Par Laetitia Santos
Posté le 21 janvier 2018
Il est moins couru et moins connu que son voisin le Haut-Atlas et pourtant, le Moyen-Atlas marocain est aussi un sublime décor de randonnée et de rencontres. Plus humide et donc bien plus froid en hiver, il croule plusieurs mois de l’année sous un épais manteau de neige. Une fabuleuse période pour y marcher, raquettes aux pieds, et aller se pelotonner au coin du feu avec les familles berbères qui vivent là, nulle part, en autonomie complète. Plongée en plein hiver berbère…
A tous les voyageurs en quête d’authenticité qui se rendraient dans la région de Fès, ne vous cantonnez pas aux cités impériales des environs ! Si Fès et Meknès regorgent de joyaux architecturaux, de riads bourrés de charme, de médinas ensorcelantes avec leur dédale de ruelles enchevêtrées, l’expérience que vous y vivrez restera citadine, un brin stressante, alors qu’à quelques bornes de là vous attendent des instants d’éternité…
Depuis Fès, l’association Rencontres d’Aït Aïssa propose d’aller vivre aux côtés des familles de bergers qui peuplent l’Atlas et de partager leur intimité. Délaissez la médina et laissez-vous porter vers le Sud, direction Ifrane, la Suisse marocaine, Azrou, Tamahdite, et enfin Tasmakt, où vous attend une bergerie pour la nuit, blottie à plus de 2000 m d’altitude.
La route qui y mène est un voyage en soi : forêt de cèdres majestueux habitée par une colonie de singes magots à Aïn Kehla, monts saupoudrés qui offrent des terrains de glisse aux familles et à leurs luges, étendues volcaniques caillouteuses, troupeaux qui paissent les sabots dans la neige à la recherche de quelques touffes ratatinées sous la gelée, manteau neigeux scintillant sous le tiède soleil d’hiver, drapés élégants formés par les vents qui habillent les courbes des collines… Un cortège de brebis passe, impose la priorité. Sous les rayons froids, un âne se pavasse au milieu de l’asphalte, imperturbable quand un moteur le dépasse. Dans ce décor qui en impose, les âmes qui vivent se font rares. Mais c’est précisément elles qui font toute l’intensité de ces contrées…
À Timahdit, on découvre la bergerie de Bakhi, de sa femme Fatima et de leurs trois enfants. Cet après-midi, nous allons randonner là, tout autour de chez eux. Objectif : les cascades alentours, deux superbes chutes d’eau encaissées dans les falaises au pied desquelles il fait bon pique-niquer quand viennent les belles journées. Et se baigner !
Aujourd’hui, l’heure est à une plaine de blé immaculée. Le fond de l’air sent le cèdre, ce même bois qui emplit le dédale de la médina de son essence puissante. L’appel à la prière du muezzin retentit au beau milieu du champ enneigé, son écho vient résonner dans l’immensité… On passe près d’un troupeau, on rit d’une partie de boules de neige avec les enfants, on compare nos vies avec nos nouveaux amis... Une fois de retour à la bergerie, le goûter nous est servi : des msemen tous chauds, accompagnés de miel des montagnes, d’une huile d’olive fraichement pressée ou encore d’une confiture de dattes. Une fois rassasiés, il nous faut reprendre la route. Ce soir, c’est dans une autre famille que nous trouverons le repos.
La marche nous mènera jusqu’à Tasmakt. La nuit vient de tomber, l’air est glacé, mais bien emmitouflés et galvanisés par la chaleur des quelques humains qui marchent à nos côtés, on affronte cette plaine glacée et ses eaux congelées à la seule lueur des étoiles et de la frontale...
Nous voilà arrivés chez Rabha, Miami, et leurs quatre enfants, au coeur d’une bergerie isolée des plus sommaires, plantée au beau milieu d’une plaine sans rien avant des kilomètres, pas même une route. Dans la nuit noire, les chiens hurlent que des étrangers sont en approche. Mais Miami est là, sur le pas de son entrée, pour leur commander qu’il s’agit d’invités, pas d’indésirables. Il nous ouvre la porte de chez lui et l’on pénètre alors dans la cuisine et la chaleur de son foyer. Après s’être déchaussé, on passe au salon où crépite un poêle au feu de bois de cèdre.
On s’affale sur d’énormes couvertures bariolées, on se retrouve là, tous serrés, simplement à discuter. Abdellah, coordinateur local de l’association Rencontres d’Aït Aïssa sert d’interprète, nous donne les clefs du mode de vie berbère et de cette culture millénaire dont il y a tant de sagesse à tirer. Il est tard mais ces gens nous reçoivent sans fard, avec de quoi manger, et toujours un verre de thé. Un couscous géant atterit devant nous, toutes nos mains s’y affairent, emplies de pain. Elles piochent semoule, courgettes, au gré de la faim. Une fois rassasiés, la table est levée et la salle à manger se transforme en chambrée.
Là, à même le sol, emmitouflés dans ces couvertures qui pèsent lourd, on s’endort en pensant à cette leçon d’hospitalité qu’on vient de nous délivrer…
Cette bergerie où l’on passera la nuit, il n’y fait pas froid. Bien que le confort soit rudimentaire, la chaleur humaine y est tellement présente... Mais il y a une autre raison à cela : la bergerie de Tasmakt est un modèle, la première à avoir profité d’une rénovation financée par un micro-crédit octroyé à la famille par l’association. Sur les conseils d’un architecte belge venu tout exprès, la bergerie - traditionnellement constituée d’une pièce unique battue par les courants d’air - s’est vue scindée en quatre pièces, dont un séjour principal fermé par une porte et isolé avec des matériaux locaux. Les murs extérieurs ont été couverts d’une charpente en bois de cèdre entre laquelle on a glissé de la laine de brebis à foison. Rajoutez à cela un poêle et son extraction et vous avez là une pièce bien chaude qui améliore forcément les conditions de vie quotidiennes. Et diminue radicalement la consommation de bois de cèdre qui tend à se faire plus rare dans la région.
Dans la chaleur du brasier, on contemple la vie s’écouler lentement. On prend la mesure du temps. Au fil des conversations, des fous rires, des repas, des verres de thé. L’agitation, la surconsommation, la modernité dans l’excès... Tout n’est que vains mots face au partage d’un bonheur simple mais si profond.
Lieu rénové grâce à un micro-crédit, pour une nuit chaleureuse à plus de 2000 m d’altitude, aux côtés des familles de bergers dans le Moyen-Atlas
MA