Par Laetitia Santos
Posté le 30 janvier 2018
C’est dans la vallée d’Aït Aïssa, au cœur du Haut-Atlas marocain, qu’est née l’association du même nom pour laquelle Babel Voyages a eu le coup de cœur tout ce mois-ci. Après de longues marches glacées dans l’isolement du Moyen-Atlas enneigé, nous avons fait une incursion jusque dans le Haut-Atlas plus clément, pour remonter jusqu’en Aït Aïssa, aux sources de l’association. Récit d’une nuit chez Mohammed et Hafida, dans une famille comme il en existe plein des comme ça dans ce coin là…
Aït Yahya, 12 janvier 2018.
Mohammed nous a ouvert grand la porte de sa maison où il vit avec sa femme, Hafida, leurs enfants, dont le petit dernier tout emmailloté n’a que deux mois, et tous ceux en mal de solitude qui vont et qui viennent comme dans leur propre chez-eux. À l’image de cette vieille veuve qui passe ses journées ici, assise près du feu, et ne rentre que pour aller retrouver sa couche, comme si les âmes de cette maison qui s’affairaient autour d’elle donnaient vie à la sienne pour le temps lui restant…
Ce soir là, dans la cuisine et la chaleur du foyer, une douzaine d’hommes et de femmes sont réunis, jeunes et vieux mélangés, tous serrés en rang d’oignons autour du feu pour se réchauffer. Ces "Hommes Libres" - Amazigh en berbère - se sont rassemblés pour célébrer Yennayer, le Nouvel An Berbère et l’arrivée de l’an 2968 de leur calendrier. Un calendrier qui débute 950 ans avant la naissance du Christ, à la date de l’accession au trône du Pharaon du Berbère Sheshonq Ier, fondateur de la XXIème dynastie.
Au Maroc, les Berbères seraient entre 12 et 15 millions soit un peu plus de 40 % de la population. Des individus fiers de leur culture, et les plus anciens habitants de l’Afrique du Nord, où ils sont dispersés entre Maroc, Tunisie, Algérie, Libye, Égypte, Mauritanie et même Mali, Niger et Burkina Faso. Au Maroc, le tamazight est reconnu comme langue officielle au même titre que l’arabe. Les Hommes Libres ont aussi leur étendard, qu’ils brandissent avec fierté pour défendre leur singularité au sein du monde arabe : le bleu pour la mer Méditerranée, le vert pour les plaines et les montagnes, le jaune pour les sables du Sahara et le rouge pour la lettre Z au centre, symbole de la résistance berbère.
Quel plaisir alors de vivre l’expérience de ces festivités à leurs côtés, avec simplicité, en partageant un grand plat de couscous
Vivre le quotidien des Berbères, c’est expérimenter la vie en communauté. Dormir à même le sol allongé près de voisins que nous ne connaissions pas la veille, manger tous ensemble dans le même plat, en rompant le même pain, en l’imprégnant d’une même sauce, goûter à la vie simple, sans réseau téléphonique mais avec du courant pur passant entre les gens présents autour de vous à l’instant T, sans course contre la montre, sans marque apposée sur ses vêtements, sans fards, juste tout le monde sur le même plan… Les Berbères ont cette façon de vivre qui met chacun dans le même bain…
Au lever, on aide Fatima à préparer les msemen qui nous régalerons pour le petit-déjeuner. Plier la pâte, l’étirer, la huiler, recommencer… Tout un art que l’on affine en compagnie des femmes de la maison, dont les visages nous apparaissent vite comme familiers avec cette forte proximité.
Après une rapide toilette, on s’aventure dans le village où seules une douzaine de familles vivent encore là, au coeur de cette vallée encaissée. Deux mausolées immaculés dressent leur coupole avec beaucoup de fierté et l’audace d’une blancheur qui contraste sur l’ocre des montagnes. Au pied du plus haut des deux, des ruchers traditionnels abandonnés par les travailleuses du miel, qui surprennent par leur confection ancienne en pierres de montagne.
On poursuit vers le pressoir à olives d’Aït Haddou, lui aussi on ne peut plus traditionnel avec sa meule en pierre et sa mule qui la traîne en mouvements circulaires. Chacun peut venir y presser ses olives, produites essentiellement ici pour la consommation personnelle. Pour 20 litres d’huile, il faudra collecter 100 kilos de fruits où noires et vertes s’entremêlent indifféremment. Quel délice d’observer le travail à la sueur des hommes et des bêtes de somme avant de plonger son pain dans le précieux liquide fraîchement récolté pour s’en délecter accompagné d’un énième thé !
Direction l’école du village ensuite où l’on fait la connaissance de Mohammed Talha, enseignant ici depuis 20 ans et ardent défenseur d’une éducation de qualité à destination des enfants de la vallée qui sont au nombre de 90 entre ces murs. On adore aussi la visite à l’association Kounouz pour la femme rurale, emmenée par la chaleureuse M’Barka Kettou depuis 2003, une personnalité forte qui rassemble les femmes des environs pour plus d’indépendance grâce à de l’artisanat notamment comme le tissage des célèbres tapis berbères. Les achats ici vous garantissent non seulement des tissages de qualité faits à la main dans les règles de l’art, mais permettent en plus de soutenir le travail de ces femmes tout en leur accordant un petit revenu complémentaire.
Voilà quelques-unes des Rencontres marquantes d’Aït Aïssa... À l’image de celle qui a initiée l’association en 2003, entre un voyageur occidental et un habitant de la vallée oubliée d’Aït Aïssa qui n’ont plus voulu se quitter et ont créé une structure capable de faire partager cela à d’autres. On en a largement profité de ces Rencontres d’Aït Aïssa, on espère en revenir un peu meilleur, nourri de ces hommes et de ces femmes riches d’une humanité simple...
Vallée au cœur du Haut-Atlas marocain, où est née l’association engagée Rencontres d'Aït Aissa
Aït Yahia, Meknès-Tafilalet, MA