Par Laure Croiset
Posté le 3 février 2015
Combien vaut la nature ? Combien peut-elle rapporter ? Diffusé sur Arte, le documentaire « Nature, le nouvel eldorado de la finance » décrypte l’émergence d’un établissement d’un genre nouveau : les « biobanques ».
À l’heure où les ressources naturelles tendent à se raréfier et de nombreuses espèces sont sur le point de s’éteindre, les documentaristes français Sandrine Feydel et Denis Delestrac ont mené une enquête fouillée sur l’émergence de ce capitalisme vert. Nourri de témoignages des acteurs clés de cette nouvelle économie, ce film entend dénoncer cette vaste « tartufferie mondiale ».
À 200 kilomètres de Los Angeles, vit une mouche des sables amoureuse des fleurs. Espèce menacée d’extinction, l’Etat a décidé d’interdire toutes nouvelles activités sur le territoire environnant afin de protéger cette mouche qui va réussir à se faire détester par toute une partie de la population. Pour Michael Linton, gérant de la société Vulcan Materials, cette bestiole représente un excellent filon. « Cette mouche est une espèce rare qui vit sur des terrains rares. C’est un bon investissement financier. Nous générons à la fois de la valeur pour nos actionnaires tout en préservant la mouche en créant une biobanque ». Pour cet établissement qui a acheté les 130 hectares de terrain sur lesquels vit cette mouche des sables, il suffit de laisser vivre tranquillement l’insecte et vendre ses actions à un promoteur qui souhaiterait développer son projet sur ce terrain. S’il achète des actions à la banque, il achète le droit de monter son entreprise. A ce petit jeu, cette banque a déjà gagné 20 millions de dollars. Et c’est peu à peu qu’outre-Atlantique, la protection des espèces tombe entre les mains de ces nouveaux banquiers. Certains produits financiers ont ainsi vu le jour, permettant d’acheter des actions « orang-outan », « chien de prairie » ou « cactus ».
Le marché de la nature représenterait entre 2,5 à 4 milliards de dollars par an. Pour l’économiste indien Pavan Sukhdev, il serait temps de percer cette « invisibilité économique de la nature » et de donner un prix à tout ce que la nature nous offre. A ce titre, la nature devient une véritable entreprise, qui posséderait son propre capital et proposerait ses services aux utilisateurs. Par exemple, la pluie générée par la forêt amazonienne serait un service estimé à 240 milliards de dollars par an, la barrière de corail hawaïenne serait estimée à 600.000 dollars le kilomètre carré. Mais selon Geneviève Azam, économiste, « la nature n’a pas de valeurs économiques intrinsèques ». L’exemple de la monétisation de la jungle de Sabah sur l’île de Bornéo vient lui donner raison. Achetée par un fond d’investissements qui a monté la plus grande biobanque au monde, cette forêt menacée d’extinction du fait du commerce du bois et du développement de la monoculture avec les plantations de palmiers est confrontée à une catastrophe écologique totale. La Malua Bank propose aujourd’hui de vendre ses actions aux entreprises productrices d’huiles de palmes. Celui qui a de l’argent peut acheter un certificat et ainsi obtenir un permis de détruire la nature. Aujourd’hui, le modèle économique de cette banque n’est toujours pas rentable.
Engagé dans l’économie verte, le géant minier brésilien Vale est présent dans 38 pays et génère 46 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Il a déjà reboisé certaines zones de l’Amazonie et son train de transports a été mis à profit de la population locale. Pourtant, le long du chemin de fer, ce sont 5 usines sidérurgiques de la compagnie qui crachent chaque jour une fumée qui met en péril la vie des villages voisins. Si Valé s’est forgée une image verte aux yeux du monde et des multinationales, l’entreprise a reçu en 2012 le prix international de la honte et de l’irresponsabilité. Dans sa tentative de reboisement de l’Amazonie, Vale a choisi de ne planter qu’une seule espèce d’arbre - l’eucalyptus - ce qui va donner naissance à un désert vert et résulter à une terre devenue stérile dans un peu moins de 30 ans. C’est cette « mystification de l’économie verte » que le documentaire démontre au terme de cette enquête saisissante.