Sandy Abenafrica : "L'Afrique m'a rendue mon humanité"

Interview voyage

Par Laetitia Santos

Posté le 8 janvier 2023

Ah... si tous les blogging pouvaient être aussi riches, intelligents et pétillants que les contenus d'Abenafrica ! Derrière ce blog et ce compte Insta se cache Sandy Salyères, une jeune trentenaire aux origines guadeloupéennes qui s'est embarquée après covid dans un tour d'Afrique le temps de 16 mois - 16 pays ! Un trip solo et double sac au dos pour cette personnalité à l'énergie débordante qui utilise passion et détermination pour contribuer à transformer l'image du continent africain tout en démocratisant son histoire et sa culture. Le tout avec une bonne humeur incroyablement communicative !


Nous sommes donc très fiers de recevoir Sandy dans le cadre de la 2ème édition du festival Porto-No Mad le temps d'une rencontre à ses côtés prévue ce jeudi 12 janvier 2023 à 20h au Centre culturel Ouadada de Porto-Novo. Deux heures d'une conversation entre elle et Laetitia Santos, suivies d'un échange avec le public sous forme de questions-réponses !

En attendant le live, voici un avant-goût de ce qu'a à transmettre l'incontournable Abenafrica...

Alors Sandy, comment s’est passé le retour en France après seize mois de vadrouille à travers l’Afrique ?

« Eh bien ça fait énormément de bien ! Parce que lorsque l’on voyage, on a beau aimer des endroits, avoir des coups de cœur pour des lieux ou des personnes, on a toujours des attachements qui nous manquent, qu’ils soient familiaux ou amicaux, on a ses petites habitudes aussi… Alors ça fait plaisir bien sûr de retrouver ça. En tout cas pendant deux semaines, c'est parfait ! Mais au bout d'un mois et demi, c'est bon ! (rires) De la même manière, lorsque je serai installée sur le continent très prochainement, ça me fera plaisir de revenir de temps en temps en France évidemment. »

Pour que l'on en apprenne davantage sur toi, parle-nous un peu d'où tu viens en premier lieu Sandy : j’ai cru voir que tu étais originaire du Val d’Oise, comme nous chez Babel...

« Je suis née à Paris dans le 14e mais oui, j'ai grandi dans le 95 à Saint-Brice et ensuite à Écouen. »

C’est bien ce qui m’avait semblé, le même terreau banlieusard ! Parle-nous rapidement de ton parcours, depuis l’école jusqu’à ton premier job si tu veux bien.

« J’ai fait un bac S option maths puis deux ans de classe préparatoire éco option scientifique. Ensuite je suis allée en École Supérieure de Commerce à Rennes puis j’ai enchaîné avec un Master spécialisé à l'école d'ingénieur Centrale Paris. À la suite de mon diplôme, j'ai intégré ma première grosse boîte : il s’agissait d’Axa, pour laquelle j'étais acheteuse internationale software. J'ai débuté en alternance avant mon diplôme et ils m'ont gardé par la suite. J'ai fait ça durant 6 ans environ. »

Et Abenafrica est donc né en parallèle de ce job-là ? À quel moment as-tu lancé ton blog ?

« En 2018, et pas n’importe quel jour : c’était le 27 mai 2018 ! Symboliquement, je voulais faire référence au jour de la libération de l'esclavage en Guadeloupe. »

Tu ne laisses rien au hasard, Sandy ! Quelle était l’ambition initiale d’Abenafrica, peux-tu nous l’expliquer ? Car on sait bien qu’un projet évolue beaucoup entre l’idée initiale et sa maturation…

« Tu as tout dit ! À l’origine, le blog ne ressemblait pas à ce que je fais aujourd’hui. Initialement ce que je voulais faire avec Abenafrica, c'était parler d'histoire et de culture des communautés noires à travers le monde. Comme tu le vois, il y avait déjà cette notion d'afro-curiosité et d'afro-world mêlant histoire et cultures d'Afrique, de la Caraïbe et de l’Amérique Latine. Et comme je voyageais pas mal en parallèle à titre personnel, je montrais aussi cet aspect-là. Mais pour moi, le positionnement de base était de me dire qu'il fallait absolument que l'on connaisse notre histoire.

Chaque fois que je voyage, je propose chaque jour ce que j’ai appellé « Ou Té Sav Sa ? », c’est-à-dire un « Le saviez-vous ? », sur des faits culturels et historiques des communautés noires. Par exemple en Martinique, je m'intéresse aux résistants martiniquais ; au Bénin, je vais montrer comment se fabrique le wagashi, ce fromage peulh qui fait vraiment partie des incontournables de la gastronomie béninoise etc. Finalement, j’ai constaté que la partie voyage intéressait énormément les gens. Et c'était plus simple pour moi de leur parler d'histoire et de culture à travers le voyage. Parce que forcément sur les réseaux, il faut un minimum d’images sexy ! Se contenter de mettre une photo en noir et blanc d'un gars en disant qu’il a inventé l'ampoule, ça attire moins ! Voilà comment j'ai décidé d'orienter véritablement mon contenu en mode voyage pour parler de ce qui était nécessaire tout en faisant en sorte qu’encore plus de gens soient captifs. J’ai placé le voyage au cœur d’Abenafrica pour parler de ce que j’avais envie avec de l’impact. Par exemple, quand je vais au Bénin - je vais beaucoup en parler parce que j’y étais récemment et parce que j’y retourne avec toi pour le Porto-No Mad ! – je peux emmener les followers visiter le royaume du Dahomey, leur montrer la statue de l’Agojie et leur histoire, parler du roi Béhanzin qui est une figure coloniale du royaume du Dahomey etc. »

Et c’est très réussi car on sent dans chacun de tes posts cette volonté d’affirmer haut la noblesse du peuple noir, de réhabiliter son histoire bien trop méconnue, de donner une image du continent moderne, dynamique, en vogue… Cette conscience, cette envie de défendre la culture noire, d’où te vient-elle ? Est-ce qu’elle t’a été inculquée par tes parents ? Est-ce qu’elle a progressé au fil de tes voyages ? Comment la résonnance est-elle devenue si forte en toi ?

« C’est un mélange de ce que m’a inculqué mon père en premier lieu mais c’est aussi ce qu’a nourri en moi la société française dans laquelle j’ai grandi. En tant que noire, on dirait que la seule chose qui a existé dans notre histoire, c’est l’esclavage. C’est très violent ! À l’école, lorsqu’on nous parle d’Afrique, ça commence au temps de l’esclavage, ensuite vient la colonisation, puis les diverses décolonisations, pour finir par la pauvreté. Et c’est comme s’il n’y avait que ça dans le tableau ! Dans le monde d’aujourd’hui, quand on nous parle des personnes noires, c’est souvent pour évoquer les migrants. Évidemment de temps à autre, il y a des faits d’actualité positifs comme Obama qui devient président ou tel député qui devient premier maire noir de France mais c’est minime par rapport à toute la violence que l’on nous inculque quand on grandit en France. Et c’est avec cette éducation que l’on se projette en tant que noir, en voyant que dans le passé, on n’a pas fait grand chose et que dans le présent, quand on parle des gens qui nous ressemblent, c’est qu’ils sont en train de traverser la mer pour venir illégalement en France !

C’est ce mélange à un moment qui m’a fait me dire que je voulais me réapproprier mon histoire, parce que quand je vais découvrir des expos, quand je lis certains livres ou quand je parle simplement avec mon père, je vois qu’on a fait de grandes choses. Et je sais pertinemment que ce savoir peut avoir un impact sur la manière dont on grandit en tant que personne noire, le fait de pouvoir s’identifier à des personnes qui nous ressemblent et qui ont réussi. Et cette réappropriation, j’ai vraiment eu envie de la faire pour moi déjà, et si en plus ça impacte d’autres personnes, alors là c’est l'idéal ! »

Tu disais tout à l’heure qu’avant ce long trip de 16 mois, tu voyageais déjà pas mal personnellement. Pendant une longue période, tu jongles donc entre ton poste à temps plein et la création de contenu pour Abenafrica. Comment alors vient le déclic de ce projet 10 mois, 10 pays ? Comment ça naît et comment sautes-tu le pas après ?

« Là aussi, la raison a été double. La première, j'ai toujours eu ce rêve de tout lâcher un jour pour voyager dans l'Afro World une année entière. C’est vraiment le projet dont j’ai toujours rêvé mais je me voyais davantage faire ça vers 35 ans. J’en avais finalement 29 ans lorsque je suis partie.

L’autre raison, qui nous a tous touchés celle-là, c'est le covid. Ça m'a ouvert les yeux sur plein de choses… Certains sont morts autour de moi, du jour au lendemain, et je me suis rendue compte concrêtement que nous n’avions pas toute la vie devant nous. Lorsque quelque chose de triste survient, une de mes coachs dit ceci : « Il faut voir où est le cadeau ! ». Le cadeau pour moi avec le covid, ça a été de réaliser mes rêves plus tôt que prévu. On ne va peut-être pas tous arriver à 80-90 ans, alors autant faire le max tant qu'on est en vie ! Donc avant même la fin du confinement, j’ai contacté mon boss pour lui annoncer que l'année suivante je quitterai la boîte pour 10 mois de congé sabbatique et de voyage. »

Qui ce sont finalement transformés en 16 mois d'aventures... Ce voyage qui naît à ce moment-là dans ta tête, comment l’imagines-tu à ce moment-là et comment en composes-tu l’itinéraire ? Car un des atouts phares de ton voyage, c’est de t’être rendue seule avec tes deux sacs au dos dans des pays comme le Cameroun, la Sierra Leone, Sao Tomé, le Ghana... On en parle si rarement ici en France, ils sont tellement peu courus touristiquement, comment toi t’es-tu dit : « Go, c’est là où je veux aller ! » ?

« Initialement comme je le disais, mon intention de base était vraiment de voyager dans l'Afro World. Je voulais donc commencer par Haïti, ensuite faire la Colombie et le Brésil et arriver en Afrique enfin, pour avoir véritablement une expérience complète de l'Afro World en 10 mois. Avec le covid malheureusement, la majeure partie de la Caraïbe était fermée, pareil pour l’Amérique Latine. Et les confinements dans cette partie du monde ont été beaucoup plus stricts et beaucoup plus longs qu'en France. Donc j'ai dû annuler cette partie-là de mon voyage. Quant au continent africain, j'avais décidé de faire au moins un pays par région d'Afrique. Donc a minima un pays en Afrique de l'Est, un pays en Afrique Australe, un pays en Afrique Centrale...

Ma deuxième règle, c’était de ne pas aller dans des pays que j'avais déjà visité. Là j’ai effectivement fait 16 mois, 16 pays mais ça fait plus de 12 ans que je voyage en Afrique. La première fois que j'étais sur le continent, j'avais 18 ans, c'était il y a 13 ans maintenant, et c'était au Ghana. J'avais aussi déjà parcouru l'Afrique du Sud, le Kenya, le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Rwanda… J’avais eu d’énormes coups de cœur et je me connais, j’aime bien refaire ce qui m'a plu mais cette fois, j’ai vraiment voulu me forcer à aller là où je n’avais jamais été. Et je suis vraiment heureuse de cette décision parce que sans ça, je n’aurais jamais vu certains pays… »

Et ça a été une de tes forces, de révéler autant de pays dont on parle si peu. Une autre, c’est indéniablement d’avoir produit autant de contenus pour mettre en images ton voyage. Photos, vidéos, stories très nombreuses… Tu as fait un boulot de documentation titanesque et très rythmé ! Tout ça, était-ce réfléchi, avais-tu déjà des connaissances techniques ou as-tu appris sur le tas et comment as-tu réussi à créer ton identité propre en voyage ?

« J'ai vraiment appris sur le tas, oui ! Je n’avais pas le temps pour me former, je suis seule à gérer Abenafrica : les préparatifs de voyage, l’administratif, les face cam pour la communication, la communauté à animer… Je fais vraiment tout. Donc sur beaucoup de choses, je me suis juste dit : « Fais-le ! Tu ne peux pas attendre d'être formée pour le faire sinon, ça n’arrivera jamais ! » Et environ 4 mois avant mon voyage, je suis tombée par hasard sur la formation d'un ancien travel blogger que j'admire, il s'appelle Alex Vizeo et il proposait une formation intitulée "Faire des vidéos de voyage" : c’est tombé à pic, à un moment où j'en avais vraiment besoin. Je n'ai pas hésité, je me suis inscrite et il faut dire que je m’étais déjà un peu fait la main puisque j'avais partagé pas mal de contenus voyage sur Abenafrica avant le projet 16 mois – 16 pays. Ça m’a donc permis d'être encore meilleure sur certains points, d’en développer d’autres, de confirmer certaines choses et, moi qui suis très scolaire, très académique, ça m’a tout simplement fait me sentir bien de me dire que j'étais accompagnée par quelqu'un qui avait déjà réussi dans le domaine. Ça m’a donné de l'assurance et de la confiance en moi.

Et ensuite, le style a évolué pendant le voyage. Au tout début, lors de mes trois premiers pays - Congo, Éthiopie, Tanzanie - je faisais très peu de face cam ! Il y avait la timidité, la gêne de s’afficher sur les réseaux sociaux… Donc je faisais beaucoup de photos et j'écrivais dessus, ou alors je me filmais en train de faire quelque chose mais je ne me mettais pas moi devant mon téléphone à parler. Ça, c'est clairement avec le voyage qu'au fur et à mesure, je suis sortie de ma zone de confort et que c’est devenu naturel. Et je le vois très bien maintenant, il y a beaucoup plus de proximité, d'engagement et de positif dans ce que je fais depuis que je fais plus de vidéos face cam. Pour le reste, c’est 100% avec le coeur et un poil de stratégie tout de même pour que ce que l’on fait soit pérenne ! »

Eh bien bravo à toi parce qu’aujourd’hui, ça te semble si naturel ! Tu es spontanée, drôle, curieuse… Et ça fait clairement ton sel ! À présent dis-moi : qu'est-ce que tu estimes avoir gagné de tous ces voyages que tu n'aurais peut-être pas développé si tu n'avais pas autant voyagé ? Qu'est-ce que tu gardes de très fort de tous ces voyages ?

« Le plus grand changement, il est clairement humain. Il y a évidemment ma façon de communiquer dont on vient de parler, mon rapport aux réseaux sociaux mais le côté humain est le plus fort. Ça a tout bonnement changé ma vie ! L'Afrique m'a rendue mon humanité. Je ne suis plus du tout la même personne, je ne suis plus cette fille partie le 15 mars 2021. J'ai un rapport à la vie complètement différent.

J'avais déjà un niveau de « je-m'en-foutisme » très présent mais là, il a été multiplié par cent ! (rires) Et ça j'en suis vraiment reconnaissante parce que je trouve qu’en tant qu'être-humain, surtout en Occident, qu'on soit noir.e ou blanc.che, on se prend la tête pour mal de choses, qui n’en valent souvent pas la peine. Des histoires de jalousie, de promotions, d’achat d’appartement parce que la copine, elle, l’a fait, d’enfant qu’on n’a pas encore eu etc. Plein de choses qui pèsent dans notre société et pour lesquelles j’ai désormais un détachement très profond.

Mon rapport à la préciosité aussi est différent : maintenant ce qui compte pour moi, c'est ma famille et ma santé. J'ai aussi besoin d'avoir un business prospère pour continuer à faire ce que j’aime et je n’ai pas de tabou par rapport à ça. Beaucoup de gens voient tout ce que je fais mais ne se rendent pas compte de l'investissement financier que ça a demandé. Si je n’avais pas travaillé et économisé, je me serais arrêtée au pays n°2 ! Et je n’exagère même pas car ça coûte très cher de voyager comme je l’ai fait : je voulais vraiment aller dans tous les recoins d'Afrique, ce qui pose souvent des problèmes d’accessibilité et de sécurité et il faut donc payer une voiture, un chauffeur, un guide... C’est tout ça qui a changé mais ce qui domine, c’est que je suis beaucoup plus en paix humainement. »

Revenons un peu sur les différents pays que tu as parcouru. Est-ce qu’il y en a un qui t’a particulièrement surprise et pourquoi ?

« Il n’y en a pas un où je n'ai pas été émerveillée, pas un seul où je n'ai pas été surprise. En 16 mois, j’ai vraiment eu mon lot d’aventures dans chacun d’entre eux… Je ne veux pas faire de choix mais je pourrais par exemple parler du Mozambique : je ne m'attendais pas à ce que ce soit si ouf ! Et je ne connaissais pas du tout le monde lusophone donc j'ai pris une claque ! Le Cameroun, pareil, je ne m'attendais pas à ce qu’il y ait autant de choses à faire. Au Bénin, je ne connaissais pas ce rapport au vaudou, qui est véritablement une religion et leur croyance dominante. On va s'arrêter là mais je pourrais continuer pour chaque pays ! (rires) »

Mais je ne te lâche pas comme ça ! Autre question impossible : une rencontre marquante à choisir et à nous raconter !

« Wahou !! Quand on me pose cette question, je prends la première rencontre qui me vient en tête et j’envoie ! (rires) Sinon c’est tout bonnement impossible de n’en retenir qu’une. Je vais donc encore parler du Bénin : il s’agit d’un couple d'Antillais qui s’est installé au Bénin il y a 40 ans maintenant et qui a créé Ecolojah. Le gouvernement béninois leur a donné plusieurs hectares dans la forêt d'Ahozon qu’ils ont investi. Ils y ont monté une école où apprendre la culture noire et notre histoire. Je suis allée les rencontrer trois fois lorsque j'étais au Bénin tant j'aime ce qu'ils dégagent et ce qu'ils sont.

C'est une rencontre qui a été très forte parce que ça m'a fait réfléchir sur beaucoup de choses et notamment sur les réseaux sociaux via lesquels on a de l’impact, c’est facile, mais eux on fait ça à une époque où il n’y avait pas tous ces moyens, pas du tout la même résonnance de la part de leur propre communauté. Beaucoup de gens les ont taxés de fous, d'extrémistes... Alors qu’aujourd’hui, réveler l’Afrique qu’on ne nous montre pas, c'est fun, ça a été démocratisé. Eux ont ça au cœur depuis toujours et continuent encore maintenant. C’est au fur et à mesure qu’ils ont gagné le respect de tous et sont devenus des gens éminents dans l’afro-sphère consciente. Si je ne dois garder qu’une rencontre au moment où je te parle, c’est ce couple. »

Des activistes purs et durs, en fait ! Est-ce que c’est ainsi que tu te qualifierais aujourd’hui toi-même ? En un temps très court, tu as réussi à changer l'image du continent auprès d'une audience vaste, tu as partagé tout un savoir, on sent que tu as insufflé une envie chez plein de gens pour aller à leur tour découvrir ces pays, s'intéresser de plus près à l'histoire, à la culture etc. Maintenant que tu es rentrée, comment vas-tu poursuivre ton action ?

« Les activistes, ce sont ceux qui veulent changer les choses : ils sont souvent contre le système, déconstruisent des choses... Donc on peut dire que dans mon travail, il y a effectivement de l'activisme. En revanche, est-ce que je peux me qualifier ainsi pour autant ? Je ne dirais pas ça. Chez les activistes et les militants, je trouve qu’il y a une grosse part de sacrifices, dans 99% des cas. Et l’aspect financier ne rentre pas en jeu. Pour ma part, puisque je veux me dédier entièrement à Abenafrica, je suis obligée de monétiser mon activité. Par respect, je ne peux pas me coiffer de leur casquette. Suis-je influenceuse dans ce cas ? Je fais très peu de collaborations avec des marques, je n’ai pas ce modèle économique là donc je ne crois pas que ça me décrive correctement non plus. C’est peut-être ce que je ferai à l’avenir qui me déterminera davantage. Car tout ce que j'ai fait, je l'ai fait en fonds propres mais aujourd’hui, il me faut trouver un business model et ça va être mon challenge pour 2023 si je veux continuer à faire ce que je fais et à faire kiffer les gens.

Allez petit scoop : je vais sortir mes propres guides de voyage en version dématérialisée ! Et mon tout premier livre numérique sera justement sur le Bénin. Ce mois-ci normalement, suivi d’un guide Ouganda en mars… »

Terminons sur le Bénin justement où l’on se retrouve ces jours-ci à l’occasion du Porto-No Mad : comment résumerais-tu ce pays ?

« Le Bénin est authentique. Ca peut paraitre simpliste mais lorsque l’on voit l’évolution de certains pays africains dans le tourisme, on s’en rend d’autant plus compte. Certains peuvent se travestir ou en tout cas agir pour plaire à l’étranger. Le Sénégal et la Côte d’Ivoire sont des pays merveilleux mais certaines choses ont été pensées pour l’étranger et parfois, cela dénature le pays. Le Bénin lui, qui est un pays en plein développement, évolue en étant lui-même. Personne n’a honte de parler de ses croyances vaudoun par exemple. Investir dans une Amazone gigantesque en plein cœur de Cotonou, c’est un symbole très fort. À la sortie de l’aéroport, il y a une statue de Bio Guera, une des grandes figures anti-coloniales du Bénin : accueillir les étrangers ainsi, c’est aussi très symbolique. Ils vous invitent chez eux tout en restant qui ils sont. D’où mon immense coup de cœur pour le Bénin.

La cuisine béninoise est aussi très typique. Par exemple on consomme beaucoup de riz dans toute l’Afrique alors que cette céréale a été importée avec la colonisation. Mais au Bénin, beaucoup de plats typiques sont véritablement africains et non influencés comme ceux à base de sorgho, de mil… Le Bénin est donc pour moi synonyme d’authenticité et de pluralité.

Dernier point essentiel : la gentillesse des gens. Et on s’y sent tellement bien ! »

Ta définition d’un voyage engagé, Sandy, ce serait quoi ?

« Dans le monde dans lequel nous vivons, ce qui est très important c’est l’éco-responsabilité de chacun en voyage. Pour moi ça signifie donc se déplacer autant que possible en transport en commun, à vélo pourquoi pas... J’ai rencontré des voyageurs qui faisaient un tour d’Afrique de cette manière ! Après certains coins requièrent forcément une voiture avec chauffeur mais toujours réfléchir à ce que notre impact soit le plus faible possible. Avoir une gourde plutôt que d’acheter sans arrêt des bouteilles d’eau. Ajouter quelques jours à son voyage pour faire des transferts par la terre plutôt qu’en avion. Voyager engagé pour moi, c’est aussi voyager en découvrant le pays pour ce qu’il est et pas seulement pour ses plages ou ses monuments. Pourquoi aller au Mozambique si c’est pour rester sur la même plage et ne manger que les plats de l’hôtel ? Il faut aller se frotter aux gens, rencontrer les locaux, tester des expériences hors des sentiers battus comme des cours de cuisine, des balades à vélo, du couchsurfing… Faire des choses où l’on appartient véritablement au tissu du pays et ou on repart avec de vraies connexions et plein de love et de good vibes dans le cœur ! Si on reste dans son cocon touristique, autant vivre sa best life sur la Côte d’Azur ! »

Amplement d'accord avec ça mais que penses-tu des courants de pensée de plus en plus forts qui attaquent l'aérien et tous ceux qui font des voyages de plaisir lointains, au détriment de leur bilan carbone et donc de la planète ?

« Je vais avoir une réponse très politiquement incorrecte mais je l’assume totalement. Aujourd’hui, il y a deux choses qui s’entrechoquent : l’écologie et en face, le déficit de connaissance sur les pays africains, sur l’histoire et la culture africaine, le manque d’estime de soi des populations afro-descendantes d’Europe par rapport à leur pays d’origine. Et ça il faut le déconstruire ! Un jour j’ai fait un post sur Linkedin pour expliquer ce que je faisais. J’ai eu 99% de likes et d’encouragements mais aussi un ou deux commentaires de personnes qui m’ont dit que ce n’était pas bon pour la planète. Et quelqu’un a répondu avant que je ne le fasse en disant ceci : « On a tous nos combats, on essaye tous de vivre dans un monde meilleur ». Je suis en phase avec ça et aujourd’hui, je considère que ce que je fais avec Abenafrica est au moins aussi important que la crise écologique pour toutes les raisons que je viens d’expliquer. Bien sûr qu’il faut faire différemment mais jamais je n’arrêterai de voyager... »


SAVE THE DATE : Sandy Abena sera présente au festival Porto-No Mad le jeudi 12 janvier 2023 pour une soirée-rencontre autour de son voyage en Afrique "16 mois - 16 pays de l'Afro-World". Rendez-vous à partir de 20h au Centre culturel Ouadada de Porto-Novo au Bénin !

POUR SUIVRE LES AVENTURES DE SANDY ABENA :
- son blog Abenafrica
- son compte Insta

Dérushage : Sophie Squillace