Organiser un voyage en Birmanie

Société

Par Laetitia Santos

Posté le 8 janvier 2012

La Birmanie fait partie de ces pays plus connus pour leurs dictatures sanglantes que pour leurs paysages et leur culture. Ancienne colonie anglaise, indépendant depuis 1948 après une brève occupation japonaise, ce pays a aussi une longue histoire tissée par tous les peuples qui le composent. Car la Birmanie, avant d’être un État, c’est aussi une multitude d’ethnies, dont certaines vivant très isolées, et qui ont jadis formé l’Empire Birman, plusieurs fois divisé et réunifié au fil des siècles. On ne vous déconseillera pas d’aller voyager en Birmanie aujourd’hui car la nature y est incroyable, la culture très riche et les Birmans, accueillants et souriants, ne devraient pas être sanctionnés pour un gouvernement qu’ils n’ont pas choisi. Mais pour voyager responsable, il s’agira de faire attention où vous mettez les pieds. Malgré la « muselière » qu’impose la junte à ce pays, on vous encouragera toujours à aller à la rencontre des peuples et de leurs cultures.


Le gros enjeu de votre séjour en Birmanie sera donc de savoir identifier ce qui est destiné « au touriste » que vous êtes, et d’en profiter pour aussi ouvrir les yeux sur ce qu’on essaie parfois de vous empêcher de voir. Mais pour mieux comprendre ce dont on parle, une petite explication sur la politique de ce pays.

La junte birmane, qu’est-ce que c’est ?

Pour la résumer en 3 mots, la junte est une dictature militaire qui a gouverné la Birmanie de 1988 à 2011. Elle a été précédée par une autre dictature militaire et a été officiellement dissoute pour confier le pouvoir à un gouvernement civil en 2011. Inutile de préciser que l’impact de cette dictature est encore très important, d’autant plus que le nouveau gouvernement reste très proche de l’armée… La démocratie reste un combat non achevé pour le peuple birman et plus particulièrement pour Aung San Suu Kyi, la figure de proue de la LND, le mouvement démocratique et pacifiste birman.

Cette dictature a encouragé un développement économique très sélectif, principalement axé sur l’exploitation des ressources naturelles et des cultures agricoles (la production d’opium notamment). La population est donc très rurale et pauvre. À la fin des années 2000, de nombreux évènements sanglants ont entaché l’histoire de la Birmanie mais ont contribué à fragiliser l’emprise de la junte sur le pays, lequel s’est soulevé en 2007 lors de la Révolution de Safran. (N’hésitez pas à vous renseigner sur ces évènements avant votre voyage sur ce site : http://….)

Aujourd’hui, la démocratie évolue lentement en Birmanie et on ne peut que souhaiter son avènement au détriment de la mainmise militaire sur le pays. Dans de telles conditions, on peut difficilement vous parler de tourisme responsable en Birmanie sans vous parler de la junte et de l’économie touristique. Il est important que les ressources économiques issues du tourisme contribuent à aider la population et le développement du pays, plutôt que soutenir le régime en place.

Le tourisme en Birmanie, à boycotter ?

Pendant plusieurs années, la Ligue Nationale pour la Démocratie (mouvement politique mené par Ang Saan Suu Kyi) et les associations de défense des droits de l’homme en Birmanie ont appelé au boycott du tourisme de masse. Aujourd’hui, leur position est moins ferme, mais ils continuent d’alerter l’opinion sur les conséquences que peut avoir un voyage en Birmanie… Il est difficile de se faire une idée précise des enjeux et de juger les avis de chacun. Mais pour nous y aider, on citera l’association Info Birmanie qui a publié un rapport très complet sur le tourisme en Birmanie. En voici un résumé.

Tout d’abord, le boycott a été demandé en 1996 par Aung Saan Suu Kyi afin de ne pas légitimer la dictature qui était alors au pouvoir. Parmi les nombreuses raisons ayant poussé à réclamer le boycott, beaucoup restent à l’ordre du jour et de nombreuses blessures restent ouvertes pour le peuple birman. La plus douloureuse est certainement les multiples violations des droits de l’homme par la junte militaire, qui sont parfois directement liées au tourisme. Des déplacements de population en vue de réhabiliter certains quartiers historiques ont été imposés par la force et sans proposer de solutions à ces populations déplacées. Dans la ville de Bagan par exemple, 5200 Birmans ont été forcés de quitter leurs maisons en 1990 pour s’installer sur une terre aride qui n’était pas prête à les accueillir. Ceux qui ont osé protester ont été incarcérés... C’est malheureusement un des nombreux exemples de l’oppression de la junte sur le peuple Birman pour qui les droits de l’homme restent un concept lointain. On citera également le travail forcé révélé en 1998 par la commission d’enquête de l’Organisation Internationale du Travail qui a conclu qu’il s’agissait là d’une pratique courante des autorités dans le but d’ « encourager l’investissement privé dans le développement des infrastructures, les travaux du secteur public et du tourisme ».

Une autre raison valable d’appeler au boycott est le soutien économique direct du tourisme au régime militaire. En effet, une partie importante des revenus de l’industrie du tourisme soutenait – soutient – directement les généraux. Et nombreux sont les hôtels et entreprises de l’industrie du tourisme détenus par leurs familles ou via des entreprises. On comprend alors bien vite qu’être touriste en Birmanie peut facilement vous amener à soutenir directement une dictature sanguinaire.

Enfin, la dégradation culturelle est une autre conséquence fâcheuse du tourisme en Birmanie. Les entreprises de rénovation menées par les autorités se font au détriment du patrimoine historique et le gouvernement ne s’est ainsi pas gêné pour détruire en 1991 le Palais de Kengtung afin de bâtir un hôtel à la place… Les acteurs du tourisme liés au gouvernement utilisent des slogans vendeurs pour vanter l’authenticité du pays, sa culture unique, sa diversité de peuples, et bien d’autres promesses qui ne visent qu’à vous vendre un séjour tracé avec soin dans le but d’éviter tout ce qui ne correspondrait pas à l’image qu’on veut vous donner du pays. Mais derrière le décor en carton-pâte, la réalité est souvent bien triste.

Méfiez-vous de ce qu’on raconte...

"Le tourisme permet le développement économique du pays et de ses habitants", nous dit-on. "Hmmm", aurait-on envie de répondre en arborant une mine sceptique.

En réalité, depuis l’ouverture en 1996 du pays au tourisme, la situation économique de la population ne s’est pas améliorée. Déjà, plus de 75% de la population vit en milieu rural et n’est pas du tout concernée par le tourisme qui vise surtout quatre lieux : Rangoun, Bagan, Mandalay et le lac Inlé. De plus, on vous a déjà dit qu’une bonne partie de l’argent du tourisme atterrit sur les comptes personnels des généraux mais aussi que le régime a pris l’habitude d’employer le travail forcé comme technique de recrutement. La création des infrastructures dédiées aux touristes n’a donc pas créé d’emploi et n’a donc pas aidé directement la population…

"Le tourisme ne représente qu’une partie des ressources économiques du régime", serait-on tenté de croire.

Les membres et les proches du gouvernement sont très présents dans le secteur touristique. Aussi, les taxes sont assez importantes sur tout ce qui touche à ce secteur (vendeurs ambulants, hôtels, agences de voyage, …). Selon le guide Lonely Planet Myanmar 2009, si 300$ sont nécessaires pour visiter Bagan, le lac Inlé et Rangoun, ce sont 105$ de cette cagnotte qui iront dans les caisses du gouvernement. Aussi, la population étant interdite de détenir des devises étrangères, toutes les dépenses faites avec ces devises iront assurément dans la poche du gouvernement. Un moyen de contrôle économique efficace et révélateur des pratiques du régime.

"Le tourisme offre aux Birmans l’opportunité de profiter de la culture occidentale et de s’ouvrir au monde extérieur." peut-on entendre encore.

Depuis 15 ans, l’évolution de la Birmanie vers une démocratie, fondement d’un pays libre, n’a que très peu progressé. Le touriste ne peut circuler librement dans le pays et il offre surtout aux Birmans haut placés l’opportunité de profiter de devises occidentales. Surtout si son voyage n’est pas responsable.

"Venez découvrir la culture birmane et ses richesses culturelles", peut-on lire sur les publicités des agences de voyages.

Il faut savoir que les circuits des agences de voyages officielles ont été habilités par les autorités car ils reflètent l’image que le gouvernement veut donner du pays. Pour découvrir le peuple birman tel qu’il vit actuellement sans altérer la vérité, optez pour une agence responsable et certifiée (on vous conseille par exemple le label ATR) ou partez par vous même mais surtout, renseignez-vous au maximum et soyez un touriste engagé une fois sur place !

"Aung San Suu Kyi est pour le tourisme en Birmanie".

Le mot clé qui manque à cette phrase est tourisme responsable. Un tourisme pas ou peu informé peut très facilement nuire à la population et à l’environnement. Il ne tient qu’à vous de vous renseigner et de connaître ce pays et ses réalités avant de vous y rendre. Aung San Suu Kyi et la LND ont souhaité arrêter d’appeler au boycott, mais pour encourager une forme de tourisme responsable, et pas une autre.

Et maintenant, je commence par où ?

On l’a déjà bien répété, mais il est important de le souligner : pour voyager responsable en Birmanie, renseignez-vous et faites attention à ce que votre séjour ne serve pas de prétexte ou de soutien à la junte, et ne contribue pas à opprimer une population qui a déjà beaucoup souffert.

Pour votre séjour en Birmanie, vous ferez donc attention à éviter de séjourner dans les hôtels et de voyager avec les compagnies aériennes citées dans l’article « Comment ne pas financer la junte en Birmanie ? ». Pour l’organisation de votre séjour, vous préfèrerez organiser votre séjour vous même plutôt que de passer par l’une des agences de voyages birmanes, qui vous vendront un séjour dans une Birmanie artificielle, destinée aux touristes, mise en scène avec une fausse bienveillance, baignant dans une quiétude feinte, et qui reste tachée du sang des opposants au régime militaire. Et méfiez-vous, d’après l’enquête menée par Info Birmanie, les agences de voyages françaises implantées en Birmanie ne valent guère mieux.

Pour ce qui est du guide de voyage, et toujours d’après les informations recueillies par Info Birmanie, on peut distinguer deux écoles. Ceux qui tentent de minimiser le manque de démocratie et l’oppression du régime, qui considèrent que le rôle d’un guide de voyage est de vous inciter au voyage, et non pas de vous informer sur les mœurs et coutumes d’un pays (et ce n’est pas eux qui feront de vous un touriste plus responsable). Et d’autre part ceux qui vous feront transparaître la réalité, et vous dirons ce que vous devez savoir sur les difficultés politiques afin de faire de vous un voyageur éclairé. Info Birmanie cite surtout dans son rapport le guide Lonely Planet Myanmar qui a le mérite de soulever la question du voyage en Birmanie et le guide du Routard Birmanie. Il nous semble compliqué d’écrire un guide du tourisme responsable en Birmanie, et à moins d’effectuer un réel travail sur place en profondeur, il semble très difficile de savoir quelles adresses vous recommander. Votre prudence, votre méfiance envers les institutions qui cherchent à se remplir les poches, et le fait d’être conscient de votre impact sur le pays vous permettront de faire des choix plus judicieux et feront de vous un touriste responsable.

Visitez le site Internet Info Birmanie, une association qui agit pour la paix et la démocratie en Birmanie.

Visionnez le film The Lady de Luc Besson pour connaître un peu mieux la vie de Aung San Suu Kyi et avoir une rétrospective ciné des évènements des 20 dernières années.

Faîtes attention aux hôtels et compagnies aériennes détenues directement ou indirectement par les généraux. En leur versant de l’argent, vous cautionnez leur cause.

Consultez les forums avant de partir, et faites nous part de votre expérience à votre retour pour partager une information actualisée et transmise directement.