surtout de la représentation un peu fantasmée de la masculinité sur place à la fois d’un point de vue interne comme ce pauvre garçon qui n’était sans doute pas allé à l’école comme la majorité des gens dans ce pays, mais aussi sur le fantasme de cette représentation de la masculinité à l’étranger, que ce soient dans les pays voisins, en Europe ou ailleurs dans le monde.
Comment fait-on pour tourner dans une langue qui n’est pas la sienne ?
Çağla Zencirci : Nous, on a l’habitude de ça, on ne fait que ça (rires). On fréquentait le Pakistan depuis très longtemps, donc on avait des notions de ourdou, ce qui nous permettait de ne pas avoir de problèmes dans la rue. On pensait pouvoir gérer un tournage avec ça. Mais quand on a rencontré Noor, il parle le pendjabi, il n’a jamais été scolarisé, donc du coup, il ne parle pas le ourdou. Après, le pendjabi et le ourdou sont des langues assez proches, mais il a un tel accent, un tel dialecte qu’on n’avait jamais entendu que ça a été très difficile au début. En plus, il mélange toute cette langue à la langue codée des Khusras que personne ne comprend. Du coup, on a été obligé de trouver quelqu’un qui pouvait déchiffrer les deux langues pour pouvoir nous aider pendant le tournage. Après, à force de le fréquenter, on est obligé de l’apprendre, parce qu’il ne connaît absolument rien en langues étrangères et son ourdou est très mauvais aussi. Après, il parle de façon assez simple et répétitif, donc comme je passais énormément à parler avec lui, on a commencé à parler le pendjabi. Donc quand il parle dans le film, on a une idée claire de ce qu’il dit. Après, on avait toujours besoin d’aide pour pouvoir vraiment déchiffrer s’il avait pu dire tout ce qu’on voulait qu’il dise dans le film, si ça tenait la narration ou pas.
Avez-vous rencontré des obstacles dans le financement du film ?
Guillaume Giovanetti : L’entreprise du film était dès le départ d’éclairer le pays sous une lumière différente. Ce n’est pas du tout de faire une pub pour le pays, mais simplement de retranscrire une expérience qu’on a eue en vivant sur place. Mais les gens nous disaient qu’on allait mourir, qu’il y a des Talibans partout. Et en fait, non, nous on a fait le film pour montrer qu’il n’y a pas des Talibans partout, il y a des trucs biens, il y a des trucs pas bien et on va mettre tout ça dans le film.
Qu’avez-vous envie que le spectateur retienne du Pakistan après avoir vu votre film ?
JÇağla Zencirci : Je pense que c’est un pays qui est capable de transformer toutes les horreurs possibles, que ce soient des catastrophes naturelles ou des problèmes de la vie quotidienne en quelque chose de très léger sur lesquelles on peut danser en fait. Ça, c’est vraiment incroyable. On va dans des familles où c’est vraiment le drame, la tragédie, mais le soir, ils dansent. De prendre la vie un peu à la légère, j’adore vraiment ce côté des Pakistanais.