Par Elise Garcia
Posté le 8 mai 2018
Il faut seulement deux heures de vol pour rejoindre Budapest (prononcer « Boudapecht »), capitale de la Hongrie, depuis Paris. Une découverte permise par le cadre privilégié d’un voyage d’étude, organisé de main de maître par un groupe d’étudiantes du Master « Développement Culturel et Valorisation des Patrimoines », de l’Université de Cergy-Pontoise. Loin d’une simple visite touristique, ce séjour devait nous permettre de comprendre les enjeux culturels et patrimoniaux de Budapest dans le contexte actuel hongrois.
Un objectif ambitieux en peu de temps – seulement cinq jours sur place – mais rendu possible par un programme-marathon de visites et de rencontres avec des acteurs-clés : institutions nationales et universitaires, associations et organisations communautaires.
Dès l’arrivée, sous le prétexte d’un jeu de piste dans le centre-ville, on commence à percevoir des bribes de l’histoire de ce pays. Le patrimoine architectural de Budapest est d’une grande richesse. On est tout d’abord subjugués par l’éclectisme et le faste des bâtiments du quartier Lipótváros, offrant de somptueuses façades art déco et néo-renaissance, qui raviront les amateurs d’architecture.
La densité des sites remarquables dans le périmètre – dont une partie est classée au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO – donne le vertige : du château médiéval baroque situé sur les collines de Buda, en passant par l’imposant parlement néo-gothique, la colline de Gellért et sa citadelle, la basilique Saint-Etienne, l’Eglise Matthias ou encore la grande Synagogue. La Ville, traversée par le large Danube et ses emblématiques ponts, est sublime.
Nous nous trouvons bien dans la capitale de l’ancien Empire austro-hongrois qui connaît son essor entre 1867 et 1918, date de sa dislocation, officialisée deux ans plus tard par le traité du Trianon. La Hongrie que l’on connaît aujourd’hui a alors été amputée de deux tiers de son territoire.
Ce traumatisme historique permet de comprendre certaines facettes de l’actuel discours politique national hongrois : il s’agit, pour le gouvernement ultraconservateur, de retrouver la grandeur de l’Empire perdu, en construisant et en diffusant un discours nationaliste idéalisé, basé sur la « fierté retrouvée ».
Ce discours s’adresse notamment au tiers de la population passée depuis lors sous « domination étrangère », lequel a le droit de vote en Hongrie et constitue une part non négligeable de l’électorat de Victor Orbán, Premier ministre hongrois. Cette démarche n’est pas anecdotique. Nous y reviendrons. Tout cela se passe à deux heures de Paris.
De nombreuses statues de grandes figures nationales et internationales sont disséminées dans le quartier. Parmi elles, on tombe avec surprisesur celle de Ronald Reagan, édifiée en 2011 sur la place Szabadság comme un geste de gratitude envers « l’homme qui a vaincu le communisme ». L’ancien Président-acteur, qui n’a pourtant jamais mis les pieds à Budapest, fait paradoxalement face à l’ultra protégée Ambassade des Etats-Unis… et au monument hommage à l’Armée rouge. Une anecdote introductive idéale pour appréhender progressivement la complexe histoire de ce pays.
Étape suivante : le Memento Park ou « cimetière des statues », véritable musée de plein air situé en périphérie de la Ville où ont été rapatriés, en 1993, les vestiges de la période communiste hongroise. On y trouve pêle-mêle, dans une scénographie insolite, des statues monumentales des grandes figures du communisme et des soldats de l’armée rouge soviétique lesquelles, contrairement au phénomène observé dans de nombreux pays de l’Est et d’Europe Centrale, n’ont pas été détruites, mais plutôt effacées du centre-Ville - voir à ce sujet l’article de d’Anne-Marie Losozcny, "Du parc des statues au Memento Parc à Budapest".
Géré par une association, ce parc permet de comprendre les spécificités du « Goulash communism », le communisme à la Hongroise. On peut notamment y téléphoner à Staline, Lénine, Mao ou encore Che Guevarra et écouter certains de leurs discours en appelant la « hot line communiste », appréhender, en vidéo, les méthodes des services secrets hongrois, ou encore se faire photographier dans une vieille Trabant, la « voiture du peuple », produite en Allemagne de l’Est pendant la guerre froide.
Cette visite invite à une réflexion sur l’idée première du communisme et sur « ce qu’ils en ont fait ». Le discours d’Ákos Eleőd, l’architecte hongrois ayant conçu ce musée, est relayé par Zoltán Lengyel, formidable guide au français impeccable, qui a animé cette visite : « seule la démocratie peut nous donner la possibilité de réfléchir librement sur la dictature ». La visite s’achève sur un grand mur, choix scénographique des plus explicites.