Pangloss, la bibliothèque sonore des langues rares

News

Par Sophie Squillace

Posté le 10 février 2021

Photo Sources: CNRS - Le Journal / QIN Qing, 2012.

La perte de la biodiversité ne concerne pas uniquement la nature ou les espèces sauvages. Le patrimoine linguistique mondial est en danger d’extinction. Des chercheurs tentent de sauver les langues rares dans la collection Pangloss. Suivez-nous pour un voyage au cœur d’archives sonores de milliers de contes et récits.


« Il y a urgence, alors que la biodiversité linguistique connaît le même sort que les écosystèmes » peut-on lire sur le site de Pangloss qui estime que vingt-cinq langues s’éteignent chaque année, et qu’au moins 50 % des langues aujourd'hui parlées pourraient avoir disparu d’ici à la fin du siècle. Grâce au travail de linguistes de terrain passionnés, la collection Pangloss réunit des enregistrements de ces langues en danger.

Sauvegarder le patrimoine linguistique mondial

Connaissez-vous, l’oubykh, une langue parlée dans le Caucase dont le dernier locuteur est mort en 1970 ? Avez-vous déjà entendu une chanson en na, langue sino-tibétaine toujours parlée dans les montagnes du Sichuan, où le mandarin s’impose peu à peu comme la langue dominante ? On recense 7 000 langues dans le monde mais une vingtaine seulement dominent, parlées par 95% de la population. C’est le cas de l'espagnol, l'anglais, l'hindi, le français, l'arabe, le portugais ou encore le mandarin. À l'inverse, les langues rares, souvent qu’orales, ne sont partagées que par 4 % de la population mondiale. Fragiles, leur extinction va très vite. Depuis plusieurs années, un groupe de chercheurs du CNRS collecte des milliers de récits et contes dans 170 langues en voie de disparition ou disparues.

Selon la chercheuse Evangelia Adamou du laboratoire Lacito au CNRS, il y a plusieurs raisons à l’extinction de ces langues minoritaires. Trop peu de locuteurs bien sûr, souvent âgés. Mais aussi une évolution liée à la globalisation, qui voit les langues dominantes prendre le dessus sur les langues locales, c’est le cas de l’espagnol en Amérique latine. Et certaines causes politiques récentes, comme le gouvernement de Pékin qui pousse à l’uniformisation et à l’usage du mandarin. On peut faire le parallèle avec la France, lorsque la pression politique n’encouragea pas la sauvegarde du breton, du basque ou du corse.

Aujourd’hui, le réchauffement climatique, en poussant des populations hors de leurs territoires, accentue encore le phénomène. « Historiquement, les endroits où la diversité des langues est la plus grande sont des régions isolées, comme les régions montagneuses, par exemple, ou les régions de forêt dense comme l’Amazonie ou la Papouasie Nouvelle-Guinée » explique Alexis Michaud, linguiste et chargé de recherche au CNRS. Nombreuses de ces communautés sont forcées de quitter leur région devenue inhospitalière vers d’autres terres, d’autres langues. Des montagnes, elles descendent vers les plaines, et migrent en ville où elles doivent apprendre la langue majoritaire.

La collection Pangloss, une archive ouverte

Une langue qui meurt, c’est une culture qui disparaît, et avec elle, un regard sur le monde qui s’éteint. Afin de sauvegarder cette richesse menacée, plus de 3 600 documents sonores, audio ou vidéo, recueillis sur tous les continents sont déjà disponibles sur le site de Pangloss, qui espère s’enrichir encore dans les années qui viennent.

Depuis 1976, le laboratoire LACITO explore la diversité des langues et des civilisations à tradition orale. En 1995, il lance un projet d'archivage des données orales recueillies sur le terrain ; ce projet adopte en 2012 le nom de collection Pangloss. Pangloss vient du grec pan, « tout » et glossa « langue », ce qui signifie « toutes les langues ». Nourrie de plus de vingt ans de travaux de chercheurs, Pangloss s’agrandit au fil des années par des contributions de scientifiques de nombreux domaines et de différentes nationalités.

Des milliers de ces langues sont sans écriture. Les ethnologues et linguistes tentent de combler ce manque, en enregistrant récits de vie spontanés, contes et légendes, listes de mots et chants de la tradition orale. Ensuite, ils peuvent les retranscrire phonétiquement et essayer d’en percer les secrets. L’idée est de créer des corpus, « si on a des textes, un dictionnaire et une grammaire, on pourra toujours réapprendre une langue dans le futur, à la manière du latin ou du grec ancien » souligne Alexis Michaud. « Documenter une langue représente généralement le travail d’une vie pour un linguiste », ajoute-t-il.

Quelques exemples à écouter

En naviguant sur le site de Pangloss, vous trouverez des contes et chansons en xârâgurè (Nouvelle-Calédonie), des conversations en kakabe (Guinée), des recettes de cuisine en na-našu (Italie), ou encore des extraits en newar (Népal), langue qui a régné sur la vallée de Katmandou jusqu’en 1768, parlée par des communautés de commerçants à Patan et Bhaktapur notamment.

Avec 780 heures d'écoute au total, partez en voyage sonore dès à présent. A noter que la collection Pangloss est ouverte aux linguistes et chercheurs du monde entier mais aussi à de simples amateurs, avec un espace et des outils dédiés.

Plus d'infos sur https://pangloss.cnrs.fr/