Rwanda : Kigali, un autre regard sur l’Afrique

Société

Par Sophie Squillace

Posté le 5 mai 2021

Photo Sources: Pete Muller / New York Times.

Kigali, la capitale du Rwanda, est une ville à part sur le continent africain. Elle conserve la mémoire d'une histoire tragique et avance à toute vitesse vers de nouveaux lendemains. Visiter Kigali permet de voir le visage d'une Afrique singulière.


Du tourisme au Rwanda ? L’idée paraissait encore saugrenue il y a quelques années. Ce petit pays de la région des Grands Lacs est tristement célèbre pour son histoire tragique qui l’a fait connaître au monde entier. Ce traumatisme national a fait naître un solide désir d’avenir porteur de nombreuses et remarquables réussites sociales, économiques et environnementales.

A la découverte de Kigali, capitale du Rwanda

La plupart des voyageurs qui atterrissent à Kigali partent rapidement vers le lac Kivu, le parc des Volcans, la forêt de Nyungwe ou le parc de l’Akagera. Kigali mérite pourtant qu’on s’y attarde. La capitale rwandaise offre une découverte étonnante du « Pays des mille collines. » C’est un vivier de talents, d’entrepreneurs, de sourires et d’énergie au milieu d’une ambiance paisible et d’un cadre naturel de toute beauté.

Histoire du Rwanda et de Kigali

De l’histoire coloniale au génocide des Tutsis

Ce sont les militaires allemands les premiers à s’installer Kigali en 1907, avant d’être expulsés par les Belges en 1916. Trois ans plus tard, le traité de Versailles attribue officiellement le Rwanda à la Belgique, qui en fait un protectorat. Un cadre ethnique est alors imposé à la société traditionnelle rwandaise, entre agriculteurs (hutus), éleveurs (tutsis) et chasseurs-cueilleurs (twa), au profit de la puissance coloniale.

Dans les années cinquante, l’idée d’indépendance germe dans les esprits de la communauté tutsie, et détermine ainsi les choix de l’administration coloniale de revaloriser les hutus. En 1959, une révolte hutue chasse le roi tutsi Kigeli V et 200 000 des siens en Ouganda. En 1961, la République du Rwanda élit son premier président, Grégoire Kayibanda, un hutu. La Belgique reconnait formellement l’indépendance le 1er juillet 1962. Dans les années 60, la situation des tutsis du Rwanda ne cesse de se dégrader.

En 1973, le général hutu Juvénal Habyarimana prend le pouvoir à Kigali, entraînant un nouvel exil tutsi. La dictature d’Habyarimana se met en place. Les rwandais en exil fondent le Front patriotique rwandais (FPR) à la fin des années 80 tandis que les alliés occidentaux du président Habyarimana le poussent à libéraliser son régime. Des négociations sont engagées entre Kigali et le FPR, qui aboutissent aux accords d’Arusha en août 1993.

Le 6 avril 1994, l’avion du président Habyarimana est abattu, marquant le début du génocide des Tutsis. Les miliciens sont lâchés dans Kigali et dans tout le pays. Cela va durer 3 mois, jusqu’ à ce que les troupes du FPR de Paul Kagame prennent Kigali, le 4 juillet 1994. On estime que 800 000 personnes ont été massacrées. Les réfugiés rwandais inondent les régions frontalières et surtout le Zaïre (Congo RDC) et la ville de Goma.

Kigali, vers la réconciliation

En 2003, Paul Kagame remporte les élections présidentielles avec 95% des suffrages ; les législatives lui assurent une majorité parlementaire. Depuis, le pays poursuit sa reconstruction. Une histoire effroyable que l’on peine à réaliser quand on voit le Rwanda et Kigali 25 ans après le génocide. La prouesse et la vitesse de stabilité, de réconciliation et de paix vont de pair avec un dynamisme économique unique dans la région des Grands Lacs.

Aujourd’hui, en voyage à Kigali, la visite traumatisante bien qu’indispensable du Mémorial du génocide reste un lieu incontournable pour comprendre le Rwanda. Ouvert en 2004, c’est un lieu de mémoire et de recueillement pour toutes les victimes du génocide des Tutsis. La visite permet de mesurer l’ampleur de la tragédie et donne des informations sur les génocides à travers le monde et l’histoire coloniale du Rwanda.

L’exposition montre la préparation et la volonté de diviser la population au fil des années, jusqu’à la construction du plan d’extermination des Tutsis. Des photos de héros, de victimes ainsi qu’une partie dédiée aux enfants sont les plus éprouvantes de la visite. Puis à l’extérieur, on trouve le jardin de méditation, lieu de recueillement puissant près des fosses communes.

Photo Sources: Paul Stafford / TravelMag.com

Kigali, ville durable

Sécurité et propreté sont peut-être les premières choses qui sautent aux yeux du voyageur à Kigali. Les infrastructures modernes, les initiatives innovantes et la lutte anti-corruption attirent beaucoup de monde souhaitant s’installer dans un pays qui fait exception dans le paysage régional africain. Kigali abrite institutions politiques et ONG et profite d’un dynamisme issu des voyages d’affaires internationaux et de l’activité des commerçants rwandais, mais aussi indiens, ougandais, chinois ou encore kenyans. On peut être géographiquement enclavé et ouvert sur le monde !

En l’absence d’un secteur industriel africain, le Rwanda mise sur une économie de services, axée sur le tourisme haut de gamme, l’informatique et les nouvelles technologies. Dans ce plan de développement national ambitieux, la dimension écologique n’a pas été laissée de côté comme en témoigne l’interdiction drastique de toute production et importation de sacs en plastique depuis 2004 !

La constitution a entériné le principe d’un quota de 30 % de femmes dans toutes les administrations et jusqu’au sein du gouvernement. Aujourd’hui, au Rwanda, le Parlement est composé de 63 % de femmes – un record mondial.

Les femmes ne sont pas simplement dans l’hémicycle ; elles sont à la tête de ministères, dirigent des administrations ou de grandes entreprises. Dans le processus de reconstruction du pays, les femmes, plus nombreuses que les hommes après le génocide, ont eu souvent une ascension fulgurante et occupent aujourd’hui des postes stratégiques dans tous les domaines.

A noter qu’un samedi par mois, comme partout dans le pays, Kigali est étrangement calme. Les habitants s'adonnent aux travaux communautaires, appelés Umuganda, qui rassemblent toute la population, de 18 à 65 ans, de toutes classes sociales, autour d’un objectif commun.

Géographie du Rwanda

Kigali, la capitale des mille collines

Perchée à 1 500 m d’altitude, Kigali a l’originalité d’être bâtie sur plusieurs collines : Kiyovu, Kacyiru, Kimihurura, Nyarutarama, Remera, Kibagaga ou encore Gikondo. Le mont Kigali culmine à 1852 m d’altitude et offre un panorama sur la vallée de la Nyabarongo. Avec ses paysages verdoyants et reliefs de toute part, Kigali s’étale dans un écrin de nature, et laisse même entrevoir sur les hauteurs de certains quartiers une vue sur le majestueux parc des volcans.

Photo Sources: Sophie Squillace

Climat et météo à Kigali

Grâce à son climat équatorial tempéré par l’altitude, Kigali est très agréable, avec 24 °C en moyenne tout au long de l‘année. Il peut toutefois faire un peu froid la nuit et le matin sur les plus hautes collines de la ville.

Comme dans le reste du pays, Kigali connait deux saisons sèches ; de décembre à mars et de juin à août. Les saisons des pluies se déroulent généralement les mois d’octobre-novembre et avril-mai. Toutefois, avec les bouleversements climatiques mondiaux, les saisons ne sont pas aussi marquées.

Les pluies fréquentes tout au long de l’année, mais toujours suivies d’éclaircies, n’empêchent pas de voyager à Kigali, et permettent ainsi de voir la ville lorsque la nature est la plus verdoyante. Il n’est pas idéal de visiter Kigali lors de la semaine de commémoration du génocide, qui se déroule chaque année la deuxième semaine d'avril. A cette période, toute la ville tourne au ralenti, c’est un grand moment de recueillement.

Pour s’aventurer à la rencontre des gorilles et sur les pistes du Rwanda, on vous conseille de voyager pendant la grande saison sèche, de juin à septembre.

Culture rwandaise

Population et langues

Lors de sa création par l'Allemand Richard Kandt, en 1960, Kigali n'était peuplée que de 6 000 habitants. Aujourd'hui, la capitale du Rwanda compte plus d’un million d’habitants, ainsi que de nombreux rwandais venant y travailler la journée.

La constitution de 1993 a inscrit le refus de l’ethnisme qui classifiait la population. C’est l’appartenance nationale qui est valorisée, on est Rwandais avant d’être hutu, tutsi ou twa.

A Kigali, on parle le kinyarwanda, la langue maternelle de 98% des habitants. Beaucoup de rwandais parlent aussi le français et le swahili, langue véhiculaire parlée dans une grande partie de l’Afrique, en Ouganda, au Kenya, en Tanzanie, au Burundi ou encore en Zambie. Aujourd’hui, le basculement de l’expression officielle du pays en anglais, langue de l’économie mondialisée, est une innovation récente du modèle rwandais.

Musique, cinéma et littérature

En France, on connaît le Rwanda grâce à des célébrités et artistes. Les chanteurs Corneille et Stromae, ou encore le rappeur et écrivain Gaël Faye. Né au Burundi d’une mère rwandaise et d’un père français, il a connu un grand succès avec son premier roman, « Petit pays », prix Goncourt des lycéens en 2016, traduit dans de nombreuses langues. « Petit pays » a été adapté au cinéma en 2020, par Eric Barbier.

Parmi les étrangers, la plus connue est sans aucun doute la primatologue Dian Fossey, reconnue pour ses études sur les gorilles des Virunga.

Son combat pour les primates emblématiques du Rwanda lui a coûté la vie. Ses années passées dans les montagnes du Rwanda ont été retracées dans le mythique film de 1988, « Gorilles dans la brume », avec Sigourney Weaver dans le rôle de la scientifique.

Il y a aussi l'ancien grand reporter et écrivain français Jean Hatzfeld, connu pour ses livres consacrés au génocide des Tutsis. En mêlant littérature et journalisme, il s’efforce depuis plus de vingt ans de recueillir la parole des victimes et des bourreaux ; « Dans le nu de la vie », « Une saison de machettes » et plus récemment « Là où tout se tait ».

Artisanat à Kigali

Il y a beaucoup d’artisanat au Rwanda, que l’on trouve principalement à Kigali. La ville abrite des créatifs de grand talent au niveau du design et de la création vestimentaire, avec notamment de jolies boutiques de tissus aux motifs pleins de couleurs 100% made in Rwanda.

L’incontournable art Imigongo, peintures à motifs géométriques faites à base de bouse de veau, est un art ancestral revenu au goût du jour.

L’agaseke, panier à couvercle conique, évoque les grandes traditions. Les poteries sont également nombreuses sur les marchés, ainsi que les tissus wax typiquement africains.

Gastronomie

Au Rwanda, les plantations sont nourries par une terre volcanique extrêmement fertile, le soleil quotidien et les pluies fréquentes. On se délecte du goût des petites bananes très sucrées, des avocats, des maracujas, les fameux fruits de la passion, mais aussi des tamarillos et des mangues.

Le poisson, tilapia, et le poulet grillé sont absolument incontournables. Les plats nationaux sont l’igisafuriya, poulet ou chèvre en sauce avec des bananes plantain, ou les zingalo (tripes). Les plats sont le plus souvent accompagné de riz, de banane plantain, d'ugali (pâte à base de farine de maïs) ou d'isombe (feuilles de manioc avec des aubergines et des épinards). Et surtout, des frites ! Grand classique de la cuisine fast-food rwandaise : la brochette chèvre-frites.

Pour manger sur le pouce, goûtez aux sambaza, petits poissons frits en buvant une bière fraîche, Primus, Mutzig ou une Virunga, à consommer avec modération. On vous demandera toujours si vous la souhaitez froide ou chaude...

Guide pratique Kigali

Les restaurants à Kigali

A Kigali, le voyageur peut trouver tout un tas d'établissements, des quartiers populaires de Nyamirambo ou Remera avec ses petits restos populaires où l’on se réunit le soir, aux quartiers plus sélects de Kimihurura ou de Kyovu, avec leurs bars-restos lounge et cosy.

La scène gastronomique de la capitale est riche et cosmopolite, avec un large choix de cuisine indienne, italienne, chinoise, française, et bien sûr africaine.

Pour sortir, un lieu incontournable sur les hauteurs de la ville, dans le quartier de Kibagabaga : le Pili Pili. Rendez-vous pour le plus beau coucher de soleil sur les collines de Kigali.

Les hôtels à Kigali

Kigali possède une riche infrastructure hôtelière allant de l'établissement très bon marché au confort sommaire (à partir de 40 EUR la nuit), à l'hôtel confortable (à partir de 70 EUR), jusqu’à l’hôtellerie de luxe avec les groupes comme le Radisson ou le Marriott. En période de conférences ou de congrès, la plupart des hôtels affichent complet.

Le plus célèbre des établissements est sans doute l’Hôtel des Mille Collines, « le Milco », lieu historique à Kigali, connu pour avoir abrité des Tutsis pendant le génocide. On aime s’y rendre pour prendre un verre ou pour déjeuner sur la splendide terrasse qui borde la piscine.

Le bon plan pour dormir à Kigali est sans aucun doute le bar-restaurant le Pili-Pili qui abrite quelques chambres. Construites en matériaux naturels et locaux, qui rappellent le design des lodges africains, les chambres confortables sont décorées avec goût et dégagent une atmosphère chaleureuse, très rare dans les hôtels de la capitale, qui s’adressent la plupart du temps aux hommes d’affaire.

Shopping à Kigali

Rendez-vous au marché de Kimironko. On y trouve de tout, l’ambiance est animée, et on peut se faire tailler un costume avec des tissus africains (wax et autres).

Faites un tour à la librairie Ikirezi. Institution dans le paysage culturel de Kigali, vous y trouverez un large choix livres en français et en anglais avec un beau rayon consacré à l’histoire et la littérature de la région. C’est également une papeterie. Le café Inzora se trouve à l’arrière de la librairie et vend un peu d’artisanat local de qualité.

Comment se déplacer à Kigali ?

Aux heures de pointe, il y a de plus en plus d’embouteillages dans les rues de Kigali. Évitez la voiture à tout prix. Pour se déplacer dans Kigali, rien de mieux que les motos-taxis, très populaires dans la capitale rwandaise. Leurs pilotes sont très prudents et donnent un casque à leur passager. Il suffit de lever la main à toute heure pour arrêter une moto.

On peut se balader sans problème à pied dans la ville si l’on n’a pas peur des montées et des descentes entre les collines. On en profite pour aller flâner au milieu des échoppe de Nyamirambo, le quartier musulman. À coup sûr on vous interpellera par le petit surnom de muzungu (désignant les occidentaux blancs, ou n'importe quel étranger).

Pour compléter votre découverte de la capitale rwandaise, jetez un œil à notre dossier 48h à Kigali.

Photo Sources: Francisco Anzola

Kigali, nouveau visage

Le souhait du gouvernement rwandais de transformer la ville et de faire de Kigali la « Singapour de l’Afrique » est bel et bien amorcé. Aujourd'hui, Kigali veut ressembler à une capitale internationale comme en témoignent ses avenues élargies et propres, ses immeubles flambant neufs, ses shopping malls. Ce paysage urbain est marqué également par le Kigali Convention Center, gigantesque dôme qui s’illuminent de différentes couleurs le soir venu.

Quand on prend le temps d’explorer la capitale rwandaise, les contradictions d’un plan de développement entre volontarisme et autoritarisme se dévoilent. Disciplinée, propre, organisée, la ville moderne à tout prix n’a pas que des qualités. L’émergence de nouveaux quartiers qui poussent ici et là font évidemment monter les prix, et ne sont pas sans conséquence sur les habitants.

Les pauvres ont été expropriés de leurs petites maisons, pour être déplacés à la périphérie de la ville. Les inégalités s’accentuent entre les quartiers résidentiels et les quartiers populaires, et de plus en plus entre la capitale et les campagnes rwandaises où le sort de ses paysans est oublié.

Malgré les dérives et excès, une sorte d’humilité reste présente à l’esprit quand on visite la capitale rwandaise. La vie a ressurgi à Kigali avec force et détermination après le génocide des Tutsis de 1994. On ne peut être que surpris et admiratif de la reconstruction fulgurante, la beauté et la qualité de vie qui règne dans cette ville attachante.