"Visages Villages" : road trip photographique au cœur de la France

Culture

Par Élise Chevillard

Posté le 22 janvier 2021

Photo Sources: Agnès Varda - JR / Ciné-Tamaris - Social Animals.

Entre 2016 et 2017 la cinéaste Agnès Varda et le photographe « affichiste » JR ont sillonné ensemble les routes, des Hauts de France à la Provence, de villages en visages, d’images en collages. À bord de leur camion photo, ils sont partis à la rencontre d’habitants pour les écouter, raconter leurs histoires, les photographier et parfois les afficher. De ce joyeux vagabondage, ils en ont tiré « Visages Villages »... (Re)découvrez avec nous ce touchant portrait de France.


Des corons du nord au port du Havre, en passant par la plage de Sainte-Marguerite-sur-Mer en Normandie et une usine chimique dans les Alpes du Sud, Agnès Varda et JR nous embarquent avec eux dans un périple sur les routes françaises. À la manière de Raymond Depardon, ils partent de-ci de-là à la rencontre d’anonymes, de cette France oubliée, rurale et ouvrière, des gens de tous les jours. À travers ce film, Agnès Varda époussette ici ses souvenirs en filagramme. L’occasion pour nous de revenir sur le parcours de cette cinéaste à la coupe bicolore emblématique.

Qui êtes-vous Agnès Varda ?

Sa voix est celle d'une conteuse, chaude, miel et profonde, de celle que l'on écoute avant de s’endormir. Agnès Varda, qui s'est éteinte en mars 2019, a toujours aimé conter la vie de ceux que l’on oublie : des pêcheurs sétois de la « Pointe courte » en 1954, aux mineurs dans « Visages Villages » en passant par les commerçants de la rue Daguerre dans « Daguerréotypes » en 1975.

Son cinéma humaniste oscille entre documentaires, fictions, courts et longs métrages. Ce petit bout de femme à la coupe au bol de moine, couleur châtaigne et blanc, est née en 1938 à Bruxelles, avant de venir s’installer à Sète avec ses parents. Icône féminine de la Nouvelle Vague, Varda fut d’abord photographe (du Théâtre national populaire (TNP) de Jean Vilar, ndlr) avant de devenir cinéaste.

Dans « L’Opéra-Mouffe », elle filme le quartier Mouffetard en noir et blanc et les petits riens qui s'y passent. À Paris toujours, elle tourne « Les fiancés du Pont Mac Donald », et « Cléo de 5 à 7 ». Elle rend hommage à Jacques Demy avec qui elle partage sa vie et le cinéma dans « Jacquot de Nantes » qu’elle bricole d’après ces souvenirs d’enfance.

Artiste engagée, Varda interroge à travers ses films des phénomènes sociétaux comme dans « Sans toit ni loi », et « Black Panthers ». Dans son documentaire autobiographique « les Plages d’Agnès » (2008), elle se raconte avec pudeur et reconstitue le puzzle de sa vie. Avec son œil fureteur, sa curiosité insatiable, la réalisatrice fabrique des films « fait main » comme autant de petits objets bricolés, avec un goût du collage et un « montage en forme de coq-à-l'âne ». Ce dernier film n’y échappe pas.

Quand Varda rencontre JR

Elle a 89 ans, lui 34. Elle a choisi le cinéma, lui est photographe colleur. C’est une toute petite bonne femme, lui est grand et se cache derrière ses lunettes noires. Rien ne prédestinait à ce que ce duo improbable, un peu burlesque se rencontre. Comment d’ailleurs ? C’est ainsi que débute « Visages Villages », par la mise en scène de leur non-rencontre. À la boulangerie ? À un arrêt de bus ? Sur le dance-floor ? Ou un site de rencontre ? L’histoire ne nous le dira pas. De cette rencontre est née une complicité touchante et joyeuse, mais surtout un film.

Pendant deux ans, le duo a sillonné la France à bord de leur drôle de camion où l’on rentre à l’arrière comme dans un photomaton et d’où sort la photo en grand tirage. Cinquante-cinq années les séparent, mais les deux partagent ensemble l’amour des gens, du collage, des images et des visages qu’ils photographient et affichent sur les murs des villages. Quand l’un lance une idée, ou raconte un souvenir, l’autre rebondit, fait un jeu de mots, et le film prend forme à la manière d’un cadavre exquis. Ensemble, ils bricolent un beau portrait de France, militant et parfois féministe.

Une promenade improvisée du Nord au Sud

Les voilà ainsi partis sur les routes de France en quête de sujets à photographier, de gens à écouter, d’histoires à raconter et de façades à recouvrir comme une forte envie de témoigner de ce monde qui disparaît. Dans un coron du Pas-de-Calais, le duo rencontre Jeannine, dernière mémoire vivante d’une rue qui va être détruite. Comme pour ne pas oublier, il la placarde sur les façades de la rue entourée de portraits d’anciens mineurs. Du nord au sud, Varda et JR s’arrêtent au grès des envies, sans itinéraire ni plan précis, au hasard de l’objectif.

Les collages sont spontanés et se font bien souvent au détour d’une rencontre. Comme cet agriculteur du Val d’Oise que l’on retrouve collé sur son hangar.

À Pirou-Plage, Varda et JR repeuplent ce village fantôme de la Manche avec les visages des habitants du coin pour ne pas oublier. Dans un village du sud, les ancêtres retrouvent une place sur les murs et murmurent leur histoire aux passants. Dans le port du Havre, c’est un hommage aux femmes des dockers qui se retrouvent affichées sur les containers.

Un travail de mémoire pour ne pas oublier

Ce travail de mémoire interroge aussi celle d’Agnès. Cette dernière parle de la disparition, de la vieillesse et du temps qui passe. Comme autant de petits clins d'œil disséminés, Agnès repart sur les traces de ses anciens films et documentaires, revient sur des lieux où elle a tourné, ressort d’anciennes photographies. Ses souvenirs refluent comme la marée qui vient laver et emporter le collage éphémère reproduisant une photo prise il y a soixante ans par Agnès et collée sur un bunker par JR. Et puis, il y a les yeux d’Agnès, malades qui ne voient presque plus.

Comme un dernier hommage, JR photographie des morceaux d’Agnès, ses yeux ridés, ses mains et ses orteils fripés. Il fait d'immenses agrandissements de ces clichés qu’il colle sur un vieux conteneur qui part là où elle ne peut plus aller pour un dernier voyage. Varda s’éteint un an après, à l’âge de 90 ans, mais ses yeux eux, continuent de voir et de voyager.

Disponible en VOD sur Universciné et Arte Boutique.