Un véritable cas d’étude : les estuaires de l’Ibera et le dilemme Tompkins

Société

Par Viatao

Posté le 7 mars 2012

Dans les années 90, l’Américain Douglas Tompkins s’est installé en Amérique du Sud, rachetant un peu plus d’un million d’hectares de terre (l’équivalent d’un tiers de la Belgique) en Patagonie argentine et chilienne, mais aussi dans la province de Corrientes, aux Esteros del Iberá.


Les 700 millions de dollars nécessaires au projet provenaient de la revente de ses entreprises géantes de textiles The North Face et Esprit. L’objectif – philanthropique – était affiché d’emblée. M. Tompkins achetait ces terres dans le but de restaurer l’écosystème, souvent détruit par l’industrialisation et/ou l’agriculture, de créer un parc national et d’en faire don aux pays concernés lorsque le travail serait terminé. Bien entendu, on s’interrogea d’entrée de jeu sur ses motivations : pourquoi un riche Américain viendrait-il dépenser autant d’argent dans le seul but de protéger l’environnement ? Cette belle initiative ne cachait-elle pas la volonté d’avoir la main mise sur une ressource stratégique : l’eau (Iberá est l’une des plus grandes réserves d’eau douce d’Amérique du Sud) ? Douglas Tompkins ne se servait-il pas de l’écologie comme d’un faux nez pour s’approprier d’immenses territoires, laissés dès lors entre les mains d’étrangers ?

Avec le recul des années, les faits nous permettent maintenant d’en juger. Il se trouve que M. Tompkins a respecté une grande partie de ses engagements : il a déjà fait don de plusieurs milliers d’hectares aux États, créant les parcs nationaux Pumalín (Chili) et Monte León (Argentine). Grâce à ses filiales, il est en train de parachever le nettoyage du futur parc national Estancia Chacabuco au Chili. Le projet devrait se clore dans les années à venir avec les Esteros del Iberá, dont il devrait faire don à l’Argentine. Le défi actuel de cette région est la lutte contre les producteurs limitrophes et clandestins qui utilisent illégalement l’eau des estuaires pour la culture du riz, mélangée, bien entendu, à de nombreux engrais chimiques.

Mais qu’en est-il sur le terrain ? Qu’en pensent les habitants du petit village de Colonia Carlos Pellegrini, par exemple ? Tout d’abord, il faut savoir que le projet de réserve provinciale des Esteros del Iberá naquit sous l'impulsion d'un groupe local, il y a une trentaine d’années. Il ne faut donc pas attribuer à Tompkins seul le mérite d’avoir voulu protéger cette région – même s’il a indubitablement contribué à donner à la cause une dimension internationale –, mais aussi et surtout aux habitants de la province de Corrientes. Les premiers gardes-forestiers étaient d’anciens chasseurs qui connaissaient parfaitement le terrain, chassant pour leur survie dans une région peu développée. La chasse, qui fut alors montrée du doigt, était plutôt le fait de touristes étrangers qui venaient dans la région tuer les carpinchos, cerfs et caïmans par dizaines, "pour le sport". C’est grâce à l’émergence du tourisme et aux financements de la province que ces gardes forestiers ont pu abandonner leur ancien métier et interdire la chasse sportive.

Altermondialiste, écologiste radical et fan de musique traditionnelle chamamé, Tompkins souhaite également voir dans le tourisme une autre possibilité de développement économique local qui permettrait de se passer des multinationales agricoles, lesquelles profitent finalement très peu aux villages. Peut-on envisager une véritable opération philanthropique à si grande échelle ? Douglas Tompkins a-t-il finalement une idée impérialiste derrière la tête ? Lui seul le sait et le temps le dira.

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