Vertiges de l'amour à Hanoï

Culture

Par Laure Croiset

Posté le 9 février 2011

"Je vais au cinéma pour prendre des nouvelles du monde", affirmait l’éminent critique de cinéma Serge Daney. Et c’est au Vietnam que notre âme de voyageur cinéphile s’aventurera avec le troublant Vertiges, deuxième film du Vietnamien Bui Thac Chuyên .


Vertiges de l’amour

La relation entre Duyen et Cam, deux jeunes femmes, est complexe. Duyen se marie avec un chauffeur de taxi sans se rendre compte des sentiments profonds que Cam a pour elle. Cam cache son amour et sa jalousie et, subtilement, pousse Duyen dans les bras d’un homme expérimenté et séduisant : Thô. Avec lui, Duyen découvre pour la première fois sa féminité, ligotée jusqu’ici par les contraintes de la morale traditionnelle.

Avec Tran Anh Hung et Dang Nhat Minh, le cinéma vietnamien a connu ses lettres de noblesse. L’Odeur de la papaye verte, La Saison des goyaves, autant de films savoureux qui apparaissent marginaux face à une production nationale qui peine à exister. Vertiges marque un souffle nouveau pour le cinéma vietnamien, qui reprend ainsi de la vigueur et aborde des thèmes jamais abordés jusqu’alors.

Dérive des sentiments

Le titre original Choi Voi signifie littéralement "A la dérive". Dérive des sentiments, flottement du désir, à l’image de son héroïne Duyen qui apparaît "comme un bateau qui aurait perdu l’ancre ou un cerf-volant qui aurait perdu son fil", comme le souligne son réalisateur Bui Thac Chuyên. Dans ce mélodrame aux contours sinueux, les héroïnes tentent de s’affranchir d’une société où le mâle domine. "Une fille ne doit pas trop en demander", "Quand il rentre, laisse-le dormir, ne le fatigue pas", dicte-t-on à la jeune mariée qui n’ose exprimer son désir. Face à elle, la mélancolique et complexe Cam, va la pousser dans les bras du séducteur Thô, qui va l’éveiller à l’amour charnel.

Corps dévoilés

Ce mélodrame contemporain s’appuie sur une structure narrative complexe, où chaque personnage est poussé par des questionnements existentiels auxquels le cinéaste Bui Thac Chuyên prend soin de ne jamais apporter de réponses concrètes, ni de point de vue moral. Au milieu du brouhaha de la ville et des pluies incessantes, les barreaux des fenêtres s’ouvrent peu à peu et le voile se lève sur le corps de ces jeunes héroïnes. Ici, le réalisme social se mêle habilement à la complexité des sentiments. Une mélancolie profonde et délicate se dégage de ces troublants Vertiges, auxquels il faut ajouter la prestation remarquable de Hai Yen et le retour au pays pour la comédienne Linh Dan Pham, plus troublante que jamais. Le cinéma vietnamien a de beaux jours devant lui.

Vertiges, de Bui Thac Chuyên
En salles le 9 février 2011