Par Laetitia Santos
Posté le 13 juin 2017
Premier vainqueur du Vendée Globe en 1990 et champion du monde de course au large l’année suivante, peintre, écrivain, carnettiste ou encore photographe, amoureux des femmes du monde à qui il rend hommage tout au long de son œuvre, Titouan Lamazou est un navigateur-voyageur qu’on ne présente plus.
Chérissant Haïti, destination-révélation du No Mad Festival 2017, pétrie de marins et d’artistes, nous avons passé quelques précieuses minutes avec l’Homme, à échanger sur la Perle des Antilles, son Atelier des Tropiques et les défaillances de ce monde contre lesquels son dernier projet de bateau-atelier fait de voiles et de toiles va se battre contre vents et marées...
Titouan, vous êtes le parrain de cette 3ème édition du No Mad Festival, dont la destination-révélation n’est autre qu’Haïti. Une destination que vous connaissez bien pour y avoir pas mal voyagé il y a quelques années, et dont vous avez tiré un ouvrage, Titouan en Haïti. Un de vos portraits de femmes illustre d’ailleurs notre affiche cette année...
"Je suis allé en Haïti en 98, ça remonte à assez longtemps donc. Je me suis baladé un peu partout : côte Nord, Cap Haïtien, l’île de la Tortue, la côte Sud avec Jacmel, l’île à Vache, Pestel et la baie de la Gonâve... Je suis aussi resté très longtemps à Port-au-Prince… Je suis allé là-bas et je n’y ai rencontré quasiment que des artistes. Des artistes et des marins, c’était un pays fait pour moi ! Il y avait un foisonnement culturel des arts visuels, pictural surtout. Et une voile au travail qui a presque quasiment disparu aujourd’hui et qui était à Pestel, à l’île de la Tortue ou à l’île à Vache où j’étais allé. J’avais dessiné des bateaux et j’avais partagé mes travaux avec des artistes. J’y ai passé quelques mois, comme d’habitude…"
Quel sentiment fort est resté ancré en vous ?
"En général, je ne suis pas un fan de tourisme mais je trouvais que c’était parfaitement injuste que la manne touristique bénéficie uniquement aux îles voisines. Parce ce que Haiti est un pays pauvre, un pays sujet à des troubles, les agences de voyage l’avait écarté de leur réseau. Ce qui est dommage car c’est un pays magnifique et les gens sont adorables. Et ça c’était déjà le cas avant le séisme. C’est sur que les équipements routiers et autres infrastructures, ne sont pas au point mais il y a d’autres pays où c’est à peu près la même chose et où le tourisme existe… C’est vraiment le sentiment que j’en retiens."
Vous serez au No Mad Festival pour nous parler de L’Atelier des Tropiques, votre bateau-atelier qui vous occupe depuis quelques années déjà et dont le rêve est en train de se réaliser...
"Le bateau-atelier, ça fait pas mal d’années que j’en parle en effet puisque j’avais lancé ce projet en 90, c’est-à-dire il y a 27 ans. Aujourd’hui, nous terminons la phase finale des études. Des études qui comprennent évidemment les études architecturales du bateau, qui est un outil dans ce projet, et l’étude de sa phase d’exploitation, qui interviendra à partir de sa mise à l’eau fin 2018. C’est un navire qui sillonnera tous les rivages du monde, qui traversera les océans pour atteindre ses rivages. Ses escales principales, balisées par les DOM et les TOM seront, la Guadeloupe et la Martinique. Pour moi la Caraïbe, ça va de Bordeaux à Ouidah en Afrique, et de Belem en Amérique du Sud jusqu’à Québec en Amérique donc c’est assez vaste. Et l’équipage de ce navire sera composé d’artistes et de chercheurs qui produiront un autre regard sur le monde, sa diversité, sa biodiversité. Et ce sera diffusé de manière traditionnelle en ouvrages, en films, en web doc… Le bateau sera doté d’outils de communication d’aujourd’hui et sera mis en relation avec des établissements scolaires, des services de réinsertion tels que les prisons, le grand public aussi à travers les médias... On proposera un programme pédagogique en fonction de cet autre regard."
Vous embarquerez qui à votre bord ?
"Pour les artistes, il y a déjà une bonne liste d’attente mais je les choisirai en fonction de la destination. L’idée est de mélanger, de prendre un artiste béninois pour qu’il me rejoigne sur les côtés cubaines par exemple, et d’en tirer des regards croisés. Et c’est surtout pour aller rencontrer l’autre, mais ce n’est pas une résidence d’artistes ! Ce ne sera pas la Villa Médicis itinérante comme on l’a parfois communément décrit, c’est-à-dire qu’à bord se succèderont des invités mais ce n’est pas ce que l’on appelle résidence, c’est un outil de création. C’est un bateau qui est appelé à naviguer pendant les cinquante prochaines années ! Ça réunit mes sillages, vous savez, la mer, les arts, le voyage, les rencontres…"
Le monde qui s’uniformise si vite, les xénophobies qui s’exacerbent, ça donne encore plus de sens à votre projet ?
"Une des raisons qui rend ce projet pertinent aujourd’hui, c’est que lorsque l’on parle mondialisation, une des premières choses que l’on observe, c’est que les frontières se referment ! Je pense que c’est une connerie ! J’espère que ça ne durera pas et que les gens s’apercevront que c’est une erreur d’ériger des murs. Cet autre regard que l’on va présenter, c’est justement pour montrer l’inverse et transmettre le message à un jeune public. C’est notre rôle, d’essayer de susciter des prises de conscience. Si on regarde l’humanité depuis le début et son évolution, on ne peut être que pessimiste, les choses ne se sont pas améliorées et ne changent pas vraiment. Mais l’optimisme ou le pessimisme, ça dépend des jours !"
Et parmi ces prises de conscience, qu’elles sont celles qui vous tiennent le plus à coeur ?
"L’Autre est Nous et Nous sommes l’Autre. Nous appartenons exactement à la même espèce, nous venons tous du même endroit et toutes ces fables racontées sur les nations, les religions, les races, ce ne sont que des balivernes bien pratiques, qui malheureusement sont des vecteurs d’exploitation de quelques hommes, très peu, sur le grand nombre. C’est pour aller à l’encontre de ces fables abêtissantes que je veux proposer un regard qui est intuitif, artistique et scientifique aussi..."
AGENDA : Titouan Lamazou donnera une conférence dans le cadre de la 3ème édition du No Mad Festival ce samedi 17 juin à 14h intitulée "Dans le même bateau pour un monde plus beau..." Il y présentera en détails son projet de bateau-atelier aux côtés de Jean-Marie Hullot, créateur de la Fondation Iris, et de la carnettiste Stéphanie Ledoux, qui tous deux viendront nous parler de leur expédition en Papouasie Nouvelle-Guinée à bord d’un voilier engagé pour la préservation de l’environnement et de la biodiversité. La rencontre sera suivie d’une séance de dédicaces à la librairie voyage du No Mad Fest. Un rendez-vous im-man-quable !